FEMMES EGLISE MONDE

Entre tradition et innovation : la spiritualité féminine à l'écran

Cinéma et sacré:
l'effet des femmes

 Cinema e sacro:  DCM-007
06 juillet 2024

Cinéma et foi. Une union qui existe depuis la naissance du septième art, inventé en France par les frères Lumière à la fin du XIXe siècle et destiné à s'imposer avec une incisivité croissante dans la vie sociale et dans l'imaginaire collectif. Si le premier « film » à sujet religieux de l'histoire fut un très court documentaire réalisé en 1896 à l'intérieur du Palais apostolique, mettant en scène le Pape Léon XIII filmé en train de bénir la foule, tout au long du XXe siècle puis du nouveau millénaire, la spiritualité fut une protagoniste constante de l'écran : Carl Theodor Dreyer, Georges Méliès, Robert Bresson, Ingmar Bergman, Andréj Tarkovskij, Luis Buñuel, Pierpaolo Pasolini, Krzysztof Kieslowski, Ermanno Olmi, Krzysztof Zanussi ont été les maîtres d'un cinéma explicitement tourné vers le sacré. Mais des échos de religiosité (plus ou moins conscients, souvent perceptibles dans la vision pourtant  ouvertement laïque du cinéaste) résonnent également dans l'œuvre de Roberto Rossellini, Woody Allen, Martin Scorsese, Liliana Cavani, Franco Zeffirelli, Luigi Comencini, Alessandro D'Alatri, Jean Delannoy, Norman Jewison, David Greene, Robert Hossein, Pupi Avati, et Alice Rohrwacher, la cinéaste italienne actuellement la plus appréciée dans le monde. Et aujourd'hui encore, les biographies de saints, les reconstitutions de la Passion, les dénonciations, les scandales, les épopées bibliques, les miracles et les martyres racontés à travers les productions à gros budget, dans un genre provocateur ou musical, continuent de s'imposer dans les films, avec des résultats plus ou moins appréciables.

Dans ce scénario, les figures féminines ont toujours joué un rôle de premier plan : des saintes, des religieuses, la Vierge Marie elle-même ont été les protagonistes d'innombrables films qui, réalisés à différentes époques, ont marqué les esprits, suscité le scandale ou simplement fait parler d'eux. Et à vrai dire, aussi bien lorsque l'intention de l'auteur était uniquement  hagiographique que lorsque l'esprit de dénonciation prévalait, les figures religieuses du cinéma ne se sont pas trop éloignées de la représentation traditionnelle, parfois stéréotypée, et de l'iconographie religieuse. Cependant, l'évolution de la société, la prise de conscience croissante des femmes et l'urgence de redonner une place centrale à la présence féminine, même dans le domaine spirituel et ecclésiastique, ont donné naissance à une nouvelle façon de représenter à l'écran les saintes, les femmes consacrées et la Vierge Marie elle-même. Afin de les saisir dans un contexte actualisé, jamais comme des êtres subalternes mais en protagonistes conscientes de leur propre destin.

Un film qui s'inscrit dans cette tendance est Maternal, réalisé en 2019 par Maura Delpero : la figure centrale est une jeune religieuse de Buenos Aires qui, engagée dans l'assistance aux mères célibataires en difficulté, est confrontée à son propre instinct de maternité refoulé, qu'elle ressent très profondément mais qu'elle considère comme étant en conflit avec sa vocation. La réalisatrice aborde le tourment intérieur de la protagoniste avec respect et délicatesse, sans rechercher le sensationnalisme ou le scandale. Et c'est un grand pas en avant par rapport à un cinéma qui, dans le passé, a regardé le monde religieux féminin avec une curiosité parfois morbide, souvent en utilisant des clichés, à la recherche du pittoresque ou du sensationnel : nous avons eu des religieuses enquêtrices, dansantes et chantantes (La mélodie du bonheur, Sister Act, Dominique), scandaleusement hystériques (Les diables), comiquement méchantes (The Blues Brothers), voire même dans une veine horror (The Nun) ou perverse (Benedetta de Paul Verhoeven, déjà réalisateur de Basic Instinct, ce qui n'est pas une coïncidence). Il y a aussi des nonnes chrétiennement au service des irrécupérables (Dead Man Walking), ou inhumaines (Magdalene), déchirées par des dilemmes moraux (Doute), en proie à des visions et à des troubles sur lesquels enquête une psychiatre (Agnès de Dieu).  « Un film comme Maternal représente un regard complètement neuf sur la vie consacrée à une époque où la figure de la religieuse disparaît de l'horizon social ou devient la protagoniste de publicités controversées (cf. la publicité irrespectueuse, retirée à la suite des protestations générales, dans laquelle une religieuse remplace l'hostie consacrée par une chips, ndlr) », explique Mgr David Milani, président de la Fondazione Ente dello Spettacolo et directeur de la Rivista del Cinematografo, « la réalisatrice reconnaît un rôle social à la protagoniste qui, en prenant le voile, renonce à un aspect important de la féminité, la possibilité d'avoir des enfants, mais inaugure en même temps une manière différente d'être mère parce qu'elle accueille la maternité des autres. Le thème du corps n'est donc pas nié mais devient une  partie d'une spiritualité très incarnée qui, dans une vision profondément chrétienne, s'exprime non seulement dans la prière mais aussi dans les choix ». Dans l'histoire du cinéma, les films consacrés aux saintes ne se comptent plus. La force et la pureté de Jeanne d'Arc en ont inspiré pas moins de 17, d'Exécution, tourné en 1898, à Joan the Woman de Cecil B. DeMille (1916), en passant par le premier véritable chef-d'œuvre La Passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer (1928), tandis que la grande actrice suédoise Ingrid Bergman a incarné la Pucelle d'Orléans à deux reprises : en 1948 dans Jeanne d'Arc de Victor Fleming, puis en 1954 dans Jeanne au bûcher de Rossellini. Otto Preminger, Bresson, Jacques Rivette et même Besson, qui a transformé la sainte guerrière en exaltée avec le visage de la star Milla Jovovich, la porteront plus tard à l'écran. Bernadette Soubirous, la petite sainte de Lourdes, a également connu plusieurs versions cinématographiques, mais la plus célèbre est la version hollywoodienne interprétée en 1943 par la star Jennifer Jones (Bernadette, réalisé par Henry King).  Et Thérèse de Lisieux a inspiré plus d'un réalisateur : le meilleur de tous a été le réalisateur français Alain Cavalier qui, dans Thérèse, un film de 1986, a rendu avec simplicité, rigueur et profondeur le mysticisme de la sainte qui découvrit sa vocation à l'âge de 15 ans et mourut à 24 ans seulement après avoir consacré son existence à Dieu. Mais pour en venir à des temps plus récents, la revisitation féminine et même féministe des thèmes spirituels a donné naissance, il y a deux ans, à Chiara, consacré à la sainte d'Assise et réalisé par Susanna Nicchiarelli, qui a pu compter sur les conseils de l'historienne médiéviste Chiara Frugoni. « Je considère ce film comme très réussi. La réalisatrice n'est pas partie de la foi mais de sa vision laïque du monde pour approcher la sainte, ce qui conclut, après Nico, 1988 consacré à la chanteuse de rock allemande et Miss Marx sur l'héritière du père du socialisme, son intéressante trilogie consacrée à des personnages féminins significatifs pour l'époque moderne », a commenté Don Milani. Susanna Nicchiarelli a raconté Chiara à un moment historique particulier, le Moyen-Âge, où les femmes n'étaient pas des protagonistes, ni dans la société ni dans l'Eglise. Mais la sainte réussit à renverser les règles de l'époque en menant une authentique révolution qui transforme l'Eglise et laisse une trace profonde dans l'histoire.  La réalisatrice met également en avant le thème de la sororité, très important dans la parabole spirituelle et humaine de Claire. Elle respecte le mystère, aborde aussi très bien le thème du miracle et, excellent choix, fait jouer les acteurs en langue vernaculaire de l'époque.

Le cinéma s'est ensuite inspiré à plusieurs reprises de la figure de Marie. Dans L'Evangile selon Matthieu (1964), Pier Paolo Pasolini a confié le rôle de la mère du Christ à sa propre mère Susanna Colussi, une femme simple marquée par la douleur de la perte d'un fils, le frère de l'écrivain tué pendant la Résistance. La Madone (interprétée par l'actrice israélienne Maia Morgenstern), protagoniste de La Passion du Christ, le film de Mel Gibson qui a fait couler beaucoup d'encre en 2004, est elle aussi imprégnée de souffrance. Et si l'intention provocatrice de Jean-Luc Godard est évidente dans le film de 1984 Je vous salue, Marie, une réinterprétation de l'Immaculée Conception (le film fut bloqué pour insulte à la religion), L'Evangile selon Marie, réalisé par Paolo Zucca, consacré à une Vierge trop humaine, assoiffée de connaissance et fuyant les impositions du patriarcat, est sorti récemment dans les salles de cinéma. Il s'agit d'une reconversion des Saintes Ecritures dans une interprétation féministe, liée à la pensée dominante d'aujourd'hui : le film s'inspire en effet du roman du même nom de l'écrivaine italienne Barbara Alberti, qui fit scandale en 1979. C'étaient les années du féminisme militant et Alberti imagine une protagoniste tellement en phase avec son temps qu'elle se rebelle contre le plan de Dieu, considérant qu'il s'agit d'un destin qu'elle n'a pas cherché. Mais ce film, entièrement tourné dans la Sardaigne la plus archaïque et la plus sauvage, a un autre épilogue et Marie (interprétée par Benedetta Porcaroli) finit par l'accepter avec l'aide de Saint Joseph (Alessandro Gassmann) qu'elle a choisi comme maître de vie et de connaissance. Selon Don Milani, « le désir de raconter l'humanité de la Vierge est intéressant, mais si nous appliquons à la Vierge des suggestions et des idéologies « étrangères », le résultat nous éloignera du point de départ. Et nous ne pourrons plus parler de l'Evangile selon Marie : comme les évangiles apocryphes, le film se propose de raconter des histoires que nous ne connaissons pas, mais il tourne autour d'une femme qui n'est pas la Vierge Marie et qui n'a avec la mère de Dieu qu'un certain rapport ». Selon le président de l'Ente dello Spettacolo, « c'est une tendance actuelle et somme toute légitime de vouloir humaniser des figures liées au divin, mais il faut veiller à ne pas les amoindrir, en les dénaturant".

« Le don le plus précieux que Joseph offre à Marie –  telle est l'opinion de Linda Pocher, théologienne salésienne, qui en parle dans l'Osservatore Romano –  est la capacité de promouvoir son autonomie, de la respecter et de la traiter comme une égale, offrant ainsi un espace d'expansion à ses revendications proto-féministes. Dans ce couple, pourtant éloigné de notre imagerie religieuse commune, le film réalise la recomposition de l'alliance entre l'homme et la femme qui a toujours fait partie du projet créateur de Dieu. Et même si c'était la seule bonne nouvelle du film, cela suffirait déjà pour le projeter dans les cinémas et les salles paroissiales ».

Enfin, en ce qui concerne le regard  laïc sur les personnages et les thèmes spirituels, deux réalisatrices qui ont approché le sacré en tant qu'incroyantes viennent à l'esprit :  Liliana Cavani (91 ans, qui a consacré deux films et une mini-série télévisée à la figure de saint François et le documentaire Clarisse aux sœurs de clôture), et Alice Rohrwacher (42 ans, qui est devenue célèbre à l'étranger ces dernières années avec des films comme  Corpo celeste, centré sur les cours de catéchisme et La Chimera, suspendu entre la vie et l'au-delà et consacré au caractère sacré de la mémoire) n'ont jamais cessé d'explorer la dimension transcendante de l'existence. La réalisatrice a également situé le court métrage Le Pupille,  primé aux Oscars, dans un couvent de religieuses. 

 Gloria Satta