
Textes et photos: Marine Gauchard
La ville de Palerme, chef-lieu de la Sicile, est un véritable carrefour de la Méditerranée. En effet, elle a vu déferler de nombreux peuples entre ses murs: Phéniciens, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Normands, Espagnols… qui bien qu’ayant laissé chacun des traces de leur passage, ont respecté les constructions de leurs prédécesseurs, contribuant à créer une insolite richesse artistique. Et si Palerme est une ville aux mille visages, celui arabo-normand, qui mêle l’architecture romane à l’architecture arabe et byzantine, est assurément l’un des plus fascinants. C’est précisément cet héritage qui lui a valu l’inscription «Palerme arabo-normande» sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 2015.
L’itinéraire commence à proximité du centre-ville. Sur une des artères principales, qui traverse Palerme d’est en ouest, s’élève le duomo, qui fut construit au xiie siècle par le Normand Gautier Ophamil, à l’époque archevêque de Palerme. Comme chaque jour, les rues fourmillent de monde. Le grand parvis parsemé de palmiers donne des airs d’Orient, mais un coup d’œil à la façade de la cathédrale suffit pour remarquer les éléments gothiques et baroques. Chaque année, à l’occasion de la mémoire liturgique de sainte Rosalie — patronne de la ville — célébrée le 4 septembre, une statue de la santuzza, comme l’appellent affectueusement les Palermitains, est portée en procession et exposée sur la gauche du parvis. Avant d’entrer dans le lieu sacré, les plus observateurs remarqueront l’inscription en arabe sur une des colonnes du portique, un verset du Coran. En effet, l’actuelle cathédrale a été édifiée à l’emplacement d’une ancienne basilique byzantine transformée en mosquée au ixe siècle, avant que les Normands ne reprennent la ville deux siècles plus tard. L’intérieur de la cathédrale est plus sobre que l’extérieur. La magnifique fresque de l’abside, représentant Robert et Roger de Hauteville, premiers Normands de Sicile, ajoute une pointe de couleur au blanc des nefs et des voûtes, tout comme la splendide absidiole du Saint-Sacrement en lapis-lazuli. Un escalier mène à la crypte, qui accueille des sépultures d’époques romaine, byzantine et normande, mais le plus beau joyau se trouve dans la Salle du trésor. Celle-ci renferme la magnifique couronne de la reine Constance d’Aragon, une merveille de raffinement et d’élégance inspirée des couronnes impériales byzantines. A l’autre bout de l’édifice, un escalier en colimaçon mène sur les toits de la cathédrale, d’où il est possible d’admirer la complexité et l’hétérogénéité du monument et de bénéficier d’une magnifique vue sur le centre historique. Avant de sortir de la cathédrale, le parcours mène à des sarcophages en porphyre, où reposent des membres de la famille royale de Sicile.
Quelques centaines de mètres plus loin se trouve le monument le plus emblématique, et sans aucun doute unique, de la Palerme arabo-normande: la Chapelle palatine. Située au premier étage du Palais des Normands, elle fut construite entre 1130 et 1140 sur ordre du premier roi normand de Sicile, Roger ii, à des fins privées. Il faut traverser une jolie cour carrée encadrée par une superposition de colonnes puis emprunter l’escalier pour accéder à la chapelle. Le lieu est très lumineux, et il est possible d’apercevoir quelques mosaïques en or en passant devant la porte d’entrée avant de s’insérer dans la file d’attente des nombreux visiteurs. Il faut être patient, mais cela permet d’observer entretemps le mur extérieur de la chapelle, décoré de fresques et d’icônes de saints peintes en or. Dès que le seuil est franchi, la beauté du lieu submerge. La chapelle, qui fait 38 mètres de long, est décorée du sol au plafond. Des cycles de mosaïques byzantines en or recouvrent les murs, la chapelle brille de mille feux. Les colonnes de marbre, surplombées d’arcs brisés, qui rappellent l’art islamique, divisent la chapelle en trois nefs et mènent à la coupole. Un splendide Christ et des anges sont représentés. Un élément, et non des moindres, pique la curiosité: le plafond en bois sculpté à muqarnas, des éléments en forme d’alvéoles propres à l’architecture islamique, sur lesquels sont peintes des inscriptions en langue kufique. Cependant, le véritable chef-d’œuvre est encore à découvrir. Il s’agit du majestueux Christ Pantocrator, qui trône dans l’abside. C’est bien pour toutes ces raisons que Guy de Maupassant, dans La vie errante, définit l’édifice comme «merveille des merveilles (…) le plus surprenant bijou religieux rêvé par la pensée humaine et exécuté par des mains d’artiste».
Une autre étape immanquable de l’itinéraire arabo-normand de Palerme est le Palais de la Zisa. Moins connu que la chapelle ou la cathédrale, sa construction fut achevée par Guillaume i de Sicile, fils de Roger ii, comme résidence estivale en 1164. Son nom vient de l’arabe al-Azîza, qui signifie «la splendide». Et ce lieu porte bien son nom. Le jardin est verdoyant, les fontaines sont majestueuses, son orientation vers la mer permet de recevoir une brise fraîche les jours les plus chauds. Cette fois-ci, l’architecture est à dominance arabe, on y retrouve des muqarnas, des arcs brisés, des fenêtres avec moucharabieh, une cloison ajourée en bois typique de l’architecture des pays arabes, ainsi que de belles mosaïques colorées. Aujourd’hui, le Palais de la Zisa accueille le musée d’art islamique, où une riche collection d’objets datant de l’époque arabe de Sicile est exposée.
La Palerme arabo-normande est un très beau témoignage du mélange des cultures. Comme l’a si bien écrit le journaliste et écrivain italien Roberto Alajmo: «Palerme est comme un oignon. Elle est composée de couches. Pour chaque couche que vous enlevez, il en reste une autre à éplucher». Ce qui est sûr, c’est que Palerme, fruit vibrant de l’histoire, ne laisse personne indifférent.