
Pierre de Lauzun
Dans son Encyclique Fratelli tutti, au n. 123, le Pape François notait que «l’activité des entrepreneurs est une vocation noble orientée à produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous». Et il ajoutait: «Ces capacités des entrepreneurs, qui sont un don de Dieu, devraient être clairement ordonnées au développement des autres personnes». «A côté du droit de propriété privée, il y a toujours le principe, plus important et prioritaire, de la subordination de toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre».
Par contraste, on peut noter le très faible nombre et les limites des modèles offerts par la tradition chrétienne aux personnes actives dans la vie économique. Notamment, il n’existe pratiquement pas de saint ayant eu une activité économique au sens moderne, et canonisé comme tel. Le seul qui correspond véritablement est un marchand médiéval, Homebon de Crémone (Omobono Tucenghi). Un personnage intéressant, un vrai entrepreneur, réussissant dans ses affaires, à mi-chemin à l’époque entre le commerce et la finance; mort pauvre en 1197 non par défaut dans ses affaires, mais parce qu’il donnait beaucoup, notamment aux pauvres. A sa mort, le peuple de Crémone et l’évêque, convaincus de sa sainteté, ont aussitôt demandé sa canonisation, qui a été accordée presque immédiatement par le Pape Innocent iii (le même qui a reconnu saint François d’Assise). Mais il est resté surtout connu en Italie.
Le 24 juin 1997, saint Jean-Paul ii évoquait cette figure dans une lettre à l’évêque de Crémone, Mgr Nicolini, qui avait décidé dans son diocèse une année Omobono (Homebon). Le Pape soulignait qu’il était, en dehors des martyrs, le premier chrétien canonisé ni membre du clergé, ni de famille princière. Et il rappelait que la vie de ce saint était parlante pour notre temps, car il avait vécu l’Evangile dans son activité économique, à une époque de changements économiques et sociaux majeurs. Il le donnait comme exemple de sainteté pouvant être atteinte par tous.
De fait, cet exemple est de loin le premier de la canonisation d’un chrétien non martyr ayant vécu une vie ordinaire dans le monde. Et il n’est pas inintéressant de souligner que c’était un entrepreneur et un homme d’argent. Même si les textes de l’époque soulignaient la difficulté de parvenir à la sainteté en exerçant ces activités, ils montraient aussi, par cet exemple, que c’est possible. Il en est de même a fortiori pour des travailleurs de base.
Ce qui est étonnant, c’est que ce premier et admirable exemple n’ait pas été suivi, du moins en termes de canonisation et de béatification. On ne connait pas d’exemple comparable depuis, malgré le très grand nombre de celles-ci sous les derniers Papes. Bien entendu, on peut citer des saints qui ont été économiquement actifs (par exemple les époux Martin, parents de sainte Thérèse de Lisieux); mais leur sainteté ne s’y relie pas directement. Reste bien sûr saint Joseph artisan, mais il dépasse évidemment la seule pers-pective économique.
Or, il est possible de se sanc-tifier dans toute position. En outre, l’époque en a besoin. Appel à candidatures donc…