Nous publions d’amples extraits de l’entretien du Pape François avec l’hebdomadaire catholique belge «Tertio», qui a été rendu public le 28 février dernier.
«Tertio» avait déjà eu le privilège d’interviewer longuement le Pape François le 17 novembre 2016. L’occasion de cet entretien était, d’une part, le centenaire de la Première Guerre mondiale et, d’autre part, les attentats terroristes de Paris en novembre 2015 et de Bruxelles le 22 mars 2016. Six ans plus tard, il semblait opportun de demander une autre interview, cette fois à l’occasion du dixième anniversaire de son pontificat, le 13 mars 2023... Le nouvel entretien est programmé pour le lundi 19 décembre 2022, deux jours après le 86e anniversaire de François et le lendemain de la victoire de l’Argentine en Coupe du monde de football. Nous saluons le Pape par des doubles félicitations... Les micros pour l’enregistrement sont testés, la première question peut être posée.
Un fil rouge pour comprendre votre pontificat est le Concile Vatican ii . Pourquoi la poursuite de la réalisation de ce Concile vous tient-elle tant à cœur? Qu’est-ce qui en jeu?
Les historiens disent qu’il faut un siècle pour que les décisions d’un Concile prennent pleinement effet et soient mis en œuvre. Nous avons donc encore 40 ans à parcourir… Je suis tellement préoccupé par le concile parce que cet événement était en fait une visite de Dieu à son Eglise. Le concile était une de ces choses que Dieu accomplit dans l’histoire à travers des personnes saintes. Peut-être que, lorsque
Jean xxiii l’a annoncé, personne ne s’est rendu compte de ce qui allait se passer. On dit qu’il pensait lui-même que ce serait terminé en un mois, mais un cardinal a réagi en disant: «Achetez déjà les meubles et autres, car cela prendra des années». Il en a tenu compte, mais Jean xxiii était un homme ouvert aux appels du Seigneur. C’est ain-si que Dieu parle à son peuple. Et ici, Il nous a effectivement parlé. Le concile n’a pas seulement entraîné un renouveau de l’Eglise. Ce n’est pas une question de renouvellement, mais un défi pour rendre l’Eglise de plus en plus vivante. Le concile ne renouvelle pas, il rajeunit l’Eglise. L’Eglise est une mère qui avance toujours. Le concile a ouvert la porte à une plus grande maturité, plus en accord avec les signes des temps. Lumen gentium par exemple, la constitution dogmatique sur l’Eglise, est l’un des documents les plus traditionnels en même temps que l’un des plus modernes, car dans la structure de l’Eglise, le traditionnel — s’il est bien compris — est toujours moderne. C’est parce que la tradition continue de se développer et de grandir.
Comme l’a déclaré le moine français Vincent de Lérins au ve siècle, les dogmes doivent continuer à se déployer, mais selon cette méthodologie: «Ut annis scilicet consolidationtur, dilatetur tempore, sublimetur aetate» («Qu’ils soient consolidés par les années, élargis par le temps, exaltés par l’âge», ndlr.). C’est-à-dire: à partir de la racine, nous continuons toujours à grandir. Le Concile a fait un tel pas en avant, sans couper la racine, car ce n’est pas possible si on veut produire des fruits. Le concile est la voix de l’Eglise pour notre temps, et en ce moment — pendant un siècle — nous le mettons en pratique.
C’est une image étrange: l’Eglise est comme une mère qui ne vieillit pas, mais rajeunit de plus en plus…
Etonnante en effet, mais telle est l’Eglise. Elle rajeunit sans perdre sa sagesse séculaire.
La poursuite de la mise en œuvre et de la réalisation du concile comprend l’encouragement à la synodalité. Que signifie-t-il réellement?
Il y a un point qu’il ne faut pas perdre de vue. A la fin du concile, Paul vi a été très choqué de constater que l’Eglise d’Occident avait presque perdu sa dimension synodale, alors que les Eglises catholiques orientales avaient su la -conserver. Il a donc annoncé la création du secrétariat du synode des évêques, dans le but de promouvoir à nouveau la synodalité dans l’Eglise. Au cours des 60 dernières années, elle s’est développée de plus en plus. Petit à petit les choses se sont clarifiées. Par exemple, si seuls les évêques avaient le droit de vote. Parfois, il n’était pas clair si les femmes pouvaient voter... Lors du dernier synode sur l’Amazonie, en octobre 2019, les esprits ont mûri dans ce sens. Un autre fait particulier s’est alors produit. Lorsqu’un synode se termine, ceux qui y ont participé et tous les évêques du monde sont sondés sur le thème qu’ils aimeraient voir à l’ordre du jour du synode suivant. Le premier thème qui a alors été retenu est le sacerdoce, et ensuite la synodalité. Apparemment, c’était un thème partagé dont tous les évêques estimaient qu’il est maintenant temps de le traiter. A l’occasion du cinquantième anniversaire de cet organe permanent du synode des évêques, des théologiens avaient déjà dressé un bilan dans un document. Nous venons de loin, nous y sommes maintenant et nous devons avancer. C’est ce que nous faisons à travers le processus synodal actuel et les deux synodes sur la synodalité nous aideront à clarifier le sens et cette méthode de prise de décision dans l’Eglise.
Il est important de dire clairement qu’un synode n’est pas un parlement. Un synode n’est pas un sondage d’opinion à gauche et à droite. Non. Le protagoniste principal d’un synode est l’Esprit Saint. Si l’Esprit Saint n’est pas là, il ne peut y avoir de synode...
Lors de notre précédente entrevue en 2016, vous avez évoqué la troisième guerre mondiale que nous vivons par morceau. Aujourd’hui, la situation n’est pas meilleure, mais encore pire, avec encore plus de guerres comme celle en Ukraine. Quel rôle la diplomatie du Vatican peut-elle jouer à ce niveau?
Le Vatican a pris ce conflit à cœur dès le premier jour. Dès le lendemain du début de l’invasion, je me suis personnellement rendu à l’ambassade de Russie. Quelque chose qui ne s’est jamais fait et qu’un Pape ne fait normalement. Je me suis rendu disponible pour aller à Moscou et faire en sorte que ce conflit ne continue pas. Depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, le Vatican est au cœur de l’action. Plusieurs cardinaux se sont déjà rendus en Ukraine, le cardinal Konrad Krajewski s’y est déjà rendu six fois pour aider le peuple ukrainien. Dans le même temps, nous ne cessons de parler avec peuple russe afin d’entreprendre quelque chose.
Cette guerre est terrible, c’est une immense atrocité. Il y a beaucoup de mercenaires qui se battent. Certains sont très cruels, très cruels. Il y a de la torture; des enfants sont torturés. De nombreux enfants qui résident avec leur mère en Italie, des réfugiés, sont venus me trouver. Je n’ai jamais vu rire un enfant ukrainien. Pourquoi ces enfants ne rient-ils pas? Qu’ont-ils vu? C’est terrifiant, vraiment terrifiant. Ces gens souffrent, ils souffrent de l’agression. Je suis également en contact avec des Ukrainiens. Le président Volodymyr Zelensky a envoyé plusieurs délégations pour me parler.
Nous faisons ce que nous pouvons d’ici pour aider la population. Mais la souffrance est très grande. Je me souviens de ce que mes parents me disaient: «La guerre est une folie». Il n’y a pas d’autre définition. Nous compatissons si fortement avec cette guerre parce qu’elle se déroule près de chez nous. Mais il y a des guerres dans le monde depuis des années auxquelles nous ne prêtons pas attention: au Myanmar, en Syrie — déjà 13 ans de guerre —, au Yémen, où les enfants n’ont ni éducation ni pain, où ils souffrent de la faim... En d’autres termes: le monde est effectivement toujours en guerre. Par rapport à cela, il y a une chose qui doit être dénoncée, c’est la grande industrie de l’armement. Il y a le commerce des armes. Lorsqu’un pays riche commence à s’affaiblir, on dit qu’il a besoin d’une guerre pour tenir bon et redevenir plus fort. C’est à cela que les armes préparent. Mais il y a aussi le commerce des armes. Ils se débarrassent de toutes les vieilles armes qu’ils ont et en essaient de nouvelles. C’est terrible. On dit — je ne sais pas si c’est vrai — que la guerre civile espagnole a servi à tester des armes pour la Seconde Guerre mondiale. Je ne sais pas si c’est vrai, mais les armes sont toujours testées, n’est-ce pas? C’est l’industrie de la destruction, l’industrie de la guerre, d’un monde en guerre. En un siècle environ, nous avons connu trois grandes guerres mondiales: celle de 14-18, celle de 39-45, et la guerre actuelle qui est aussi une guerre mondiale, dans laquelle les pays riches renouvellent leurs armes.
Lorsque je me suis rendu dans la région italienne de Redipuglia pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, l’un de mes premiers voyages en tant que Pape en 2014, j’ai vu toutes ces tombes là-bas et j’ai pleuré. J’ai pleuré. Ma grand-mère a vécu cette guerre et m’a raconté des choses que je porte en moi. Tous les 2 novembre, je vais dans un cimetière. C’est ainsi que, il y a quelques années, je suis allé au cimetière d’Anzio, à Rome, pour célébrer le Jour des fidèles défunts, et j’ai vu les tombes et l’âge des garçons: 18 ans, 19, 20 ans... Là aussi, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. Pourquoi cette folie pour ces garçons? Lorsque plusieurs chefs de gouvernement ont organisé un service commémoratif pour le 60e anniversaire du débarquement en Normandie, j’ai pen-sé à la cruauté de ce débarquement, car les nazis étaient sur leurs gardes. Ils savaient. Selon les rapports, 30.000 jeunes sont morts sur la plage. Je pense à une mère. Le facteur frappe à sa porte et a une lettre pour elle. Elle l’ouvre et lit: «Madame, nous avons l’honneur de vous informer que vous avez un fils qui est un héros». «J’avais un fils, ils l’ont tué», réagit-elle. Chaque guerre est un échec. Mais on n’apprend pas, on n’apprend pas. Et maintenant que nous en vivons une autre de près, il faut espérer, si Dieu le veut, que nous en tirions enfin une leçon... Cela a commencé avec Caïn et Abel, et cela continue encore et encore. Pour moi, c’est très douloureux, très douloureux, et je ne peux pas choisir un camp, la guerre est mauvaise en soi.
En Belgique, nous sommes également très préoccupés par la guerre et la violence en République démocratique du Congo.
Je me souviens que lorsque le roi Bau-douin était là-bas pour proclamer l’indépendance, on lui a pris son épée, n’est-ce pas? C’était un symbole. Oui, la violence à Goma, au Nord-Est du Congo, où se trouve les guérillas rwandaises. De telles guerres se déroulent depuis des années, mais nous les ignorons. Nous voyons l’Ukraine parce qu’elle est proche. La guerre, c’est de la folie, c’est du suicide, c’est de l’autodestruction. La paix, s’il vous plaît, la paix!
Dans nos contrées, avec un clergé en diminution et moins de fidèles, la direction de l’Eglise a tendance à se focaliser sur la liturgie et l’annonce. L’Eglise ne devrait-elle pas plutôt montrer son visage social et prophétique si elle veut être pertinente aujourd’hui?
On ne peut pas opposer ces missions les unes aux autres. Elles ne sont pas contradictoires. La prière, l’adoration et le culte qu’on doit se retirer dans la sacristie. Ce n’est pas juste. Une Eglise qui ne célèbre pas l’Eucharistie n’est pas une Eglise. Mais une Eglise qui se cache dans la sacristie n’est pas non plus une Eglise. Se ranger dans la sacristie n’est pas un culte correct. La célébration de l’Eucharistie a des conséquences. Il y a la fraction du pain. Cela implique une obligation sociale, l’obligation de prendre soin des autres. La prière et l’engagement vont donc de pair. L’adoration de Dieu et le service de nos frères et sœurs vont de pair, car dans chaque frère et sœur nous voyons Jésus Christ.
Attention, l’engagement social de l’Eglise est une réaction, une conséquence du culte. Il ne faut donc pas confondre cet engagement avec l’action philanthropique qu’un non-croyant peut également posée. L’action sociale de l’Eglise découle de son être parce qu’elle reconnaît Jésus en elle. C’est tellement fort qu’il s’agit même de la mesure selon laquelle, selon Jésus, nous serons jugés. D’après Matthieu 25, nous entendrons cette mesure de notre charité lors du Jugement dernier: «Voici, j’avais faim et vous m’avez donné à manger; j’avais soif et vous m’avez donné à boire; j’étais en prison et vous m’avez visité; j’étais malade et vous m’avez soigné...». Ce sont toutes des actions sociales, mais qui ne sont pas accomplies par contrainte sociale ou par devoir, mais parce que Jésus y est présent. Cependant, je n’y reconnaîtrai jamais Jésus si je ne le reconnais pas aussi dans l’adoration et le culte. Les deux vont de pair. Ils doivent être unis. Une Eglise purement cultuelle n’est pas une Eglise, pas plus qu’une Eglise purement «sociale», pour le décrire ainsi...
Le soin des jeunes et des personnes âgées vous tient à cœur, car ils risquent de ne pas vraiment compter dans une culture du déchet...
De très belles choses se passent dans le dialogue entre les différentes générations. Le prophète Joël a écrit une phrase magnifique à ce sujet: «Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront et vos jeunes gens auront des visions» (3, 1). Et puis les jeunes et les anciens se réunissent. L’aîné ne doit pas être conservé dans un entrepôt ou dans un musée, mais doit pouvoir continuer à donner à la société ce qu’il a en lui. Il y a une mission pour l’aîné. Nous devons prendre soin de l’aîné comme d’un -joyau. Même s’il n’est plus en bonne santé ou s’il n’est plus pleinement conscient, nous devons en prendre soin comme d’un joyau, car cette personne, cet homme ou cette femme, a semé une vie nouvelle sa vie durant, nous a donné la vie. Par conséquent, nous devons prendre soin de lui.
Et les jeunes ne sont pas là pour être gâtés et pas dérangés. Nous devons les aider à grandir en sagesse. La rencontre entre jeunes et personnes âgées est donc prophétique. J’en ai fait l’expérience tant de fois avec des jeunes. Par exemple, je me souviens d’une activité où nous avons proposé à des jeunes de jouer de la guitare dans une maison de repos. «Pfff, pfff, ça va être ennuyeux»... «Allons-y quand même». Et puis ils n’ont plus voulu partir, ils ont commencé à chanter et le dialogue avec les personnes âgées a commencé. Ces jeunes ont découvert quelque chose chez les personnes âgées. Les anciens savent comment parler, ils savent où est le problème. L’un d’entre eux m’a raconté qu’il avait traversé une période très compliquée dans sa vie et qu’il avait emprunté des chemins difficiles — y compris la toxicomanie; mauvais, mauvais, mauvais. La famille ne s’en est pas rendu compte. Il savait comment le cacher. Sa grand-mère l’a remarqué et elle lui a parlé tout doucement: «Je t’attends. Quand tu veux, viens. Je te soutiens, je t’aime». La grand-mère lui a donné un certain espoir pour qu’à son retour, il ne se sente pas comme un voyou. Les grands-parents sont la mémoire qui nous transmet le savoir. Et mettre les jeunes en contact avec leurs grands-parents, c’est semer la vie, c’est semer l’avenir. Nous devons les valoriser. Ils ne sont pas du matériel jetable, pas plus que les jeunes. «Laissez-les faire ce qu’ils veulent», cela revient à les abandonner à leur sort, à les exclure de nos vies par commodité. Prenez soin des deux, jeunes et vieux, et faites-les se rencontrer. Ce verset de Joël est très beau. Je veux vous montrer quelque chose, juste un instant... (le Pape appelle un huissier et lui demande d’aller chercher une photo prise lors de sa visite en Roumanie, le 1er juin 2019, ndlr).
Lorsque je suis entré sur la place principale d’Iaşi pour une réunion avec des familles et des jeunes, elle était bondée. J’ai vu une vieille femme qui me montrait un enfant d’environ deux mois, souriant comme pour dire: «Ceci est mon espoir», «Regarde, maintenant je peux rêver». Cela m’a touché. A ce moment-là, j’étais tellement impressionné que je n’ai pas pu lui dire: «Venez avec moi, Madame, pour le montrer à tout le monde». Mais à la fin de mon discours, j’ai raconté cette histoire et j’ai dit que les grands-parents rêvent quand ils voient leurs petits-enfants progresser et que les petits-enfants prennent courage quand ils peuvent s’appuyer sur les racines de leurs grands-parents. Spontanément, j’ai dit: «Dommage qu’on ne l’ait pas pris en photo». Mais le photographe m’a dit qu’il avait vu mon enthousiasme et qu’il avait pris la photo. Voici la photo avec l’histoire au dos. Pour moi, cela dit beaucoup. Un aîné avec un petit enfant, qui dit: «Ceci est mon avenir». Et l’enfant peut dire: «Ceci est ma force». Cette photo est un symbole du lien entre grands-parents et petits-enfants. Il est important que les enfants aient des contacts avec leurs grands-parents, très important.
Quel message avez-vous pour tous les soignants qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans des circonstances souvent difficiles?
Ils remplissent une fonction importante. Ils ont un travail très digne, très digne. Nécessaire aussi. Si ce travail est vécu comme une vocation, avec tendresse, il est très digne. Il est très triste que certaines maisons de retraite adoptent une ligne trop commerciale, avec pour conséquence la perte de la tendresse. Lorsque j’étais évêque à Buenos Aires, j’aimais aller célébrer l’Eucharistie dans des maisons de retraite. Je veillais toujours à avoir beaucoup de temps, car je leur parlais à tous et seulement ensuite je célébrais la messe. Je me souviens d’une fois — certains seront fâchés que je raconte cela, mais je le dis quand même — où le moment de la communion est arrivé et où quelqu’un a dit: «Si quelqu’un veut recevoir la communion, qu’il -lève la main», et je devais alors passer devant eux pour que les résidents n’aient pas à s’avancer. Bien sûr, ils ont tous levé la main. Il y a une dame à qui j’ai donné la communion qui m’a pris la main et m’a dit: «Merci, père, merci, je suis Juive». J’ai répondu: «Eh bien, celui que je vous ai donné était également juif, n’est-ce pas?» (rire) La personne âgée cherche la compagnie, la proximité et la connexion, qui transcendent la foi religieuse. Aux évêques, je dis: «Allez dans les maisons de repos, rendez visite aux personnes âgées».
Le modèle de marché néolibéral atteint ses limites. Comment «l’économie de François» offre-t-elle une alternative?
Tout d’abord, l’enseignement social de l’Eglise — depuis le Pape Léon xiii jusqu’à aujourd’hui — peut l’inspirer. Cet enseignement analyse les questions économiques à partir de l’Evangile. Avec la journaliste Austen Ivereigh, j’ai écrit un livre que je vais vous offrir: Let us dream (Rêvons). Osons effectivement rêver, même à des économies qui ne sont pas purement libérales... Il faut être prudent avec l’économie: si elle se concentre trop sur la seule finance, sur de simples chiffres sans entité réelle derrière eux, alors l’économie se pulvérise et peut conduire à une sérieuse trahison. Il y a en ce moment des gens extraordinaires qui repensent l’économie, parmi lesquels des femmes. Les femmes sont des génies de la créativité. Je les mentionne dans ce livre. L’économie doit être une économie sociale. Quand on parle d’une «économie de marché», Jean-Paul ii y a ajouté le «social»: une économie sociale de marché. Il faut toujours garder le social à l’esprit.
En ce moment, la crise économique est certainement sérieuse, la crise est terrible. La plupart des gens dans le monde — la majorité — n’ont pas assez à manger, n’ont pas assez pour vivre. La richesse est entre les mains de quelques personnes qui dirigent de grandes entreprises, qui sont parfois fort dans l’exploitation. En Argentine, nous avons eu une belle expérience qui venait des Belges, de Flandre. (Certains entrepreneurs) sont venus s’installer en Argentine avec la doctrine sociale de l’Eglise comme référence. A Flandria — comme s’appelait l’industrie textile dont ils étaient propriétaires — les travailleurs eux-mêmes avaient une participation aux dividendes. C’est un énorme progrès que vous, les Belges, avez réalisé. En Argentine, ce serait une bonne idée de vérifier comment cela s’est passé là-bas. Je parle des années 1940 et 1950. C’est donc possible, et dans l’harmonie. Jules Steverlinck était le responsable de Flandria là-bas, n’est-ce pas? A environ 70 kilomètres de Buenos Aires. Une telle économie sociale est donc possible et j’en ai vu un exemple à travers vous, les Belges. Oui, l’économie doit toujours être sociale, au service du social.
Avec trois journalistes néerlandais j’ai pris l’initiative d’une lettre ouverte qui vous a été adressée à l’occasion de la canonisation, le 15 mai 2022, du carme néerlandais Titus Brandsma (1881-1942). Dans ce document, nous vous demandions de déclarer Titus Brandsma, lui-même très engagé dans le journalisme, comme patron des journalistes. Notre requête a-t-elle une chance d’aboutir?
Oui, je suis d’accord. Je suis tout à fait d’accord avec cette proposition. Il y a un autre saint qui est éligible pour cela, qui est également mort dans un camp de concentration. Quoi qu’il en soit, je vais contacter le Dicastère pour les causes des saints pour voir ce qui est possible. Ce serait en tout cas un plaisir pour moi. Et je voudrais aussi profiter de cette occasion pour, à travers vous, remercier tous les journalistes pour leur travail. C’est un noble métier: transmettre la vérité. Mais en même temps, je vous demande de prendre garde aux quatre péchés des journalistes. Savez-vous quels sont-ils?
Non. Vous en avez parlé dans notre précédente interview, mais je ne saurais pas les énumérer maintenant.
La désinformation — ne raconter qu’une partie et pas la totalité —, la calomnie, la diffamation – ce qui n’est pas la même chose — et la coprophilie, qui est: la recherche des choses dégoûtantes qui provoquent le scandale et attirent l’attention.
Et par rapport à ces vices, alors, quelles sont les vertus d’un bon journaliste?
Les qualités d’un journaliste sont l’écoute, la traduction et la transmission, car il faut toujours traduire, n’est-ce pas? Mais d’abord écouter... Il y a des journalistes qui sont brillants parce qu’ils disent clairement: «J’ai écouté, il a dit ceci, mais je -pense le contraire». C’est une bonne façon de jouer le jeu, mais pas: «Il a dit ceci», même si ce n’est pas ce qui a été dit. Ecoutez, relayer le message et ensuite critiquer. Les journalistes font un travail formidable.
Emmanuel Van Lierde