Entretien avec le porte-parole d’Unicef Italie sur la situation des enfants dans le monde entre guerres et pauvreté mais aussi accueil et renaissance

Des lumières d’espérance dans l’obscurité de l’histoire

Children watch as mourners carry the bodies of three Palestinians who were killed in an Israeli ...
18 juillet 2024

Affamés, pauvres, victimes de guerres, de violences, d’abus. Ou encore traumatisés, déplacés, discriminés, privés de leurs droits. Ce sont les enfants du monde, de notre monde, de notre époque. Sur une population mondiale de huit milliards, environ deux milliards sont composés de mineurs âgés de 0 à 14 ans.Un nombre important, donc. Pourtant, l’époque historique actuelle semble les avoir oubliés, et elle semble même avoir délibérément détourné le regard. «Depuis 1946 et jusqu’à aujourd’hui — affirme en liaison téléphonique avec notre journal Andrea Iacomini, porte-parole d’Unicef Italie — nous vivons la pire période historique que l’enfance ait jamais connue. Non seulement parce que traversée par des guerres et des conflits sanglants — il suffit de citer la bande de Gaza, l’Ukraine, mais aussi la Syrie et le Yémen, le Soudan — mais précisément parce qu’il subsiste un circuit négatif dans lequel se trouve l’enfance au niveau mondial». Andrea Iacomini cite, à ce propos, «les    500 millions d’enfants qui vivent dans des zones de guerre, dans des situations de conflits plus ou moins graves et dont on parle à peine». Et le problème n’est pas seulement celui des mineurs tués ou blessés, mais également de ceux «qui sont profondément traumatisés, ajoute-t-il. La situation du milliard d’enfants qui vivent aujourd’hui dans 33 pays à risque climatique est tout aussi dramatique: je pense à l’Afrique centrale et au sud-est asiatique, victimes de sécheresse et d’inondations. Enfin, la malnutrition: la malnutrition sévère est en augmentation et, dans de nombreux pays, elle n’a pas diminué depuis le covid et jusqu’à aujourd’hui, devenant de fait le principal facteur de mortalité chez les enfants de moins de 2 ans».

En Europe, la situation n’est guère meilleure: le dernier rapport de l’Unicef sur la condition des mineurs dans l’Union européenne, publié en mars, souligne qu’un enfant sur quatre dans les pays de l’Union est à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, soit une augmentation de près de un million depuis 2019. En outre, sur le même territoire, on compte plus de 11 millions d’enfants souffrant de problèmes liés à la santé mentale. C’est l’un des principaux effets négatifs provoqués par la pandémie de covid. «Parmi les jeunes — explique Andrea Iacomini — il existe un taux élevé de suicides et de graves problèmes liés à l’adolescence qui n’avait jamais été enregistré auparavant sur le continent. Tout cela fait qu’aujourd’hui encore, plus de 3 millions d’enfants risquent de mourir chaque jour de causes prévisibles ou curables». Sans oublier qu’actuellement, on enregistre dans le monde 1,4 milliard d’enfants de 0 à 15 ans n’ayant aucune forme de protection sociale.

Les conditions différentes dans lesquelles vivent les enfants dans divers pays du monde sont également cruciales: le porte-parole de l’Unicef rappelle qu’aujourd’hui, dans le monde, on compte «700 millions de petites filles mariées, c’est-à-dire de mineures contraintes à se marier avant l’âge de 18 ans». Ce phénomène a connu une augmentation après la pandémie, notamment à cause de l’aggravation de la «pauvreté, la restriction des droits et le désespoir provoqués par les guerres ou les catastrophes naturelles. Les mutilations génitales féminines sont également graves: aujourd’hui, encore 200 millions de femmes et de petites filles en sont encore victimes dans le monde».

Un autre point sensible est l’accès à l’instruction. «Le droit à l’instruction est la clé de tout, affirme Andrea Iacomini. Une société qui fait grandir un enfant instruit est une société qui a un avenir et qui peut miser sur celui-ci. Lorsque l’on ne mise pas sur l’instruction parce que les enfants ne peuvent pas aller à l’école pour diverses raisons, c’est là que ce qu’il y a de pire se produit. Par ailleurs, il s’agit là de l’une des données les plus alarmantes de la période post-covid, qui a provoqué un taux élevé d’abandon des études. Mais un enfant conscient est aussi un un enfant qui non seulement s’aide lui-même à grandir, mais aide aussi l’économie de son pays. Les mineurs instruits, ceux qui ne sont pas placés en marge de la société, en effet, contribuent au pib de leur pays de façon déterminante». A propos de négation de l’instruction, le porte-parole de l’Unicef s’arrête sur le cas de l’Afghanistan où, depuis le retour des talibans au pouvoir en août 2021, le droit à l’instruction et d’autres droits fondamentaux des femmes, des jeunes filles et des petites filles, ont été peu à peu «réduits de façon impressionnante. Et 15% d’entre elles sont contraintes de se marier avant même d’avoir 13 ans».

Dans Bande de Gaza, dévastée depuis le 7 octobre par un violent conflit entre Israël et le Hamas, le scénario est encore plus dramatique: selon les données de l’Unicef, 8 écoles sur 10 ont été détruites ou endommagées. Ce qui signifie que, depuis six mois, les enfants de Gaza n’apprennent pas, ne jouent pas, n’ont aucun point de référence, et finissent toujours plus exposés au risque d’exploitation, d’abus, du travail des mineurs ou de mariage précoce. Sans oublier les pays touchés par des inondations ou des tremblements de terre, comme la Libye et la Turquie, frappées l’an dernier par des catastrophes naturelles qui ont eu de graves répercussions sur la population plus jeune.

La pensée d’Andrea Iacomini va ensuite aux plus de «deux mille enfants migrants morts en Méditerranée au cours des dix dernières années»: il s’agit d’un «nombre tout à fait relatif», étant donné les difficultés d’effectuer un recensement exact des victimes. Mais, parmi toutes les petites vies englouties par la mer et dispersées dans les flots, Andrea Iacomini en cite une, avec une émotion particulière: «Dans un port de Turquie, je me souviens d’avoir rencontré un père d’origine syrienne. Il allait s’embarquer pour un “voyage de l’espérance” vers la Grèce et il continuait de jeter son fils à l’eau, même si l’enfant ne savait pas nager. Nous autres de l’Unicef avons tenté à plusieurs reprises de l’arrêter, parce que nous pensions qu’il voulait accomplir un geste insensé, nous pensions qu’il voulait le tuer. En revanche, ce père, en nous regardant dans les yeux, nous a expliqué qu’il essayait d’apprendre à nager à son fils. Il savait que, une fois à bord d’une embarcation, en cas de naufrage, il n’aurait pas réussi à le sauver». «Quelque temps plus tard — ajoute Andrea Iacomini après un temps de silence — sur l’île de Lesbos, nos équipes ont rencontré à nouveau ce père, mais cet enfant, auquel il avait essayé d’apprendre à nager, n’était plus là. Il était mort dans le naufrage de l’embarcation».

Au milieu de toutes ces ombres, toutefois, le porte-parole de l’Unicef entrevoit aussi des lueurs d’espérance. Des lueurs concrètes, allumées par exemple à Lampedusa, terre de débarquements désespérés: «L’équipe de l’Unicef qui opère sur cette île sicilienne nous rapporte constamment des histoires extraordinaires de jeunes qui sont arrivés comme migrants et qui ont ensuite été intégrés, ont étudié, certains sont devenus footballeurs, d’autres se sont inscrits à l’université, raconte-t-il avec enthousiasme. Et il existe un très beau projet de l’Unicef qui prévoit de placer ces enfants dans des familles italiennes. Cela permet à ces jeunes de se sentir aimés, tout en maintenant leurs racines dans leur pays. Le placement dans des familles est une forme extraordinaire d’amour et d’espérance pour ces jeunes qui ne cherchent rien d’autre qu’une vie meilleure». «Parce que eux aussi — conclut Andrea Iacomini — méritent les mêmes opportunités que nous».

Isabella Piro