A 60 ans de «Pacem in Terris» de Jean xxiii

Vouloir la paix n’est pas seulement ne pas vouloir la guerre

 Vouloir la paix n’est pas seulement  ne pas vouloir la guerre  FRA-014
06 avril 2023

«J’ai ensuite consacré toutes les vêpres, environ trois heures, à la lecture de l’encyclique de Pâques en préparation, qui m’a été faite par Mgr Pavan: “La paix entre les hommes dans l’ordre établi par Dieu, c’est-à-dire: dans la vérité, dans la justice, dans l’amour, dans la liberté”. Manuscrit de 111 pages dactylographiées. Je l’ai lu en entier, seul, calmement et minutieusement: et je trouve que c’est un travail très bien conçu et très bien fait. La dernière partie: “Appels pastoraux” trouve d’ailleurs pleinement écho dans mon esprit. Je commence à prier pour l’efficacité de ce document qui, je l’espère, sortira à Pâques et sera un motif de grande édification». C’est ce qu’écrivait
Jean xxiii — déjà gravement malade — le 7 janvier 1963, en confiant à son journal un souhait qui ne s’est réalisé qu’en partie. Oui, parce que si l’encyclique intitulée par la suite «Pacem in terris» et adressée pour la première fois également «à tous les hommes de bonne volonté», fut promulguée dans les temps voulus, le 11 avril suivant, jeudi saint — et même signée deux jours auparavant devant les caméras — soixante ans après, elle doit encore être intégrée dans ses claires indications. Celles qui définissent le dessein d’un nouvel ordre mondial fondé sur «les valeurs de la vérité, la justice, la charité et la liberté» et d’une paix «objet du profond désir de l’humanité de tous les temps», imaginée non seulement comme absence de guerre, mais comme objectif d’un processus éducatif, spirituel, politique, économique. En effet, non seulement on continue à «faire faire» des guerres, et non seulement les violations de droits élémentaires de la dignité humaine, terme qui revient plus de trente fois dans l’encyclique, ne s’arrêtent pas. Non seulement on ignore les appels à diffuser une culture de la non-violence qui au contraire — rappelle le Pape François — «pratiquée de façon résolue et cohérente, a produit des résultats impressionnants», mais même les accords et les pactes signés officiellement par de nombreux gouvernements gouvernements se révèlent sans valeur. En somme: une encyclique vivante et inachevée. Et, de fait, il n’a pas été tenu compte de cet engagement permanent pour la paix et pour le bien commun qui «constitue la raison d’être des pouvoirs publics», recommandé dans ce qui est le dernier don d’un grand semeur de paix, fort de nombreuses expériences vécues entre l’Orient et l’Occident, en tant que témoin également des deux guerres mondiales du xxe siècle, reste inachevé.

«Pacem in terris» avait déjà germé lors de la crise des missiles de Cuba, quand, en octobre 62, le Pape Roncalli — au cours des jours d’ouverture du Concile — avait été le protagoniste d’un appel pour la paix accueilli par Kennedy et Khrouchtchev dans un monde au bord d’une guerre nucléaire. Celui qui imagina un texte pour donner forme à cet engagement, dès novembre 1962, fut Pietro Pavan, un prêtre expert en doctrine sociale de l’Eglise, qui joua un rôle important dans la rédaction qui circula à partir du mois de janvier suivant parmi les experts, et qui demeura quasiment inchangée dans sa force prophétique à l’exception de certains points alors éliminés (par exemple l’objection de conscience), mais rétablis peu après par la force de certains prophètes et de l’engagement de petites communautés. Quoi qu’il en soit, le point principal de l’encyclique fut celui où l’on considère comme irrationnel («alienum a ratione») — après l’avènement du nucléaire — l’idée même de résoudre les controverses par le recours aux armes. En ne manquant pas d’indiquer des perspectives concernant l’édification de la paix, et d’un «désarmement intégral» qui atteigne «aussi les âmes». Et si l’Eglise avait longtemps enseigné que la guerre était admise comme légitime défense, «Pacem in terris» affirma quant à elle que le déséquilibre entre moyens à disposition (armes atomiques) et finalité (restauration de droits violés) rend impossible de poursuivre sur cette ligne. En bref, sans la nommer, il faut arrêter la «guerre juste». Et cela fut dit à travers des paroles conformes à l’Evangile, confiantes dans les chemins attentifs à la la promotion des droits humains, à l’abri des chocs des idéologies responsables de la culture du rejet avec les formes les plus diverses d’exploitation et de marginalisation.

Mais ce n’est pas tout. Parce que «Pacem in terris» reste également l’encyclique qui invite à «distinguer toujours entre l'erreur et ceux qui la commettent»; à reconnaître que «en vue de réalisations temporelles les croyants entrent en relation avec des hommes que des conceptions erronées empêchent de croire», et que ces contacts peuvent être «l’occasion ou le stimulant d’un mouvement qui mène ces hommes à la vérité». Et qui déclare que «de même, on ne peut identifier de fausses théories philosophiques sur la nature, l'origine et la finalité du monde et de l'homme, avec des mouvements historiques fondés dans un but économique, social, culturel ou politique». Même si ces derniers ont leur origine et puisent leur inspiration dans ces théories destinées à rester toujours les mêmes, les mouvements — poursuit l’encyclique qui réconcilie l’Eglise et la démocratie, la doctrine sociale et les droits humains — «ne peuvent pas ne pas être largement influencées par cette évolution». Le leitmotiv qui traverse en filigrane tout le texte demeure, à bien y voir, l’invitation à prendre acte des «signes des temps», les façons dont l’Histoire fait tourner les pages de l’Evangile. Les scruter, s’interroger sur leur signification, n’est pas seulement la responsabilité du Pape, mais de tout homme et de toute femme de bonne volonté appelé à apporter sa contribution pour faire cesser les massacres en cours, et, à partir de là, également à garder toujours ouvertes les voies où — entre réalisme et utopie — l’espérance trouve une place. Et où vouloir la paix ne peut être uniquement ne pas vouloir la guerre.

Marco Roncalli