Homélie de François lors de la veillée œcuménique de prière place Saint-Pierre

Que le synode soit un lieu de silence, d’écoute et de fraternité

 Que le synode soit un lieu de silence,  d’écoute et de fraternité  FRA-040
05 octobre 2023

Redécouvrir la dimension du silence pour écouter la voix de l’Esprit et faire du synode un lieu de fraternité: tel est le «parcours» spirituel indiqué par le Pape François à l’Eglise — qui se prépare à vivre l’expérience de l’assemblée synodale en programme du 4 au 29 octobre — au cours de la veillée œcuménique de prière «Together», qui s’est déroulée dans l’après-midi de samedi place Saint-Pierre. Aux côtés de François, dix-neuf représentants œcuméniques ont prié ensemble et écouté les témoignages significatifs de jeunes, dont certains étaient des réfugiés ou des personnes souffrant de handicaps intellectuels. «Nous demandons, dans la prière commune, de réapprendre à faire silence: d'écouter la voix du Père, l'appel de Jésus et le gémissement de l'Esprit», a déclaré le Souverain Pontife dans son homélie. «Nous demandons, a-t-il ajouté, que le synode soit un kairós de fraternité, un lieu où l'Esprit Saint purifie l'Eglise des commérages, des idéologies et des polarisations». Nous publions l’homélie prononcée par le Saint-Père à cette occasion:

«Together». «Ensemble». Comme la communauté chrétienne des premiers temps le jour de la Pentecôte; comme un seul troupeau, aimé et rassemblé par un seul Pasteur, Jésus; comme la grande foule de l’Apocalypse, nous sommes ici, frères et sœurs  «de toutes nations, tribus, peuples et langues» (Ap 7, 9), provenant de communautés et de pays différents, filles et fils du même Père, animés par l’Esprit reçu au baptême, appelés à la même espérance (cf. Ep 4, 4-5).

Merci pour votre présence. Merci à la communauté de Taizé pour cette initiative. Je salue très chaleureusement les chefs d’Eglises, les responsables et les délégations des différentes traditions chrétiennes, et je vous salue tous, en particulier les jeunes: merci. Merci d’être venus prier pour nous et avec nous, à Rome, avant l’Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, à la veille de la retraite spirituelle qui la précède. «Syn-odos»: marchons ensemble, pas seulement les catholiques, mais tous les chrétiens, tout le peuple des baptisés, tout le Peuple de Dieu, parce que «seul l’ensemble peut être l’unité de tous» ( J.A. Möhler , Symbolik oder Darstellung der dogmatischen Gegensätze der Katholiken und Protestanten nach ihren öffentlichen Bekenntnisschriften, ii, Köln-Olten 1961, 698).

Comme la grande foule de l’Apocalypse, nous avons prié en silence, en écoutant un «grand silence» (cf. Ap 8, 1). Et le silence est important, il est puissant: il peut exprimer une douleur indicible face au malheur, mais aussi, dans les moments de joie, une allégresse qui dépasse les mots. C’est pourquoi je voudrais réfléchir brièvement avec vous sur son importance dans la vie du croyant, dans la vie de l’Eglise et dans le chemin d’unité des chrétiens. L’importance du silence.

Premièrement, le silence est essentiel dans la vie du croyant. En effet, il se trouve au début et à la fin de l’existence terrestre du Christ. Le Verbe, la Parole du Père, s’est fait «silence» dans la mangeoire et sur la croix, dans la nuit de la Nativité et dans celle de Pâques. Ce soir, nous, chrétiens, nous nous tenons en silence devant le Crucifix de Saint-Damien, comme des disciples à l’écoute devant la croix, qui est la cathèdre du Maître. Notre silence n’a pas été vide, mais a été un moment rempli de foi, d’attente et de disponibilité. Dans un monde plein de bruit, nous ne sommes plus habitués au silence, et nous avons même parfois du mal à le supporter parce qu’il nous met face à Dieu et face à nous-mêmes. Et pourtant, il est le fondement de la parole et de la vie. Saint Paul dit que le mystère du Verbe incarné a été «gardé depuis toujours dans le silence» (Rm 16, 25), il nous enseigne que le silence garde le mystère, comme Abraham gardait l’Alliance, comme Marie gardait dans son sein et méditait dans son cœur la vie de son Fils (cf. Lc 1, 31; 2, 19-51). Par ailleurs, la vérité n’a pas besoin de cris violents pour atteindre le cœur des hommes. Dieu n’aime pas les proclamations et les clameurs, le bavardage et le vacarme: Dieu préfère plutôt, comme il l’a fait avec Elie, parler dans le  «murmure d’une brise légère» (1 R 19, 12), dans un «fin silence sonore». Et alors, nous aussi, comme Abraham, comme Elie, comme Marie, nous avons besoin de nous libérer de tant de bruits pour entendre sa voix. Car ce n’est que dans notre silence que sa Parole résonne.

Deuxièmement, le silence est essentiel dans la vie de l’Eglise. Les Actes des Apôtres racontent qu’après le discours de Pierre au Concile de Jérusalem,  «toute la multitude garda le silence» (Ac 15, 12) en se préparant à recevoir le témoignage de Paul et de Barnabé sur les signes et les prodiges que Dieu avait accomplis parmi les nations. Et cela nous rappelle que le silence dans la communauté ecclésiale rend possible la communication fraternelle dans laquelle l’Esprit Saint harmonise les points de vue; parce qu’Il est harmonie. Etre synodal veut dire s’accueillir les uns les autres en ayant conscience que nous avons tous quelque chose à témoigner et à apprendre, en nous mettant ensemble à l’écoute de  «l’Esprit de vérité» (Jn 14, 17) pour savoir ce qu’il «dit aux Eglises» (Ap 2, 7). Et le silence permet justement le discernement, à travers l’écoute attentive des «gémissements inexprimables» (Rm 8, 26) de l’Esprit qui résonnent, souvent cachés, dans le Peuple de Dieu. Demandons donc à l’Esprit le don de l’écoute pour les participants au Synode: «Ecoute de Dieu jusqu’à entendre avec Lui le cri du peuple; écoute du peuple, jusqu’à y respirer la volonté à laquelle Dieu nous appelle» (Discours à l’occasion de la veillée de prière préparatoire au Synode sur la Famille, 4 octobre 2014).

Enfin, troisièmement, le silence est essentiel sur le chemin de l’unité des chrétiens. En effet, il est fondamental pour la prière qui est le point de départ de l’œcuménisme et sans laquelle il est stérile. Jésus, en effet, a prié pour que ses disciples «soient un» (Jn 17, 21). Le silence qui devient prière permet d’accueillir le don de l’unité «comme le Christ la veut», «avec les moyens qu’il veut» (cf. P. Cᴏᴜᴛᴜʀɪᴇʀ, Prière pour l’unité), et non comme le fruit autonome de nos efforts et selon des critères purement humains. Plus nous nous tournons ensemble vers le Seigneur dans la prière, plus nous sentons que c’est Lui qui nous purifie et nous unit au-delà des différences. L’unité des chrétiens grandit dans le silence devant la croix, comme les semences que nous recevrons et qui représentent les différents dons accordés par l’Esprit Saint aux diverses traditions: nous avons le devoir de les semer, avec la certitude que Dieu seul donne la croissance (cf. 1 Co 3, 6). Elles seront un signe pour nous, appelés à notre tour à mourir silencieusement à l’égoïsme pour grandir, sous l’action de l’Esprit Saint, dans la communion avec Dieu et la fraternité entre nous.

C’est pourquoi, frères et sœurs, nous demandons dans la prière commune de réapprendre à faire silence: pour écouter la voix du Père, l’appel de Jésus et le gémissement de l’Esprit. Demandons que le Synode soit un kairós de fraternité, un lieu où l’Esprit Saint purifie l’Eglise des bavardages, des idéologies et des polarisations. Alors que nous nous dirigeons vers l’important anniversaire du grand Concile de Nicée, demandons de pouvoir adorer unis, et en silence comme les Mages, le mystère du Dieu fait homme, certains que, plus nous serons proches du Christ, plus nous serons unis entre nous. Et comme les sages d’Orient furent conduits à Bethléem par une étoile, que la lumière céleste nous guide vers l’unique Seigneur et vers l’unité pour laquelle Il a prié. Frères et sœurs, mettons-nous en route ensemble, désireux de le rencontrer, de l’adorer et de l’annoncer «pour que le monde croie» (Jn 17, 21).