Points De Réflexion
Autorité, pouvoir, soin. En réunissant ces trois mots sur une même portée, on obtiendrait une partition musicale capable de rythmer le cours de l'histoire, celle des institutions et celle des personnes, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Eglise. Surtout, on comprendrait quelque chose de plus dans les relations entre l’univers masculin et celui féminin, les tensions qui les traversent et la volonté de trouver un nouvel équilibre qui restitue sa dignité à chacun et, en premier lieu, aux femmes.
En examinant de plus près la vie de l'Eglise, il apparaît de plus en plus clairement que les cadences et les tonalités de cette combinaison particulière de concepts ont été exprimées de temps à autre de différentes manières et ont donné lieu à des modèles forts divers entre eux. Elles ont soulevé des questions qui renvoient à des problèmes fondamentaux concernant la compréhension de l'Eglise à laquelle on a affaire ou les rêves d'Eglise que l'on souhaite cultiver et mettre en œuvre.
Ce n'est pas un hasard si c'est précisément le nœud de ces trois ganglions vitaux qui a servi à tisser les différents vecteurs dans l'articulation des réflexions, des discussions et des décisions du récent « Chemin synodal » (Synodaler Weg) de l'Eglise catholique en Allemagne. Au cours des années qui l'ont vue à l'œuvre (depuis son lancement en 2019 jusqu'à la cinquième et dernière assemblée générale en mars 2023), le chemin synodal a cherché à se positionner comme un puissant effort de renouveau dans et de l'Eglise, renouant, même sans nier les tensions et les différences, les divers secteurs de la communauté ecclésiale pour réfléchir sur leur propre identité et sur leur propre destin.
Articulé autour de quatre points de gravité - définis comme Forum - le chemin synodal s’est engagé dans des diagnostics approfondis et des regards en perspective afin de faire émerger une prise de conscience des limites sédimentées tout au long de l'histoire et de la saine urgence de réforme, pour donner un nouveau visage à la structure ecclésiale. L'imbrication entre questions de pouvoir, définition de l'état clérical, situation de la femme et formes de vie réussies dans les relations affectives a généré un potentiel de réflexion systématique sur l'identité de l'Eglise et sur sa capacité à rassembler et à véhiculer le message du salut aux femmes et aux hommes d'aujourd'hui. En d'autres termes, faire de l'Eglise une maison habitable et hospitalière pour toutes et tous.
Sans s'attaquer au chantier de l'idée d'autorité, sans repenser sérieusement la conscience de sa genèse et sans examiner de manière critique les modalités de son exercice, on ne peut jamais s'engager sur la voie du renouveau. Cela vaut dans l'Eglise peut-être plus encore que dans la société civile. La référence fondatrice à la vie de Jésus interroge l'Eglise et la confronte à surmonter cette tentation de reproduire des images et des modèles d'autorité selon la logique de la domination, propre aux puissants de ce monde et aux souverains des peuples. Calquer ces logiques et les recouvrir d'un vernis sacralisant a probablement été le pire des péchés des hommes d'Eglise. Le pouvoir, et son exercice souvent autoritaire, a fini par être la cage dans laquelle a été enfermée l'énergie de l'autorité exprimée par la vie, l'œuvre et les paroles de Jésus.
Son autorité était autre : elle partait de la vérité des mots et s'accomplissait dans la caresse des œuvres de proximité avec les autres. Les termes qui nous parviennent des textes évangéliques représentent un Jésus revêtu d'autorité, exousia, précisément : une capacité et une énergie déployées dans un discours vrai pour enseigner l'amour, pour briser la logique de la loi qui veut imposer et pour conduire à la liberté de l'âme, pour se sentir plus proche du monde. C'est dans cette exousia agapique, c'est-à-dire dans l'autorité de la proximité de l'autre et de ses besoins, que se trouve le lien entre l'autorité du dire et l'autorité du faire. Les miracles de la guérison expriment cette continuité qui consiste à se tenir aux côtés de la fragilité de l'homme blessé et à tendre la main qui sauve et n’impose pas.
C'est précisément de cette autorité que le fondateur a voulu revêtir son Eglise, en transmettant son énergie d'autorité à ceux qui, hommes et femmes, croient en son nom et agissent selon son dessein. Seule la déformation par contamination avec la logique de la domination a fait perdre la fraîcheur originelle du moment fondateur, qui a fini par être vidé de son sens normatif pour mesurer l'authenticité des images ecclésiales. Dans le fossé qui s'est creusé au cours de l'histoire, un autre effet s'est installé de manière vigoureuse et embarrassante : la masculinisation des portraits d'autorité dans l'Eglise, avec une emphase qui n'était et n'est pas simplement superficielle, mais qui a été revêtue d'un caractère inéluctable, presque définitif. Jésus, dans sa masculinité nue et non dans sa représentation de la personne divine du Dieu-Trinité, a été placé à la base de la légitimation de l'autorité devant être exercée par les seuls hommes dans et sur le corps ecclésial. L'autorité a glissé vers le pouvoir et celui-ci a été reconnu comme la prérogative des hommes, se nourrissant des similitudes avec le pouvoir exercé dans les institutions séculières et civiles.
S'il existe un chemin à suivre - et le Synodaler Weg de l'Eglise catholique allemande l'a formulé de manière incisive, également au bénéfice et en guise d'avertissement à l'ensemble de l'Eglise -, celui-ci passe par le biais de deux inversions de tendance. Avant tout, il convient de redistribuer les formes d'autorité dans l'Eglise sur le large éventail d'une représentation non exclusive, mais inclusive des genres ou des sexes. Il ne suffit pas d'admettre les femmes à des formes particulières et périphériques de tâches assignées par les hommes à travers des moyens hiérarchiques, mais il est nécessaire de réinventer la cartographie des responsabilités à assumer par toutes et tous au profit du corps ecclésial dans son ensemble.
Il est nécessaire de libérer les espaces qui sont sur-occupés par des hommes considérés comme plus aptes et mieux légitimés en soi, simplement parce que l'entrelacement entre sacralisation des rôles et des fonctions de direction a malencontreusement agi comme un verrou. Il s'agit donc avant tout de redéfinir le sujet de l'autorité dans l'Eglise.
Deuxièmement, il faut reconnaître l'importance d'un changement de style dans l'exercice de l'autorité partagée sur la base de l'inclusion. C'est là qu'intervient la catégorie du soin, comme ressource heuristique pour comprendre le pourquoi (en vue de quoi) et le comment, dans l'exercice de l'autorité, qui concerne toutes et tous, hommes et femmes. Leur genre ne peut servir de prétexte pour différencier leurs formes selon un mode d’opposition. Le passage de la catégorie du pouvoir/domination à la catégorie du soin/dévouement doit transformer la grammaire de l'autorité, inspirer l'architecture des fonctions de direction, repenser l'équilibre entre les espaces de liberté de chacun et les formes de nécessité en vue du bien commun.
Les hommes et les femmes qui exercent l'autorité, même dans l'Eglise, doivent apprendre l'art et la sagesse de prêter attention aux processus de croissance de la responsabilité, de la liberté et de l'humanité de ceux envers qui ils exercent des fonctions de direction. La tâche - et non le droit - de l'exercice de l'autorité est authentifiée selon le critère de l'autorité, c'est-à-dire la capacité à prendre soin du bien de l'autre, femme et homme, dans l'horizon du bien commun. C'est la seule façon de sauver l'autorité de sa dégradation vers l'autoritarisme, dont tant d'histoires, y compris celle de l'Eglise, ne sont pas étrangères.
Les exemples ne manquent pas de ceux qui ont su le faire à leur manière. Joseph de Nazareth est sans aucun doute l'un d'entre eux. Son autorité paternelle, exempte de toute masculinité toxique exaltée, a su accompagner et favoriser le chemin de Jésus qui, en tant que modèle de l'humain, « croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,52).
Antonio Autiero
Professeur émérite de théologie morale à l’université de Münster (Allemagne)