«L’abus sexuel d’enfants par le clergé et sa mauvaise gestion par les responsables ecclésiastiques ont été l’un des plus grands défis pour l’Eglise de notre temps». Le Pape s’est adressé aux membres de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, reçus en audience le 5 mai dans la Bibliothèque privée du palais apostolique. Voici le discours du Souverain Pontife.
Chers frères et sœurs, bonjour!
Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue à tous, en particulier aux nouveaux membres de la Commission, ainsi qu’à ceux qui poursuivent leur service et au groupe de collaborateurs du monde entier, qui représentent un nouvel et bienvenu ajout.
C’est notre première rencontre, depuis que vous avez été institués auprès du dicastère pour la doctrine de la foi, et je voudrais vous donner quelques indications. Les graines jetées il y a environ dix ans, quand le Conseil des cardinaux a recommandé la création de cet organisme, sont en train de grandir, nous le voyons. C’est pourquoi, précisément pour relever les défis actuels avec sagesse et courage, il est important de nous arrêter un moment pour réfléchir au passé. Ces dix dernières années, nous avons tous beaucoup appris, moi y compris!
L’abus sexuel d’enfants par le clergé et sa mauvaise gestion par les responsables ecclésiastiques ont été l’un des plus grands défis pour l’Eglise de notre temps. Beaucoup d’entre vous ont consacré leur vie à cette cause. Les guerres, la faim et l’indifférence à la souffrance d’autrui sont des réalités terribles de notre monde, des réalités qui crient au Ciel. Mais la crise des abus sexuels est particulièrement grave pour l’Eglise, car elle mine sa capacité à embrasser en plénitude la présence libératrice de Dieu et à en être témoin. L’incapacité à agir correctement pour arrêter ce mal et venir en aide à ses victimes a défiguré notre propre témoignage de l’amour de Dieu. Dans le Confiteor, nous demandons pardon non seulement pour les torts commis, mais aussi pour le bien que nous n’avons pas fait. Il peut être facile d’oublier les péchés d’omission, parce qu’en un sens ils semblent moins réels; mais ils sont très concrets et blessent la communauté autant que les autres, sinon plus.
Ne pas avoir fait ce que nous aurions dû, surtout de la part des res-ponsables de l’Eglise, a scandalisé beau-coup, et ces dernières années, la conscience de ce problème s’est étendue à toute la communauté chrétienne. Mais en même temps, nous ne sommes pas restés silencieux ou inactifs. J’ai récemment confirmé le Motu proprio Vos estis lux mundi ( velm ), qui est maintenant un règlement permanent. Il demande notamment la mise en place de lieux d’accueil des accusations et le traitement de ceux qui affirment avoir été lésés (cf. art. 2). Il y a certainement des améliorations que l’on peut y apporter sur la base de l’expérience, avec les conférences épiscopales et les évêques individuels.
Aujourd’hui, personne ne peut dire honnêtement qu’il n’est pas touché par la réalité des abus sexuels dans l’Eglise. C’est pourquoi, dans votre travail, tout en abordant les nombreuses facettes de ce problème, je voudrais que vous gardiez à l’esprit les trois principes suivants, en les con-sidérant comme faisant partie d’une spiritualité de réparation.
1. En premier lieu, là où la vie a été blessée, nous sommes appelés à rappeler le pouvoir créatif de Dieu de faire émerger l’espérance du désespoir et la vie de la mort. Le terrible sentiment de perte ressenti par beaucoup à cause des abus peut sembler parfois trop lourd à supporter. Même les responsables de l’Eglise, qui partagent un sentiment commun de honte pour l’incapacité d’agir, ont été rabaissés, et notre capacité même à prêcher l’Evangile a été blessée. Mais le Seigneur, qui en tout temps fait naître des choses nouvelles, peut redonner vie aux os arides (cf. Ez 37, 6). C’est pourquoi, même lorsque le chemin à parcourir est ardu et fatigant, je vous exhorte à ne pas vous bloquer, à continuer à tendre la main, à essayer d’insuffler confiance chez ceux que vous rencontrez et qui partagent avec vous cette cause commune. Ne vous découragez pas quand il semble que peu change en mieux. Continuez, continuez!
2. Deuxièmement, l’abus sexuel a entraîné des déchirures dans notre monde et pas seulement dans l’Eglise. De nombreuses victimes sont déçues par le fait qu’un abus commis il y a de nombreuses années crée encore aujourd’hui des obstacles et des ruptures dans leur vie. Les conséquences des abus peuvent se produire entre conjoints, entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre amis et collègues. Les communautés sont bouleversées; la nature insidieuse de l’abus abat et divise les personnes, dans leur cœur et entre elles.
Mais notre vie n’est pas destinée à rester divisée. Ce qui a été brisé ne doit pas rester en morceaux. La création nous dit que toutes les parties de notre existence sont liées de manière cohérente, et la vie de foi relie même ce monde avec ce qui viendra! Tout est lié. Le mandat reçu par Jésus de la part du Père est que rien de tout cela ne soit perdu et que personne ne soit perdu (cf. Jn 6, 39). Là où la vie s’est donc brisée, je vous demande de contribuer concrètement à en réunir les morceaux, dans l’espoir que ce qui est brisé puisse se recomposer.
J’ai récemment rencontré un groupe de victimes d’abus, qui ont demandé à rencontrer la direction de l’institut religieux qui dirigeait l’école qu’ils fréquentaient il y a environ 50 ans. J’en parle parce qu’ils l’ont dit ouvertement. Ce sont toutes des personnes âgées, et certaines d’entre elles, conscientes de la rapidité du temps, ont exprimé le désir de vivre en paix les dernières années de leur vie. Et la paix, pour elles, signifiait reprendre la relation avec l’Eglise qui les avait offensées, elles voulaient mettre un terme non seulement au mal subi, mais aussi aux questions qu’elles portaient depuis en elles. Elles voulaient être écoutées, elles voulaient être crues, elles voulaient quelqu’un pour les aider à comprendre. Nous avons parlé ensemble et elles ont eu le courage de s’ouvrir. En particulier, la fille d’une des victimes a parlé de l’impact que l’expérience de son père a eu sur toute leur famille. Réparer les tissus déchirés de l’histoire est un acte rédempteur, c’est l’acte du Serviteur souffrant, qui n’a pas évité la douleur, mais a pris sur lui toute faute (cf. Is 53, 1-14). C’est la voie de la réparation et de la rédemption: la voie de la croix du Christ. En l’occurrence, je peux dire qu’il y a eu un vrai dialogue pour ces victimes au cours des rencontres, au terme desquelles elles ont dit s’être senties accueillies par leurs frères et avoir récupéré un sentiment d’espérance pour l’avenir.
3. En troisième lieu, je vous exhorte à cultiver en vous le respect et la gentillesse de Dieu. La poétesse et activiste nord-américaine Maya Angelou a écrit: «J’ai appris que les gens oublieront ce que vous avez dit, les gens oublieront ce que vous avez fait, mais les gens n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir». Soyez donc délicats dans votre action, en supportant les uns les autres les poids des autres (cf. Ga 6, 1-2), sans vous plaindre, mais en pensant que ce moment de réparation pour l’Eglise laissera la place à un autre moment de l’histoire du salut. Le Dieu vivant n’a pas épuisé sa réserve de grâces et de bénédictions! N’oublions pas que les plaies de la Passion sont restées dans le corps du Seigneur Ressuscité, non plus comme source de souffrance ou de honte, mais comme signes de miséricorde et de transformation.
Il est temps maintenant de réparer les dommages causés aux générations qui nous ont précédés et à ceux qui continuent à souffrir. Cette saison pascale est signe que se prépare pour nous un nouveau temps, un nouveau printemps fécondé par le travail et les larmes partagées avec ceux qui ont souffert. C’est pourquoi il est important que nous ne cessions jamais d’aller de l’avant.
Vous engagez vos capacités et votre compétence pour contribuer à réparer un terrible fléau de l’Eglise, en vous mettant au service des différentes Eglises particulières. De la vie ordinaire d’un diocèse dans ses paroisses et dans son séminaire, à la formation des catéchistes, des enseignants et d’autres agents pastoraux, l’importance de la protection des mineurs et des personnes fragiles doit être une règle pour tous; et en ce sens, dans la vie religieuse et apostolique, la novice de clôture doit se conformer aux mêmes standards ministériels que le frère aîné qui a passé une vie entière à enseigner aux jeunes.
Les principes du respect de la dignité de tous, de la bonne conduite et d’un mode de vie sain doivent devenir une norme universelle, indépendamment de la culture et de la situation économique et sociale des personnes. Tous les ministres de l’Eglise doivent les montrer au service des fidèles, et à leur tour, ils doivent être traités avec respect et dignité par ceux qui guident la communauté. D’ailleurs, une culture de la protection n’aura lieu que s’il y a une conversion pastorale en ce sens entre ses responsables.
J’ai été encouragé par les plans que vous avez préparés pour affronter les inégalités au sein de l’Eglise, en termes de formation et de service aux victimes, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Il n’est pas juste que les régions les plus prospères de la planète puissent compter sur des programmes de protection bien formés et bien financés, où les victimes et leurs familles sont respectées, tandis que ceux qui vivent dans d’autres parties du monde souffrent en silence, peut-être rejetés ou stigmatisés lorsqu’ils essaient de se présenter pour raconter les abus subis. Dans ce domaine également, l’Eglise doit s’efforcer de devenir un exemple d’accueil et de bonne façon d’agir.
Les efforts visant à améliorer les lignes directrices et les standards de comportement du clergé et des religieux doivent se poursuivre. J’attends des informations sur cet engagement et un rapport annuel sur ce qui, selon vous, fonctionne bien et sur ce qui ne fonctionne pas, afin que nous puissions apporter les modifications nécessaires.
L’année dernière, je vous ai exhorté à partager vos compétences sur les différentes façons dont vous pensez que le travail de la Curie romaine peut influer sur la protection des mineurs, pour vous enrichir mutuellement dans votre nouveau rôle. J’ai appris avec plaisir l’accord de coopération que vous avez conclu avec le dicastère pour l’évangélisation, surtout en raison de son vaste champ d’action dans beaucoup de lieux les plus oubliés du monde.
Vous avez déjà fait beaucoup ces six premiers mois. Je vous bénis de tout cœur. Sachez que je suis proche de votre travail et n’oubliez pas de prier pour moi. Je le ferai pour vous.