Forum à Rome sur le rôle et l’autorité de l’évêque dans une Eglise synodale

Sur une ligne de crête

 Sur une ligne de crête  FRA-042
17 octobre 2024

En marge du Synode s’est tenu, le 9 octobre à l’Institut pontifical patristique «Augustinianum» de Rome, un forum intitulé «Le rôle et l’autorité d’un évêque dans une Eglise synodale». Parmi les intervenants se trouvait le père Gilles Routhier, professeur d’ecclésiologie et de théologie pratique à l’Université de Laval, au Québec. Nous publions des extraits de son discours.

Pour parler d’un évêque dans une Eglise synodale, il est utile de rappeler les diverses prépositions qui définissent sa place dans les textes conciliaires: «dans le Peuple de Dieu», «pour le Peuple de Dieu», «avec le peuple fidèle», «au milieu de tous les baptisés», «frère parmi ses frères». Ce qu’enseigne le Concile Vatican ii à propos de la relation des prêtres à l’Eglise peut l’être, mutatis mutandis de l’évêque: «Le sacrement de l’Ordre confère aux prêtres de la Nouvelle Alliance une fonction éminente et indispensable dans et pour le peuple de Dieu, celle de pères et de docteurs. Cependant, avec tous les chrétiens, ils sont des disciples du Seigneur, que la grâce de l’appel de Dieu a fait participer à son Royaume. Au milieu de tous les baptisés, les prêtres sont des frères parmi leurs frères, membres de l’ultime et même Corps du Christ dont la construction a été confiée à tous». Cela renvoie en quelque sorte aux trois positions que le Pape François lui indique: devant pour guider, au milieu pour encourager et ne pas oublier l’odeur du troupeau, derrière car le peuple a aussi du «flair». Une seule préposition ne suffit pas à indiquer sa place puisqu’il occupe plus d’une position.

Généralement, l’évêque se définit comme «à la tête de», «pour», «devant», mais rarement «avec», «parmi», «au milieu de». L’apprentissage de la vie synodale conduit à intégrer dans son ministère toutes ces positions et de les tenir en équilibre.

Ces prépositions, on les retrouve dans la Présentation générale du Missel romain (édition 1969), qui indique que l’évêque est situé «dans» le Peuple de Dieu, agit «avec» lui, prie «au nom de» l’assemblée réunit et exerce son ministère «pour» son Eglise; enfin, se tient «devant» le Peuple de Dieu. C’est ainsi que l’on peut circonscrire la position complexe de l’évêque dans l’assemblée chrétienne. S’il «préside l’assemblée» ou le «Peuple de Dieu» ou s’il «est à la tête de l'assemblée», il n’est toutefois pas autonome par rapport à cette assemblée à laquelle il préside et avec laquelle il dialogue constamment. Jamais il n’en est séparé.

[…]

Le n. 60 de la Présentation du missel joue sur des registres complémentaires: le prêtre est «dans» et «à la tête de». Le président se tient donc sur une ligne de crête. Dans l’assemblée, associé à tout le peuple et participant au même pain, il manifeste également la distance, la souveraineté et la dépendance de l’Eglise par rapport au Christ.

La description que fait la Présentation de la célébration de la parole indique bien la structure communionnelle et ministérielle de l’Eglise. Il écoute «avec» toute l’assemblée la Parole et y répond, mêlant sa voix à celle de tous les fidèles dans le chant du Psaume et dans la récitation du Symbole. Dans la célébration, Dieu adresse sa parole à tout son peuple (n. 33), parle lui-même à son peuple (n. 9) et c’est pour tous les fidèles que la table de la parole est dressée (n. 8 et 34). Le ministre fait corps avec l’Ecclesia pour écouter la Parole, la méditer en silence, y adhérer et pour en être nourri et restauré. Toutefois, au cours de la liturgie de la parole, le ministre se tient devant l’assemblée, au nom du Christ, pour lui adresser l’Evangile (n. 34) et pour donner l’homélie (n. 42). Il assure ainsi la communion dans la foi avec ce qui vient des apôtres (apostolicité) et il ouvre son Eglise à la foi professée par toutes les Eglises (catholicité).

Au moment de la proclamation de l’Evangile, l’Ecclesia prend encore conscience de sa dépendance par rapport à son Seigneur. Elle reçoit d’un autre l’annonce du salut. C’est un ministre qui proclame l’Evangile et qui l’actualise par la prédication. Le numéro 33 décrit la liturgie de la parole comme un dialogue entre Dieu et son peuple. La parole adressée est suivie de refrains, d’acclamations, de la récitation du Symbole et de la Prière universelle. L’annonce du salut, au cours de laquelle le président a un rôle original, est scellée dans l’adhésion de tout le peuple qui écoute la Parole et qui y répond.

Situé «dans» l’Eglise et «vis-à-vis» d’elle, le ministre est ordonné à son service; «Lorsqu’il célèbre, il doit servir Dieu et le peuple». Il agit «avec», «au nom de» et «pour» cette Eglise qu’il a la charge de présider.

Ces différentes positions commandent diverses manières d’articuler le ministère avec le reste de l’Ecclesia. Elles constituent autant d’indications pour la théologie du ministère épiscopal et pour la synodalité. Jamais la liturgie ne dissocie l’exercice du ministère de la participation des autres membres de l’assemblée: l’évêque n’agit pas de manière autonome, bien qu’il ait une fonction propre.

Ce n’est que dans son articulation avec l’ensemble de la famille de Dieu rassemblée qu’on peut trouver une juste compréhension de son ministère et ce n’est que dans leur participation différenciée, complémentaire et conjointe à une action commune que la totalité des charismes signifient l’Eglise. Ce n’est que dans l’articulation de l’un, tous et quelques-uns que se laisse voir avec plus de clarté et de transparence ce qu’est l’Eglise en son mystère: une communion.

Le principe synodal n’annule pas la structure hiérarchique de l’Eglise, comme certains le craignent, mais la situe dans l’Eglise, comme le fait le Concile Vatican ii et comme cela est vécu dans la célébration de l’Eucharistie. Le canon 466 du Code de droit canonique présente cette inscription de l’évêque dans le peuple de Dieu tout en affirmant la spécificité du ministère épiscopal et sa dépendance par rapport au synode: «Dans le synode diocésain l’évêque diocésain est l’unique législateur, les autres membres du synode ne possédant que voix con-sultative; lui-même signe seul les déclarations et les décrets du synode (et non les siens propres) qui ne peuvent être publiés que par son autorité. L’évêque ne peut agir seul et le synode ne peut agir sans l’évêque. Comme l’affirment plusieurs déclarations résultant des dialogues œcuméniques, l’exercice de son ministère comporte à la fois personnel, collégial et communautaire (Conseil œcuménique des Eglises, Baptême, Eucharistie, Ministère, 1982, n. 26-27).

De façon synthétique, nous pourrions conclure en reprenant le mot de la commission mixte catholique romaine-orthodoxe (Document de Munich, 1982) qui résume bien ce que nous avons observé ici: «L’évêque préside à l’oblation qui est celle de sa communauté tout entière. Consacrant les dons pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang que la communauté offre, il célèbre non seulement pour elle ni seulement avec elle et en elle, mais par elle.

Gilles Routhier