Eglise et économie

Entreprise et travail

 Entreprise et travail  FRA-005
29 avril 2025

Pierre de Lauzun

Ce mois de mai 2025 sera l’occasion du Jubilé des travailleurs puis du Jubilé du monde de l'entreprise. Lors de sa visite pastorale à Gênes, avec pour thème la rencontre avec le monde du travail (27 mai 2017), le Pape François établissait un lien étroit entre ces deux thèmes.

«Il n’y a pas de bonne économie sans de bons entrepreneurs, sans votre capacité de créer, de créer du travail, de créer des produits... Le véritable entrepreneur… connaît ses travailleurs, parce qu’il travaille à leurs côtés... S’il n’a pas cette expérience de la dignité du travail, il ne sera pas un bon entrepreneur... Si et quand il doit licencier quelqu’un, c’est toujours un choix douloureux et s’il pouvait, il ne le ferait pas... Une maladie de l’économie est la transformation progressive des entrepreneurs en spéculateurs... Le spéculateur est une figure semblable à celle que Jésus dans l’Evangile appelle “mercenaire”, pour l’opposer au Bon Pasteur… Licencier, fermer, délocaliser l’entreprise ne lui crée aucun problème, parce que le spéculateur utilise, instrumentalise, “mange” les personnes et les moyens pour ses objectifs de profit... Avec le spéculateur, l’économie perd son visage et perd les visages... elle devient elle-même une économie sans visage et donc une économie impitoyable».

Comme on le voit, la distinc-tion entre l’entrepreneur, dont le Pape fait une vibrant éloge, et celui qu’il appelle le «spéculateur» se situe à deux niveaux. D’abord celui des objectifs, des finalités et des critères: le premier vise avant tout à créer des produits et du travail; le second instrumentalise les personnes et les biens en vue de son seul profit personnel. C’est ensuite le rôle reconnu au travail et par là aux personnes: entreprendre, c’est agir avec; on entreprend avec d’autres, on crée une forme de communauté avec ceux avec qui on travaille. Et par là on est solidaire, dans toute la mesure du possible.

Cette deuxième dimension n’est pas intuitive dans nos sociétés: on voit volontiers l’entrepreneur comme le pionnier solitaire, celui qui crée seul son entreprise ou accomplit son projet. Mais un entrepreneur ainsi compris pourrait parfaitement n’être que ce que le Pape appelle un spéculateur, celui qui instrumentalise. Bien au contraire, une dimension essentielle de la véritable entreprise est qu’elle appelle à la réunion de forces, qui sont celles de personnes. On remarquera justement à ce propos l’insistance sur le terme de «visage»: il ne s’agit en effet pas simplement de donner du travail, compris comme un simple facteur de production, mais de reconnaître des personnes, et que la seule véritable fécondité est dans l’association de ces personnes comme personnes, reconnues dans leur travail qui est un élément essentiel de leur dignité.

D’où aussi le fait que le véritable entrepreneur prend en même temps une forme de respon-sabilité envers ces bonnes volontés qu’il rassemble autour de lui. Et s’il peut advenir que la nécessité impose de se séparer, ce ne sera qu’un recours ultime, car précisément des personnes sont par excellence le contraire d’un produit jetable, d’un facteur de production qu’on écarte lors-qu’il ne paraît plus servir.