FEMMES EGLISE MONDE

Le Reportage
Une religieuse iconographe réfléchit sur Dieu chaque dimanche

La sœur qui prêche

 La suora  che predica   DCM-004
01 avril 2023

Dans le cœur antique de Rome, le dimanche, il est possible d'entendre la prédication d’une sœur. Cela se passe à la fin de la messe de dix heures, dans une minuscule et accueillante église du XVIIIème siècle appelée Madonna del Divino Amore, à Campo Marzio, d'où l'on peut apercevoir le célèbre escalier de la Trinité des Monts en sortant.

Dans ce lieu qui semble hors du temps, le recteur bénit les fidèles à la fin de la liturgie et, comme s'il était l'un d'entre eux, s'assoit sur les bancs et écoute. Pour sœur Maria Giuseppina Di Salvatore, c’est le moment d'entrer dans l'espace de l'autel et d'illustrer l'une des icônes choisies parmi celles qu'elle a créées et qu'elle conserve dans le logement aménagé à l'intérieur du clocher. Il s'agit de panneaux iconographiques qui ont le pouvoir d'attirer immédiatement l'œil et l'esprit et qui, comme toutes les icônes, n'apportent pas seulement de la beauté mais servent à la prière.

Aujourd'hui, la religieuse a choisi le portrait d'un Christ en pied, baigné d'une lumière dorée et situé dans un espace céleste. L'or des icônes, explique sœur Joséphine à l'aise à côté de l'image, est la gratitude que nous ressentons pour le don de la vie éternelle, pour la nouvelle Torah que le Christ a apportée sur terre. Les dix points de lumière qui l'entourent sont les dix commandements renouvelés, tandis que les sandales à ses pieds signifient la hâte des missionnaires toujours prêts à partir pour apporter la bonne nouvelle. Et l'arc-en-ciel sur lequel il est assis représente en revanche l'alliance de Dieu avec les hommes et les femmes.  La prédication de sœur Joséphine est toujours une exploration visuelle et théologique du passage de l'Evangile lu pendant la messe et commenté dans l'homélie. Aujourd'hui, c'est l'Evangile selon Matthieu : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent... Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Elle cite sainte Thérèse d'Avila : « Les mots nous manquent pour décrire le mystère de l'amour de Dieu ». Là où les mots manquent, l'or arrive et c'est aux symboles de dévoiler le mystère.

Le sermon dure une poignée de minutes. Une religieuse qui ajoute sa propre réflexion à la parole de Dieu, est un enrichissement voulu par le père Federico Corrubolo, recteur de l'église, qui a d'abord admiré la capacité de la religieuse à « écrire » – et non à peindre – les panneaux iconographiques. « C'est étrange de voir un prêtre revêtu des parements m'écouter », dit sœur Giuseppina en parlant du père Simone Caleffi qui a remplacé le père Federico ce dimanche, « et pourtant je sens une pâte qui se lève, laïcs et prêtres ensemble sans portails ni barrières ; et la parole aux femmes n'est-elle pas ce qu'espère le Pape François ? ».

Il ne s'agit pas d'un bouleversement de la liturgie. La réflexion iconographique de sœur Guiseppina a lieu après la messe et sert à susciter une plus grande compréhension du mystère qui vient d'être célébré. En Occident, les icônes, qui avaient disparu pendant la majeure partie du XXème siècle, ont fait leur retour dans les années 1980 avec la même fonction que par le passé, à savoir fournir aux fidèles une explication des Saintes Ecritures. « Le fait que ce soit une femme qui le fasse ne change pas grand-chose », explique la religieuse un peu plus tard à l'heure du déjeuner, alors qu'elle prépare un risotto dans sa cuisine spartiate d'un blanc laiteux. Pour expliquer davantage, elle utilise une similitude avec la broderie : « Que j'utilise le point de croix ou le point plat pour broder une rose n'est pas important ; mon but n'est-il pas de broder une rose ? Ce qui compte, c'est de broder, d'une manière ou d'une autre, la rose de l'amour de Dieu ».

Sœur Maria Giuseppina Di Salvatore est née à Bergame. Elle avait dix-neuf ans lorsque, visitant le sanctuaire de Notre-Dame du Divin Amour à quelques kilomètres de Rome, elle a reconnu les signes de sa vocation. Après des années d'enseignement de la religion catholique dans des écoles, elle est arrivée en 2010 dans cette maison des Filles de Notre-Dame du Divin Amour, située dans le centre historique de la capitale, également connue sous le nom de « ufficio », car c'est là que le père Umberto Terenzi aménagea un espace pour son étude avant de fonder, en 1942, la Congrégation des Filles de Notre-Dame du Divin Amour, qui compte aujourd'hui sept maisons à Rome et 150 religieuses dans le monde. Le cabinet de travail du père Terenzi est intact et impressionnant dans la « cantorìa » où, en plus du petit orgue, se trouve encore à sa même place le bureau, l'agenouilloir qu'il utilisait et sa simple lampe de couleur verte. En regardant l'autel et surtout le tableau de la Vierge à l'Enfant au-dessus du tabernacle, le père Terenzi a écrit et dicté de nombreuses notes, méditations et pensées spirituelles.

Au début, déconcertée, sœur Giuseppina examine avec étonnement cette nouvelle vie silencieuse qui se déroule dans une église de la taille d'une pièce avec un clocher roman et un escalier étroit menant à des pièces sans fenêtres. Son amour pour les icônes était né bien avant, tout à fait par hasard grâce à un livre au papier précieux, maintenant ouvert sur la table de travail parmi les couleurs et les instruments pour les panneaux iconographiques.

Les icônes ont un langage très particulier dont les symboles doivent être étudiés et manipulés sans tomber dans l'erreur de les considérer comme des images sacrées normales, comme les fresques de Giotto. « Il y a des raisons théologiques et scripturaires derrière les icônes », explique sœur Giuseppina lorsque, à la fin de son sermon, nous montons à l'étage où ses œuvres sont exposées sur les murs. La première, rappelle-t-elle, a été envoyée à une petite église du Pakistan. Au dos, un acronyme remplace sa signature, car traditionnellement les iconographes ne signent jamais ce qu'ils produisent. Sœur Giuseppina raconte qu'avant d'entrer dans le monde des icônes, elle trouvait ces images parfois excessivement dépouillées et dures. Puis elle a compris : « Dans les icônes, il n'y a pas de profondeur ni de perspective, seulement de la lumière, car Dieu ne produit pas d'ombres : ce sont des prières faites avec des couleurs ». Comme la vocation, la passion pour cet art imprègne ses journées : « Comme le dit Isaïe, j'ai senti que Dieu a affuté sa flèche et l'a remise dans son carquois à travers un projet de silence, de couleurs et d'Evangile ». Dans la pièce-cuisine où pas un rayon de soleil n'entre, la vraie lumière vient d'abord dans le cœur de sœur Guiseppina et ensuite dans ses mains. Lorsqu'elle écrit une icône, elle répète un rituel identique depuis des siècles : le panneau est toujours composé de couches de plâtre, de colle et de toile. Il y a huit couleurs, dont la feuille d'or. Des éléments matériels qui vont du visible à l'invisible, du matériel au spirituel.

Un thème récurrent, outre l'Annonciation, est celui de la Madonna del Divino Amore. Ici, elle est suspendue au-dessus de la table de travail, une Vierge tenant l'Enfant-Jésus dans ses bras et partout des draperies blanches qui rappellent des passages de l'Ancien et du Nouveau Testament, notamment l'Evangile de Jean (« Le Verbe s'est fait chair et a dressé sa tente parmi nous »), la tente où Moïse a trouvé la prière pendant l'Exode et le « sanctuaire ouvert du ciel » cité dans l'Apocalypse. La Vierge, dans cette icône, porte le voile bleu de la maternité divine et la robe rouge qui symbolise son appartenance à l'humain, de même que le vêtement de Jésus est de la même teinte pour symboliser un Dieu qui s'est fait homme. Partout dans les icônes de sœur Guiseppina, le vert est la couleur traditionnelle de la pureté, avant que le blanc ne le devienne. Le vert est donc le drap qui recueille la dépouille de la Vierge lorsqu'elle meurt et est accueillie par son fils Jésus.

La salle qui recueille les icônes est celle d'où sœur Guiseppina donne les jeudis soir des conférences en ligne sur la théologie mariale, qui ont commencé il y a dix ans lorsqu'elle formait des séminaristes. Cette mission fait partie intégrante de son quatrième vœu d'amour à Marie, qui la pousse à « faire connaître et aimer la sainte Mère de Dieu, quoi qu'il en coûte », comme le voulait son fondateur.

« Je fais beaucoup de choses, c'est vrai », sourit-elle en montrant le volume dans lequel est racontée la vie de sa sainte inspiratrice, Hildegarde von Bingen, docteur de l'Eglise depuis 2012, moniale et mystique du XIème siècle, femme éclectique puisqu'elle fut aussi naturaliste, passionnée de botanique et de médecine, philosophe, cosmologiste et linguiste. Et dans les pages d'Hildegarde, on trouve aussi des références à la cuisine, à laquelle sœur Guiseppina consacre du temps et de l'intelligence : « Quand une femme cuisine, c'est une extension de la liturgie, c'est un service d'amour », dit-elle, en allumant le feu sous les boulettes de viande à la sauce tomate et en préparant le safran à ajouter au riz. En semaine, l'étroite table en linoléum est occupée par les deux religieuses qui vivent dans la maison, tandis que le dimanche, une assiette est ajoutée pour le père Federico.

Lorsque le curé prend congé, c'est le moment idéal pour sœur Guiseppina de reprendre l'écriture de ses icônes. Sœur Alice repart dans sa chambre, la petite église est fermée, un silence rare brille dans le clocher qui est devenu sa maison. La religieuse prend ses pinceaux, met ses lunettes grossissantes qui amplifient la vision des détails et, dans le vide apparent, commence à créer : « Parce que le silence est le moteur qui génère et seul celle ou celui qui aime est capable de créer ».

Laura Eduati

#sistersproject