A Paris le cardinal Semeraro a présidé le rite de béatification de cinq religieux tués en haine de la foi

Une histoire de douleur qui est une histoire d’espérance

 Une histoire de douleur qui est une histoire d’espérance  FRA-017
27 avril 2023

Il y a cent cinquante deux ans, alors également dans le climat des fêtes de Pâques, cinq religieux furent arrêtés au cours de la Commune de Paris. Le Jeudi saint — le 6 avril 1871 — d’abord le père Mathieu Henri Planchat, de l’institut de Saint-Vincent-de-Paul; puis le 12 avril, mercredi de Pâques, les pères Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frézal Tardieu, de la congrégatiopn des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie et de la Perpétuelle adoration du Très Saint Sacrement. Ils furent tués le 26 mai, un vendredi, jour où la piété chrétienne rappelle chaque semaine la mort du Sauveur. C’est ce qu’a souligné le cardinal Marcello Semeraro, préfet du dicastère pour les causes des saints, au cours de la cérémonie de béatification des cinq martyrs présidée — au nom du Pape François — dans l’après-midi du 22 avril, dans l’église parisienne Saint-Sulpice.

Dans son homélie, le cardinal a rappelé les circonstances dans lesquelles «ils furent impliqués et ont été victimes, et évidemment pas eux seulement, mais plusieurs dizaines d’autres personnes massacrées par la folie violente des révolutionnaires»: des circonstances constituant «une histoire embrouillée et complexe où se mêlent des instances de toutes sortes, se superposent conditions anciennes et nouvelles, idéologies sociales et sentiment antireligieux, appels à la vérité mais aussi fleuves de mensonges au point de former un mélange qui empoisonne l’homme».

L’histoire de ces martyrs devient ainsi «un avertissement pour aujourd’hui; dans la perspective chrétienne» toutefois, «elle demeure une histoire d’espérance», car — a souligné le cardinal en citant une homélie de Benoît xvi du 14 juin 2008 — «le bien l’emporte et, si parfois il peut sembler mis en échec par l’abus et la ruse, il continue en réalité d’œuvrer dans le silence et dans la discrétion en portant des fruits à long terme. Tel est le renouveau social chrétien, fondé sur la transformation des consciences, sur la formation morale, sur la prière».

En se référant au passage liturgique de Luc (24, 13-35), avec le récit des deux disciples qui, «sur la route d’Emmaüs furent accostés par Jésus ressuscité et finalement, après l’avoir reconnu à la fraction du pain», le préfet a affirmé qu’il s’agit de l’un passage «des plus beaux et des plus suggestifs de l’Evangile». Dans son Jésus, Jean Guitton écrivait à ce propos que «s’il était nécessaire de renoncer à tout l’Evangile pour une seule scène dans lequel il soit entièrement résumé, il retiendrait sans hésiter celle des disciples d’Emmaüs».

Et toutefois, presque en opposition, le cardinal a cité d’autres paroles évangéliques: «Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier. En sortant, ils trouvèrent un nommé Simon, originaire de Cyrène, et ils le réquisitionnèrent pour porter la croix» (Mt 27, 31-32). Comme le Cyrénéen, a-t-il commenté, «nos martyrs aussi ont porté la croix de Jésus», mais ils ont ensuite été «crucifiés» de telle sorte qu’ils ont vécu personnellement ses paroles: «Il fallait que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire!».

Dans ce «corps» qu’est l’Eglise, a ajouté le préfet, «même les histoires de “démission”, comme celle des deux hommes qui avaient quitté Jérusalem, peuvent se transformer en histoire de “mission”» comme le conclut le récit: «Ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain». Et cela «ne vaut pas seulement pour eux. Dans le récit évangélique, en effet, demeurent quelques facteurs inconnus intéressants». L’un concerne «le lieu de la rencontre avec le Seigneur, de sorte que certains entendent même Emmaüs comme un lieu de l’esprit». Il y a ensuite l’anonymat du disciple qui «chemine avec Cléophas, un vide que l’on pourrait combler avec le nom de chacun d’entre nous». En effet, «Chacun, comme un lector in fabula, peut se retrouver dans l’histoire évangélique». Dans quelque lieu «ou situation que ce soit où nous nous trouvons, nous pouvons entrer dans le récit et accompagner Cléophas; douter, nous lamenter et enfin, avec lui, reconnaître le Seigneur et nous réjouir de sa présence».

Le cardinal a rappelé certains témoignages recueillis à l’occasion du procès en béatification des cinq martyrs, qui décrivent de quelle façon ils ont affronté la mort. Dans la lettre adressée à son frère Eugène le 23 mai, le bienheureux Planchat écrit: «Nous avons pu nous confesser. Notre sacrifice est fait (…) Je ne suis pas triste, je t’assure: je prie pour tous; priez pour moi et pour tous les habitants de la prison». Dans les premiers jours du même mois le bienheureux Ladislas Radigue écrit à son supérieur: «J’ai éprouvé combien le Seigneur est bon et quelle assistance il donne à ceux qu’il éprouve pour la gloire de son nom. J’ai même un peu compris, après l’avoir goûté, le superabundo gaudio in tribulatione de saint Paul». On pourrait citer, a ajouté le cardinal Semeraro, «des expressions semblables des autres bienheureux. Nous comprenons ainsi combien nous pouvons leur appliquer, au sens le plus vrai et le plus réel, les paroles de l’Apôtre: “Si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne” (Rm 6, 5)».

«En considérant l’exemple des bienheureux martyrs — a conclu le préfet — et confiants dans leur intercession près du trône de l’Agneau, chacun de nous peut prier, en empruntant peut-être les paroles que Jean Sébastien Bach dans une de ses fameuses cantates met dans la bouche des compagnons d’Emmaüs: «Reste avec nous Seigneur Jésus Christ, car le jour baisse. Que ta Parole divine, lumière resplendissante, ne cesse jamais de nous illuminer. Fais que la lumière de ta Parole brille sur nous et nous garde fidèles à toi».