Le travail des missionnaires scalabriniens se consacre au soutien psychologique des migrants au Brésil

Une assistance intégrale pour soigner le «syndrome d’Ulysse»

 Une assistance intégrale pour soigner le «syndrome d’Ulysse»  FRA-048
30 novembre 2023

La plus grande douleur de Martha María Gavilán, lors-qu’elle a émigré de Cuba en 2018, n’a pas été de quitter sa patrie et sa famille. Ce n’est pas non plus l’interminable voyage en avion et par voie terrestre qui l’a conduite à São Paulo, au Brésil, à 6.500 kilomètres de La Havane. La plus grande souffrance de cette enseignante a été de se retrouver à 47 ans sans avenir, arrivée dans la mégapole avec son fils. Elle aurait aimé s’installer en Argentine ou en Uruguay, mais ses petites économies se sont envolées si vite que — chose inimaginable pour elle — elle a été obligée de se mettre à l’abri. C’est ainsi qu’un soir, elle se retrouve à la porte de la Casa del Migrante de Missão Paz, une institution gérée par les missionnaires scalabriniens.

«J’ai passé trois jours dans ma chambre à pleurer, car pour moi, c’était la fin du monde», raconte-t-elle. Mais sa tristesse s’est rapidement transformée en espoir. A Missão Paz, ils lui ont donné des cours de portugais, l’ont aidée à remplir les formalités pour obtenir la résidence au Brésil et lui ont trouvé un premier emploi de serveuse dans un hôtel international. Par la suite, elle a occupé divers emplois: responsable du nettoyage dans un centre événementiel, installatrice de lignes électriques et, aujourd’hui, vendeuse dans une chaîne de magasins de vêtements bien connue. Mais c’est le soutien psychologique qu’elle a reçu qui a marqué un avant et un après pour elle, car il lui a apporté les outils pour surmonter tous les obstacles du difficile processus d’adaptation que les migrants traversent souvent et qui dure en moyenne deux ans.

Selon Berenice Young, psychologue à Missão Paz, l’arrivée à la destination choisie est le moment le plus critique pour les migrants, car elle les oblige à se poser une série de questions qui n’ont pas de réponse immédiate. «Ils doivent apprendre une nouvelle langue, s’orienter dans la ville, savoir comment fonctionne l’Etat brésilien, quelles sont les exigences et les documents à fournir, comprendre comment survivre dans les premiers jours et savoir s’ils pourront un jour travailler», explique la professionnelle qui coordonne un programme de soutien psychologique pour les nouveaux arrivants.

Il s’agit d’une thérapie courte, d’environ douze séances réparties sur trois mois, ce qui leur donne le temps de se comprendre eux-mêmes et de comprendre la dynamique d’adaptation à une nouvelle société. Cela permet d’éviter que leur instabilité initiale ne les conduise au désespoir et à vouloir retourner dans leur pays d’origine lorsqu’ils se sentent incapables d’être autonomes. Berenice Young assure que les interventions de ce type sont très efficaces, même si un petit pourcentage tombe dans la dépression ou manifeste des problèmes psychosomatiques. Ces personnes sont envoyées dans des centres de santé spécialisés pour les migrants, où elles reçoivent un traitement plus long.

Une vision très similaire est celle du réalisateur audiovisuel et chanteur de rap Narrador Kanhanga, qui dirige une association regroupant plus de 1.500 familles angolaises vivant dans l’Etat du Rio Grande do Sul, dans la ville de Porto Alegre. Il s’y est installé en 2005 et, comme beau-coup de ses compatriotes, il a lui aussi été confronté à l’épreuve psychologique de l’intégration. Aujourd’hui, il s’efforce de faciliter l’insertion professionnelle de ceux qui arrivent et de réduire les problèmes liés à l’obtention de documents.

«Le migrant, lorsqu’il décide de quitter son pays, sait déjà plus ou moins ce qu’il devra affronter avant d’arriver dans un nouveau pays. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est ce qui l’attend une fois arrivé, qui l’attendra, qui seront les personnes qui pourront l’aider, et cela crée un traumatisme, un très grand conflit en matière de santé mentale», explique l’Angolais.

Le psychologue Rodrigo Lages e Silva, chercheur à l’université fédérale de Rio Grande do Sul, reconnaît dans ces symptômes ce que l’on appelle le syndrome d’Ulysse, un tableau de malaise émotionnel produit par un fort sentiment de déracinement, de non-appartenance à l’endroit où l’on s’est installé. «Nous -voyons des personnes qui, après avoir affronté tant de difficultés pendant le voyage, arrivent en essayant de reconstruire leur vie et en espérant trouver plus de facilités, mais ce qu’elles trouvent, ce sont de nouvelles difficultés», note l’universitaire.

Selon cet expert, cela est principalement dû aux difficultés que rencontrent les migrants pour s’installer dans une nouvelle ville, obtenir un logement et s’intégrer dans les systèmes d’éducation et de santé. Il reconnaît malheureusement que même au Brésil, les attitudes racistes et xénophobes persistent.

Kanhanga et Rodrigo Lages e Silva font partie du vaste réseau d’institutions qui collaborent avec le Cibai, le Centre italo-brésilien d’assistance et d’éducation en matière de migration. Cette institution des religieux scalabriniens a été fondée à Porto Alegre en 1958 pour accueillir les migrants italiens arrivant dans cette région du sud du Brésil. Mais au cours de l’histoire, les lieux de départ des vagues migratoires ont changé et, au final, des personnes de pas moins de 52 nationalités ont été aidées à Cibai. Aujourd’hui, la plupart viennent du Venezuela, d’Haïti, du Sénégal et de l’Angola.

Le directeur du Cibai, le père Adelmar Barilli, dirige un modèle de réponse intégrale aux migrants, en se concentrant particulièrement sur ceux qui viennent d’arriver, afin qu’aucun de leurs besoins les plus urgents ne soit ignoré: vêtements, nourriture, abri, langue, travail, soutien psychologique, etc. «Cela n’aurait pas de sens de ne fournir qu’un abri, que de la nourriture ou que des documents. Nous essayons d’offrir au migrant une assistance complète», souligne-t-il. Le prêtre note qu’un retard dans l’installation dans le nouveau pays peut entraîner une augmentation des problèmes de santé mentale, comme c’est le cas dans le nord du Brésil, dans la région de Boa Vista. Dans cette région, les Vénézuéliens, après avoir franchi la frontière, restent parfois jusqu’à deux ans avant de s’installer dans une autre région pour commencer une vie plus stable.

A Porto Alegre aussi, les sœurs scalabriniennes se consacrent entièrement à la cause des migrants. En effet, depuis 23 ans, elles disposent d’un bureau à la gare routière internationale, afin d’être en contact avec les personnes dès leur arrivée sur cette nouvelle terre. Elles gèrent également quatre centres de santé répartis dans cette ville d’1,5 millions d’habitants. De là, elles mettent en œuvre le programme «Tie», un système de «téléassistance» efficace, gratuit et confidentiel pour ceux qui ont besoin d’un soutien psychologique, visant davantage à faire face à la souffrance de la migration qu’à des problèmes mentaux.

«Nous mettons à leur disposition une ligne téléphonique pour qu’ils puissent appeler des professionnels de la santé mentale, psychologues et psychiatres, qui leur apportent un soutien hebdomadaire, bimensuel ou mensuel, en fonction des besoins de chacun», explique Sœur Jakeline Danetti. Si ce soutien téléphonique ne suffit pas, ils sont orientés vers un traitement thérapeutique en présentiel.

La grande famille des pères et sœurs scalabriniens travaille également en étroite collaboration avec les organismes publics et les organisations civiles du Brésil, créant des réseaux de coopération multidisciplinaires qui garantissent que les migrants sont de mieux en mieux accueillis, protégés, promus et intégrés dans la société.

#VoicesofMigrants

Felipe Herrera-Espaliat