Douze ans de pontificat (2013-2025)

«Je vous accompagne d’ici»

 «Je vous accompagne d’ici»  FRA-004
07 avril 2025

Salvatore Cernuzio

II semble presque paradoxal qu’après l’année passée, peut-être parmi les plus intenses vécues des douze vécues sur le trône de Pierre, entre le Jubilé, le Synode, le Consistoire, les audiences, les rencontres, trois voyages en Italie et trois à l’étranger (dont le plus long du pontificat en Asie et en Océanie), le Pape François ait célébré l’anniversaire de son élection dans une chambre de l’hôpital Gemelli, dans un temps suspendu entre les thérapies et la lutte contre la pneumonie bilatérale qui a affecté son physique d’homme de 88 ans.

Beaucoup, parmi les fidèles, les journalistes, les observateurs, en ces presque 40 jours d’hospitalisation du Pape à la polyclinique romaine, ont imaginé un Jorge Mario Bergoglio affaibli mais en même temps désireux de quitter ce -dixième étage pour embrasser à nouveau son peuple. Ce peuple dont, il y a douze ans, en 2013, il a invoqué la bénédiction et à qui il a promis un chemin commun: «Evêque et peuple, ensemble…». Ce peuple à qui, continuellement, à la fin de chaque Angelus, homélie, discours, il a demandé de prier pour lui: «Parce que j’en ai besoin».

Et s’il y a une chose qui n’a pas manqué en cet anniversaire du Pape «venu du bout du monde», c’est bien la prière, comme en témoignent les nombreuses initiatives qui ont germé spontanément dans les différents diocèses, unissant les cinq continents en un seul fil: de la Chine au Tchad, du Sri Lanka à «son» Argentine, des Etats-Unis à Rome, où chaque jour et chaque heure ont vu augmenter le groupe de fidèles priant sous la statue symbolique de saint Jean-Paul ii sur la place de l’hôpital Gemelli et où chaque soir, sur la place Saint-Pierre, des centaines de personnes se sont rassemblées pour réciter le Chapelet animé par la Curie romaine.

Des prières élevées sur les places, dans les églises, dans les paroisses, dans les maisons rediffusées en temps réel en ligne. Des prières intensifiées après l’annonce des crises que la pneumonie avait provoquées chez le Pape, heureusement sans récidive, et remplies d’espoir après la levée du pronostic par les médecins. Des prières (ou, pour ceux qui n’y croient pas, de «bonnes pensées», comme il l’a toujours demandé lui-même) reliées par une seule invocation: la guérison d’un Pape comme Jorge Mario Bergoglio, fragile mais tenace, «jamais tombé» (pour reprendre une de ses expressions typiques) mais se relevant toujours après chaque difficulté physique, retrouvant force et voix, voyageant, rencontrant, recevant, se déplaçant — bien qu’en fauteuil roulant — dans les paroisses de Rome et les diocèses du nord de l’Italie ou s’envolant à l’autre bout de l’hémisphère. Un Pape, François, qui a toujours et d’emblée révélé son désir d’être «en sortie», lorsque quelques jours après son élection, il a choisi de vivre à Sainte-Marthe, lorsque sur le vol de retour d’Irak, son premier voyage après le confinement dû au- covid-19, il a dit qu’il se sentait «en cage» au Vatican, lorsque dans des entretiens après des hospitalisations et des opérations, il a confié avoir compté les jours qui le séparaient de sa sortie de l’hôpital.

Le 13 mars 2025, le Pape François a entamé la treizième année de son pontificat à l’hôpital. Jusqu’alors, son témoignage vocal s’était résumé au message audio qui avait résonné le 6 mars dernier parmi les fidèles réunis pour le Chapelet sur la place Saint-Pierre: «Je vous remercie du fond du cœur pour les prières que vous avez adressées à ma santé depuis la place. Je vous accompagne d’ici. Que Dieu vous bénisse et que la Vierge vous protège. Je vous remercie». Quelques mots, enregistrés en espagnol dans l’appartement privé du Gemelli, entre la physiothérapie respiratoire et l’oxygénation à haut débit, pour remercier tous ceux qui lui ont témoigné de l’affection et de la proximité ces jours-ci.

Trois phrases et un remerciement, après douze mois — à partir du 13 mars 2024 — au cours desquels François a récité 45 Angelus et Regina Cæli, présidé 32 audiences générales, tenu près de 230 réunions à l’intérieur et à l’extérieur du Vatican, célébré 30 Messes. Paradoxal, a-t-on dit. Tout comme il semble paradoxal que François se retrouve à avoir battu le «record» de la plus longue hospitalisation (de son pontificat, pas d’un Pape: à l’heure actuelle, ce record est détenu par Jean-Paul ii, qui a passé 55 jours à l’hôpital Gemelli de juin à août 1981 pour des complications de cytomégalovirus) cinq mois après le record du plus long -voyage: les deux semaines en Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor oriental et Singapour.

Quatre pays, deux continents. C’était du 2 au 13 septembre, il y a six mois, mais le souvenir est encore vif de cet exploit difficile, qui a suscité l’appréhension de nombreuses personnes en raison des craintes pour sa santé, des quatre fuseaux horaires différents et des longues distances parcourues en avion. Un pari gagné pour François, alors âgé de 87 ans, qui a été récompensé de tous ses efforts par un accueil inoubliable dans les rues, avec des chants et des danses locales, de femmes et d’enfants, par des personnes grimpant aux arbres et aux bâtiments pour agiter des drapeaux à son effigie. Un autre exploit a été de pouvoir voler à bord d’un avion militaire fourni par l’Australie, de Port Moresby à Vanimo, aux frontières de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour rencontrer les missionnaires argentins qui annoncent l’Evangile dans les forêts, parmi les populations autochtones. Seuls ceux qui étaient présents peuvent décrire les yeux enthousiastes du Pape lors-qu’il a observé une église qui faisait ses premiers pas comme ceux racontés dans les Actes des Apôtres.

Après cette mission aux confins du monde, le Pape a repris son pèlerinage, toujours en septembre, mais cette fois au cœur de l’Europe, au Luxembourg et en Belgique du 26 au 29 septembre. Un voyage plus court, mais tout aussi exigeant, entre programmes imprévus avec les pauvres et les jeunes, des moments compliqués à l’Université de Louvain au cœur des scandales d’abus. En décembre, le Pape s’est envolé cette fois pour la Corse, l’une des plus grandes îles de la Méditerranée, où, pendant environ dix heures, il a rencontré des enfants et des prêtres, des confréries et des familles, et même, à la fin, le président français Emmanuel Macron.

Entre mai et juillet, le Souverain Pontife a voyagé en Italie, visitant Venise, Vérone et Trieste. Trois étapes faites de rencontres symboliques, de paysages mémorables (surtout le Grand Canale de Venise parcouru en bateau à moteur et les Arènes de Vérone) d’où il a lancé des appels à la paix, à la fraternité et à la démocratie.

Et la douzième année de son pontificat a été marquée par des étapes importantes dans la vie de l’Eglise, comme l’ouverture de la Porte Sainte de la basilique Saint-Pierre, le 24 décembre au soir, pour donner le coup d’envoi du grand Jubilé de l’Espérance. Deux jours plus tard, le 26 décembre, il a ouvert la Porte Sainte à la prison de Rebibbia, un institut pénitentiaire devenu «basilique» le temps d’une journée, parmi les gardiens et les détenus émus. Et puis, encore, le Synode sur la synodalité pendant tout le mois d’octobre, deuxième étape au Vatican d’un itinéraire de trois ans qui a commencé dans les diocèses, avec des pères et des mères synodaux — laïcs et consacrés — réunis dans différents contextes et sous différentes latitudes pour initier des processus et élaborer des changements.

La douzième année sur le trône pétrinien, c’est aussi une Encyclique, Dilexit nos, la quatrième du pontificat pour redonner le «cœur de Jésus-Christ» à un monde «qui semble avoir perdu son cœur», et le -dixième Consistoire pour créer 21 nouveaux cardinaux et reconfigurer le visage de l’Eglise dans une tonalité encore plus universelle. Douze mois ponctués d’appels téléphoniques aux présidents et aux citoyens, de lettres et de télégrammes aux nonces de pays en guerre ou aux évêques de terres frappées par des catastrophes naturelles, d’entretiens et de biographies, de rencontres avec des représentants politiques, comme au G7 dans les Pouilles, ou avec les peuples martyrisés d’Ukraine et du Moyen-Orient, d’appels incessants à la paix, même lorsque sa voix faiblissait. Depuis la mi-février, c’est l’arrêt, la pause, la maladie, l’absence sur les places et aux fenêtres, la délégation à d’autres cardinaux pour présider les célébrations du Jubilé. Mais toujours avec l’espoir d’une complète guérison, alimenté par la prière, et la certitude de sa présence et de son regard de berger qui, entre soins et kinésithérapies, repos et prières, ne cesse de se reposer sur son troupeau.