FEMMES EGLISE MONDE

L’écoute des hommes violents

 L’ascolto degli uomini maltrattanti  DCM-010
31 octobre 2024

J’ai écrit un livre sur la violence de genre sans le vouloir. Sans le vouloir, parce que ma motivation immédiate n’était pas de traiter le sujet, mais d’essayer de comprendre quelque chose qui m’avait surprise, à savoir la discordance absolue entre la vision d’une femme que, pour parler franchement, je définis comme « forte » (indépendante, réceptive, capable) et la façon dont j’imaginais une femme victime de violence. Je crois que le mot victime nous égare toujours, parce qu’il contient un jugement, nous incite à imaginer une personne fragile, soumise. Moi aussi, donc, victime de préjugés, intriguée par le contraste évident entre le stéréotype de la femme victime de violence que j’avais en tête et le tempérament manifesté par Luciana Cristallo lors de l’interview qu’elle a accordée à la journaliste Franca Leosini pour la télévision publique italienne, j'ai commencé à entrer dans la vie des protagonistes de l’histoire, en essayant de les approcher sans préjugés, d’étudier simplement l’histoire de deux êtres humains, lui physiquement violent et elle qui en souffre et le subit. Qui souffre et pardonne. Pendant vingt ans. Lorsque j’ai commencé à écrire ce livre, j'étais persuadée que je prendrais le parti de la femme. Cependant, en étudiant les milliers de pages de documents judiciaires, il m’a semblé intercepter les motivations qui ont poussé Domenico (c’est le nom du mari) à user de violence à l’égard de sa femme. Il ne s’agit évidemment pas de justifier ses actes, mais simplement de trouver une méthode et, peut-être, un moyen plus efficace que le procès pour affronter la question de la violence. En d’autres termes, je me suis forgé l’idée que ce n’est qu’en enquêtant minutieusement sur ce qui fait agir les mains des hommes – de chaque homme, dans chaque histoire particulière et unique – et sur ce qui contraint indirectement les femmes à rester à leurs côtés, que nous pourrons entrevoir une solution à la production et à la reproduction de ces dynamiques.

D’une manière générale, la seule révolution réussie du 20ᵉ siècle, la révolution féministe, a eu des conséquences et produit encore aujourd’hui des hommes qui ne sont pas préparés à l’autonomie de leurs compagnes, et qui réagissent violemment à une liberté qu’ils peuvent superficiellement faire semblant d’accepter, en suivant le mouvement du politiquement correct (pour ne parler que de la culture occidentale contemporaine). Le politiquement correct, s’il est seulement pratiqué en paroles, est en effet dangereux. Si nous avions interrogé Domenico, nous aurions découvert qu’il avait appris à répondre que Luciana avait le même droit que lui à la liberté. Mais dans les faits, en revanche, il ne le pensait tout simplement pas. Ses mains, tout son corps, ne le pensaient pas. En ce qui concerne l’unité psychophysique nommée Domenico, il y a un moment dans le livre où je me tourne vers ceux qui l’ont affronté, ceux qui l’ont connu, et je leur demande pourquoi personne ne l’a arrêté, ou ne l’a aidé à s’arrêter. La question reste évidemment sans réponse.
L’histoire se déroule malheureusement dans une période où la figure féminine est encore imprégnée du comportement sacrificiel qu’elle a accepté pendant des siècles, principalement en raison de sa dépendance économique à l’égard de son mari. Chez les Bruno (l’utilisation du nom de famille de son mari pour définir la cellule familiale n’est pas un hasard), à partir d’un certain moment, c’est Luciana qui subvient aux besoins de la famille, mais toute la structure socio-culturelle de notre pays n’a pas encore digéré et concrétisé l’élan féministe vers une équité réelle, concrète, quotidienne et multiforme. Il faut beaucoup de temps pour que les acquis sociaux et législatifs deviennent quelque chose de vécu par tous, dans les lieux les plus reculés de chaque pays. Et Domenico – c’est ce que disent les faits – comme tant d’hommes de sa génération, considérait encore le corps et la vie de sa femme comme sa propriété. La propriété de Domenico, je me dois hélas de préciser.
C’est pourquoi je suis convaincue que des lieux tels que les c.a.m., les Centres d’écoute des hommes maltraitants (une organisation à but non lucratif créée à Florence en novembre 2009, qui a ouvert d’autres antennes dans tout le pays en 2014), qui se multiplient en Italie, constituent une grande impulsion vers un avenir plus équilibré. L’homme y est accueilli sans jugement ni préjugé, mis en situation d’apprendre à se comprendre et à comprendre ses propres tensions et conflits, avant qu’ils n’éclatent en violence concrète. Nous contenons tous du mal et du bien, et accueillir l’autre, savoir profondément que l’autre a les mêmes droits que nous, est d’abord le résultat d’une décision, puis d’un exercice quotidien, c’est le résultat d’un apprentissage, car sinon nous serions conduits par la partie la plus ancienne de notre nature à attaquer ceux qui menacent nos frontières ou nos biens. Ainsi, comme je l’écris dans le livre, il est crucial d’intercepter les signaux d’empiétement de la partie reptilienne, instinctive et agressive sur partie contrôlée et civilisée de nous-mêmes.

Nous devons apprendre à reconnaître le moment où le serpent primordial se déroule en nous. Et l’arrêter, avant qu’il ne prenne le contrôle de notre personne, le repousser dans ses propres ténèbres et en faire autre chose. Peut-être de l’art, peut-être du sport. Jusqu’à ce que l’apprentissage du respect, lentement, jour après jour, année après année, devienne biologie, spontanéité, habitude. Et que l’on découvre, enfin, la joie de le faire. C’est la victoire sur l’atroce solitude des personnes qui contrôlent la vie de ceux qu’ils aiment. Aveuglément. Sans les voir.

Maria Grazia Calandrone