Livres

L’enfance selon Bernarnos

 L’enfance selon Bernarnos  FRA-003
04 mars 2025

Charles de Pechpeyrou

En ce Jubilé de l’espérance, c’est un livre très à propos qu’écrit Christian Charrière-Bournazel, bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Paris. Georges Bernanos, pèlerin infatigable de l’espérance n’est ni une énième biographie de l’auteur du Journal d’un curé de campagne, si cher au Pape François, ni une savante dissection de la prose bernanosienne. L’ouvrage tient davantage de la déambulation littéraire à travers l’œuvre du grand écrivain, avec l’enfance pour horizon. Au fil des pages, l’analyse des personnages se mue en méditation inspirée sur l’esprit de jeunesse : «Ce qui caractérise l’esprit d’enfance et l’esprit de jeunesse — écrit Charrière-Bournazel — c’est la capacité de l’âme à s’indigner et à espérer». Ou encore: «Ce qui caractérise surtout les saints de Bernanos, c’est cet esprit de jeunesse ou d’enfance, conquis ou préservé, par-delà les ténèbres de l’adolescence, auquel est liée une espérance qui ne saurait faillir».

Car, au fond, qu’est-ce que l’esprit d’enfance? Loin d’une approche qui voudrait que l’enfant, infans, soit «celui qui ne parle pas» comme le suggère l'étymologie et comme le voulait le droit romain, l’enfance telle qu’il en est question dans l’Evangile et dans l’œuvre de Bernanos, grand lecteur de la Bible, est à comprendre à travers ce qu’en dit le Christ dans l’Evangile selon saint Matthieu: «Celui qui se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le premier dans le royaume des Cieux». C’est une disposition d’âme et d’esprit qui tient moins de la nostalgie du paradis perdu que de l’appel à la sainteté. «Aux antipodes de l’esprit d’enfance — poursuit Charrière-Bournazel — se situent les vieillards, les imbéciles, les imposteurs, les notables gavés d’illusions: “Si loin que je remonte vers le passé, écrit Bernanos, je ne me souviens pas d’avoir eu beaucoup d’illusions. L’illusion, c’est le rêve à bon marché, fil et coton, le rêve trop souvent greffé sur une expérience précoce, le rêve des notaires futurs”. Bernanos disait d’ailleurs que, s’il avait à recommencer sa vie, il tâcherait de refaire ses rêves encore plus grands “parce que la vie est infiniment plus grande et plus belle que je n’avais cru, même en rêve, et moi plus petit”. L’enfant bernanosien rêve de saints et de héros, “négligeant les formes intermédiaires de notre espèce”».

Si l’enfant est le dépositaire privilégié de l’esprit d’enfance, par sa capacité innée à se concentrer sur l’essentiel, il peut exister des jeunes précocement vieux, ramollis par un embourgeoisement du cœur et de l’esprit, qui a tué en eux la capacité de s’élancer au-delà des désirs matériels et égocentrés, et, à l'inverse des adultes qui sont restés jeunes à l’instar du curé d’Ambricourt, qui espère jusqu’à son dernier souffle. Ces derniers sont les témoins pour notre monde déchiré par la violence. Dans cet «étonnant xxe siècle tout assombri de crimes et ruisselant du sang répandu — conclut l’auteur — se font face, dans une confrontation quasi manichéenne, Jean-Paul Sartre et Georges Bernanos. Sartre qui, sur les ruines d’un humanisme mort au fond des tranchées, s’était façonné une philosophie du désespoir fait dire à l’un de ses personnages dans Huis Clos: “L’enfer, c’est les autres!” A cette voix glacée s’oppose jusqu’à l’étouffer, la vibrante voix de Bernanos faisant dire au petit curé d’Ambricourt: “L’enfer, Madame, c’est de ne plus aimer!”». A méditer.

Bernanos, pèlerin infatigable de l’espérance, Christian Charrière-Bournazel, éditions Marie Romaine, -février 2025, 264 pages, 20 euros