«Amén. François répond» disponible sur Disney Plus

Un dialogue ouvert et sincère dans un documentaire sur le Pape

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13 avril 2023

Détendu, souriant et blagueur et, à d'autres moments, très sérieux, ému et affligé. Mais toujours prêt à répondre sans détour à chacune des questions complexes que lui posent les jeunes du monde entier. C'est ain-si que le Pape se présente dans «Amén. François répond», un documentaire de 83 minutes réalisé par les Espagnols Jordi Evole et Màrius Sánchez, dont la sortie a eu lieu le 5 avril sur la plateforme de streaming Disney+.

Ce documentaire a été tourné en juin 2022 dans un immeuble du quartier de Pigneto à Rome, alors que le Pape souffrait d'une forte douleur au genou droit. C'est pourquoi il semble fragile lorsqu'il marche, mais pas lorsqu'il répond aux questions pressantes de ses interlocuteurs, tous hispanophones, âgés de 20 à 25 ans et originaires d'Espagne, du Sénégal, d'Argentine, des Etats-Unis, du Pérou et de Colombie. S'ils semblent d'abord agités par l'imminence du dialogue avec le chef de l'Eglise catholique, ils passent rapidement, après l'arrivée de François, de la timidité à la confiance, et parfois à l'audace, en abordant, entre autres, le rôle des femmes dans l'Eglise, le féminisme et l'avortement, le témoignage de la foi et sa perte, l'identité sexuelle, le drame de l'immigration et le racisme.

C'est François lui-même qui brise la glace en prenant l'initiative et en disant, avec une image de footballeur: «Ballon au centre, que le jeu commence». Immédiatement, Víctor, qui se définit comme agnostique, lui demande s'il reçoit un salaire pour son travail et le Pape n'hésite pas à répondre: «Non, ils ne me paient pas! Et quand j'ai besoin d'argent pour acheter des chaussures ou autre chose, je vais demander. Je n'ai pas de salaire, mais cela ne m'inquiète pas, car je sais qu'ils me nourrissent gratuitement». Il explique ensuite aux jeunes que son mode de vie est assez simple, «comme celui d'un employé de bureau moyen», et que pour une dépense plus importante, il préfère ne pas charger le Saint-Siège, mais demander de l'aide à d'autres.

Avec une certaine dose d'ironie, il explique aux jeunes que lorsqu'il cons-tate qu'une organisation sociale a besoin d'une aide financière, c'est lui-même qui les encourage à lui demander des ressources, car il sait où les trouver et à qui s'adresser. «Vous demandez, je leur dis, tout le monde vole ici de toute façon! Je sais donc où vous pouvez voler et je vous envoie l'argent. Je veux dire par là que lorsque je vois que quelqu'un a besoin d'être aidé, alors oui, je vais demander de l'aide à la personne respon-sable», déclare le Souverain pontife.

Lorsque la conversation aborde la question de l'abandon de la communauté ecclésiale par de nombreux catholiques, François propose l'un de ses thèmes les plus chers: les périphéries. «Quand il n'y a pas de témoignage, l'Eglise s'oxyde, parce qu'elle se transforme en un club de bonnes personnes, qui accomplissent leurs gestes religieux, mais n'ont pas le courage d'aller vers les périphéries». Pour lui, c'est fondamental. «Lors-que vous regardez la réalité depuis le centre, sans le vouloir, vous érigez des barrières de protection qui vous éloignent de la réalité et vous font perdre le sens de la réalité. Si vous voulez voir ce qu'est la réalité, allez à la périphérie. Vous voulez savoir ce qu'est l'injustice sociale? Allez dans les banlieues. Et quand je parle de périphérie, je ne parle pas seulement de pauvreté, mais aussi de périphéries culturelles et existentielles», précise-t-il.

Medha, une jeune fille née aux Etats-Unis, dont les parents ont quitté l'Inde à la recherche d'un avenir meilleur pour leur famille, prend ensuite la parole, un témoignage qui rejoint celui de Khadim, un jeune musulman sénégalais ayant des racines en Espagne. Tous deux témoignent du racisme dont ils ont été victimes parce qu'ils venaient de loin. La conversation s'oriente alors vers le drame mondial des migrations, et le Pape en profite pour dénoncer à la fois l'exploitation des personnes dans les pays de départ et le manque de moralité de ceux qui ne les accueillent pas. «Cela arrive aujourd'hui, cela arrive aux frontières de l'Europe, et parfois avec la complicité de certaines autorités qui les renvoient. Il y a des pays en Europe, je ne veux pas les nommer pour ne pas créer un cas diplomatique, qui ont des petites villes ou des villages presque vides, des pays où il n'y a que vingt personnes âgées et des champs incultes. Et ces pays, qui connaissent un hiver démographique, n'accueillent même pas les migrants», a déclaré François.

Selon le Saint-Père, derrière tout cela se cache une conscience sociale colonialiste qui favorise l'exploitation, et une culture de l'esclavage dissimulée par des politiques migratoires qui ne cherchent ni à accueillir, ni à accompagner, ni à promouvoir, ni même à intégrer le migrant. Mais les jeunes font remarquer au Pape que l'Eglise a collaboré et s'est servie de ce colonialisme dans le passé. Et il répond que, tout en en ayant honte, il faut toujours accepter sa propre histoire, et que ce critère lui a permis de nettoyer le Vatican de la mondanité spirituelle qu'il a parfois trouvée, mais qui continue à s'infiltrer. «La réforme de l'Eglise doit commencer de l'intérieur, et l'Eglise doit toujours être réformée, toujours, parce qu'au fur et à mesure que les cultures progressent, les besoins changent».

Dora, une jeune femme évangélique de l'Equateur, fond en larmes en racontant au Saint-Père qu'elle a été victime de brimades et qu'elle est accablée d'un tel sentiment de solitude qu'elle envisage de se suicider. Il la console, l'invite à pleurer tranquillement et, la voyant plus sereine, lui demande ce qu'elle fait. Dora répond qu'elle est maquilleuse de théâtre et le Pape lui redonne le sourire en lui disant: «Je t'appellerai pour que tu me rendes plus beau».

A ce moment-là, le tonnerre d'un orage qui éclate à l'extérieur interrompt la conversation pendant quelques instants, ce qui donne lieu à l'un des moments les plus tendus du documentaire. Milagros, originaire d'Argentine, se présente comme une catéchiste catholique et, en même temps, comme une fière activiste pro-avortement. Elle dépose dans les mains de François une écharpe verte sur laquelle est inscrite l'affirmation suivante: «Avortement libre, sûr et gratuit». François accepte le geste et laisse s'instaurer un débat entre les femmes du groupe, dont une seule se dit opposée à l'interruption de grossesse et favorable à la défense inconditionnelle de la vie qui est sur le point de naître.

Le Pape prend alors la parole et aborde la question en termes pastoraux et biologiques. «Je dis toujours aux prêtres que lorsqu'ils s'approchent d'une personne dans cette situation, avec un poids sur la conscience, parce que la marque qu'un avortement laisse sur une femme est profonde, qu'ils ne lui posent pas trop de questions et qu'ils soient miséricordieux, comme Jésus l'est [...]». Mais «le problème de l'avortement doit être considéré scientifiquement et avec une certaine froideur. N'importe quel livre d'embryologie nous apprend que dans le mois de la conception, l'adn est déjà délimité et les organes sont déjà définis. Il ne s'agit donc pas d'un amas de cellules qui s'assemblent, mais d'une vie humaine». Le Pontife poursuit donc son argumentation et, comme il l'a fait en d'autres occasions, propose des questions: «Est-il licite d'éliminer une vie humaine pour résoudre le problème? Ou si j'ai recours à un médecin, est-il licite d'engager un tueur à gages pour éliminer une vie humaine afin de résoudre un problème?», demande le Pape aux jeunes.

François apprécie la sensibilité des jeunes filles au drame d'une femme confrontée à une grossesse non désirée, mais insiste sur le fait «qu'il est bon d'appeler les choses par leur nom. C'est une chose d'accompagner la personne qui l'a fait, c'en est une autre de justifier l'acte», dit-il clairement.

Le sujet change, mais la tension monte lorsque Juan, un Espagnol qui peut à peine parler à cause de l'angoisse qu'il ressent, raconte à François qu'à l'âge de onze ans, il a été abusé à plusieurs reprises par un numéraire de l'Opus Dei qui travaillait comme professeur dans son école. Le coupable a été condamné par la justice civile, mais avec une peine réduite. Le Pape est attristé, mais surtout surpris lorsque le jeune homme lui remet une lettre écrite par François. Il s'agit de la réponse personnelle du Souverain pontife au père du jeune homme, dans laquelle il lui dit que la Congrégation pour la doctrine de la foi (cdf) de l'époque traitera l'affaire au niveau canonique. Le jeune homme, qui a reconnu ne plus être -croyant, lui a expliqué que la cdf avait jugé que le professeur devait être rétabli dans sa réputation et qu'il devait être déchargé de toute respon-sabilité.

François s'engage à réexaminer le cas, mais les autres le mettent en cause pour la négligence générale de l'Eglise face aux abus commis par ses ministres sur des enfants. Le Pape exprime sa tristesse pour ces actes et détaille tout ce qui est fait pour les combattre, de sorte que, au moins dans l'Eglise, «ces cas d'abus d'enfants ne tombent pas sous le coup de la prescription». Et s'ils tombent sous le coup de la prescription au fil des ans, le Pape lève automatiquement cette prescription. «Je ne veux pas qu'il y ait prescription», dit-il très sérieusement.

Sous le nom de Celia, une autre Espagnole se présente et explique qu'elle est non-binaire et chrétienne. Elle demande à François: «Sais-tu ce qu'est une personne non binaire?». Il répond par l'affirmative, mais elle lui explique tout de même «qu'une personne non binaire est une personne qui n'est ni homme ni femme, ou du moins, pas tout le temps». Puis elle demande s'il y a de la place dans l'Église pour la diversité sexuelle et de genre, et le Pape répond en élargissant l'horizon au défi ecclésial de l'inclusion: «Toute personne est enfant de Dieu, toute personne. Dieu ne rejette personne, Dieu est Père. Et je n'ai pas le droit d'expulser qui que ce soit de l'Eglise. Non seulement cela, mais mon devoir est toujours d'accueillir. L'Eglise ne peut fermer la porte à personne. A personne». Immédiatement après, le Souverain pontife critique ceux qui, en s'ap-puyant sur la Bible, prônent un discours de haine et justifient l'exclusion du mouvement dit lgbt de la communauté ecclésiale. «Ces personnes sont des infiltrés qui profitent de l'Eglise pour leurs passions personnelles, pour leur étroitesse personnelle. C'est l'une des corruptions de l'Eglise», assure-t-il.

Le montage audiovisuel montre le Saint-Père qui, même s'il n'est pas toujours à l'aise, laisse les jeunes s'exprimer librement, même si nombre de leurs positions contredisent l'enseignement de l'Eglise dans divers domaines. Comme, par exemple, celle d'Alessandra, une Colombienne, qui interpelle le Pape à partir de l'activité qui la fait vivre. Elle se présente comme une créatrice de contenus pornographiques qu'elle diffuse sur les réseaux sociaux; un travail qui, selon elle, lui a permis de s'estimer davantage et de passer plus de temps avec sa fille.

François écoute attentivement et, partant toujours du côté positif, loue le potentiel des réseaux sociaux en tant qu'outil pour faciliter la communication et établir des relations humaines. Cependant, il aborde ensuite la question de la moralité des contenus qu'ils peuvent diffuser. «Si vous vendez de la drogue par le biais du réseau, par exemple, vous intoxiquez les jeunes, vous causez du tort, vous fomentez le crime. Si, par le biais du réseau, vous établissez des contacts avec la mafia pour créer des situations sociales, c'est immoral. La moralité des médias dépend de l'usage que l'on en fait», déclare le Saint--
Père.

Puis María, la jeune catholique qui s'était déjà prononcée contre l'avortement, réplique en disant combien la pornographie est nocive à la fois pour ceux qui la produisent et pour ceux qui la consomment. A partir de là, François reprend la parole et rappelle que ceux qui utilisent la pornographie s'avilissent humainement, «ceux qui sont dépendants de la pornographie sont comme dépendants d'une drogue qui les maintient à un niveau qui ne leur permet pas de grandir», précise-t-il.

Le dialogue se déplace ensuite sur le thème de la masturbation et le Pape choisit à nouveau d'élargir son regard, en proposant une approche saine de la sexualité: «Le sexe est l'une des belles choses que Dieu a données à la personne humaine. S'exprimer sexuellement est une richesse. Par con-séquent, tout ce qui déprécie la véritable expression sexuelle vous déprécie également et appauvrit cette richesse en vous. Le sexe a sa propre dynamique, sa propre raison d'être. L'expression de l'amour est probablement le point central de l'activité sexuelle». Par conséquent, tout ce qui «éloigne de cette direction diminue l'activité sexuelle». Le Pontife reconnaît pour conclure, que certainement la catéchèse sur la sexualité n'en est qu'à ses débuts dans l'Eglise, et admet que les chrétiens n'ont pas toujours eu une catéchèse mûre sur la -sexualité.

Felipe Herrera-Espaliat