FEMMES EGLISE MONDE

* Entretien
« Plus d’écoles pour tous, plus de recherche, plus de conscience historique : depuis toujours, ce sont les instruments pour l’émancipation, également celle féminine »

Aux Africaines sans droits

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04 mars 2023

Dacia Maraini, quel est le droit humain le plus violé, nié, moins respecté, des femmes africaines ?

Il est difficile de parler de droits dans des sociétés tribales où les droits se mesurent sur la tradition. Mais je commencerais quoi qu’il en soit par dire que l’on ne peut pas parler des femmes africaines dans un sens général. Dans les pays africains où existent des lois, une Constitution reconnue, un système d’institutions qui fonctionnent plus ou moins, les droits niés aux femmes sont semblables à ceux de nombreux pays du monde, c’est-à-dire le manque d’égalité sur le travail, le manque d’accès aux études supérieures, le manque de respect et de considération au cours des procès, le manque de soins appropriés dans les hôpitaux.

La violence sur les femmes en Afrique revêt diverses formes : viol, mauvais traitements physiques et psychologiques, mariages forcés, arrangés ou précoces, morts des suites de l’accouchement, accès nié à l’étude, mutilations génitales féminines. Quel est, selon vous, le pire instrument de soumission ?

Je dirais que l’instrument de répression le plus grave réside dans les mutilations génitales, parce qu’elles ont lieu sur des petites filles qui ne sont pas encore dotées de conscience et parce qu’elles sont irrémédiables. Mais toutes les autres formes de répression sont odieuses et très graves pour la croissance et la liberté féminines. En deuxième, je mettrais quoi qu’il en soit l’impossibilité d’avoir accès aux études, qui ôte aux petites filles la possibilité de prendre conscience de leurs droits. Ce n’est pas un hasard si tous les pays dictatoriaux nient le droit à l’étude aux femmes. Une femme qui acquiert des instruments de jugement et d’analyse est plus difficile à contrôler.

A quels instruments internationaux et nationaux peut-on faire référence pour l’élimination de la mutilation génitale féminine ?

Comme toujours, les lois naissent de la culture. La mutilation génitale est une coutume très ancienne, qui précède la religion musulmane. Et elle naît d’un besoin d’assujettir les femmes à un pouvoir patriarcal. Il faudrait mener une campagne qui mise sur la connaissance historique du problème, puis sur les droits civils. Mais c’est un cercle sans fin, car s’il n’y a pas de conscience, ce sont les femmes elles-mêmes, comme c’est le cas également à présent, qui voudront appliquer les anciennes règles répressives à l’égard des femmes. Des amies australiennes m’ont parlé d’un réseau de femmes africaines immigrées qui pratiquaient la mutilation génitale sur les petites filles, le considérant comme un devoir ancestral. Par chance, l’une d’elles a protesté et l’affaire a été rendue publique.

Quels sont les défis de l’égalité de genre en Afrique ?

Comme je l’ai dit, il est difficile de parler de l’Afrique en général. L’Afrique est composée de nombreux pays et tous ne sont pas égaux. Il y a une Afrique musulmane qui a souvent repris et reproduit les anciennes coutumes tribales, les transformant en lois, il y a une Afrique chrétienne qui est plus attentive, mais qui n’échappe pas au syncrétisme qui provoque souvent des dommages. Il y a une Afrique païenne qui s’approprie la technologie la plus avancée sans toutefois renoncer aux anciennes coutumes répressives, non seulement à l’égard des femmes, mais aussi des hommes, comme l’esclavage, le commerce de corps humains, etc.

De quelle façon la culture influe-t-elle sur l’inégalité de genre en Afrique ?

Comme je l’ai déjà dit, le mal vient de l’idée selon laquelle on peut s’approprier des progrès technologiques sans tenir compte et sans miser sur une éducation au respect de l’autre, à la pratique de la démocratie et au respect des droits civils pour tous. Ce sont là des conquêtes culturelles et trop souvent, elles sont négligées en considérant que la modernité découle de la possession d’argent, d’armes et de pouvoir.

Qu’est-ce que le féminisme africain ?

Sincèrement, je ne sais pas. Je ne connais pas assez les situations des divers pays. Mais je dirais que toutes les femmes se rendent compte quand elles sont privées de leurs droits, même si elles ne l’expriment pas en paroles. On reconnaît leur malaise dans leurs maladies de l’esprit. Mais qui s’occupe des maux spirituels des femmes ?

Peut-on parler d’un féminisme différent selon les régions géographiques ?

Le féminisme ne devrait pas diviser, mais unir. Ce qui fait la différence naturellement sont les conditions historiques et sociales. Mais la liberté ne connaît ni religions, ni idéologies. Une femme qui ne dispose pas de liberté de pensée, de parole, de mouvement, le sait. Même un oiseau en cage sait ce qu’est la liberté : sortir de cette cage qui ne donne pas le droit de voler. L’oiseau ne sait pas le dire parce qu’il ne peut pas parler, mais il le sait. Ainsi, la femme la plus ignorante et inconsciente sait elle aussi quand on l’empêche d’exercer sa liberté de pensée, de parole, de mouvement.

Quels sont les principaux problèmes que le mouvement africain pour les droits des femmes cherche à résoudre ?

Je crois qu’il a assumé un grand fardeau culturel. Et je suis reconnaissante au mouvement qui affronte ces problèmes avec générosité et intelligence historique.

Quel impact a eu le colonialisme sur les rôles des femmes dans la société africaine ?

Le colonialisme a été un mal parce qu’il visait à s’approprier des biens des pays riches de matières premières. Et il a commis un grave péché en ne s’occupant pas de créer des conditions de vie acceptables, comme les routes, les puits, les écoles, les hôpitaux. Pourtant, sans le vouloir, à travers ses intellectuels, une partie des conquêtes sur les droits civils sont passées par des voies culturelles. Je le répète : je ne crois pas qu’il y ait des pays civils et d’autres non civils. Je crois que les épisodes d’émancipation doivent être vus dans une perspective historique. Il ne fait aucun doute que l’histoire de l’humanité commence en Afrique et à l’époque préhistorique, l’Afrique était à l’avant-garde dans tous les sens. Puis elle est tombée dans une sorte de sommeil historique qui l’a conduite vers la pauvreté, en laissant les nouvelles conquêtes avoir lieu dans d’autres pays. Et il faut dire que les pays les plus riches et développés sur le plan technologique en ont profité pour piller les richesses africaines.

Quels étaient, auparavant, les droits des femmes en Afrique ?

Les droits changent selon les conditions de vie. Dans une tribu qui, pour survivre, doit chasser et pratiquer le nomadisme, les droits seront ceux établis par les dures lois de la survie.  Je pense toutefois que les femmes africaines, à l’époque précédant le colonialisme, avaient davantage de droits par rapport à ceux éliminés par les régimes de pouvoir venus de l’extérieur. Dans de nombreuses sociétés africaines, il y avait une forme de matriarcat, basé sur la force symbolique de la maternité. La femme donnait la vie et était donc considérée comme sacrée et divine. Cela s’est assurément perdu avec l’arrivée du colonialisme.

Comment peut-on réduire les inégalités de genre en Afrique ?

Uniquement à travers la culture. Plus d’écoles pour tous, plus de recherche, plus de conscience historique. Ce sont depuis toujours les instruments de l’émancipation des peuples. Même de ce peuple considéré comme une minorité, mais qui ne l’est pas, le peuple féminin.

Qu’écririez-vous dans une lettre à une enfant africaine ?

J’écrirais ceci : Chère enfant africaine, je voudrais que tu sois heureuse et pour cela, je dirais qu’avant toute chose, tu dois être libérée de la faim et de la pauvreté. Si tu réussis à te libérer de la pauvreté, je te dis : insiste pour ton droit à l’instruction. Parce qu’en étudiant et en t’informant, tu comprendras mieux quels sont tes droits et tu sauras lutter pour les obtenir. Aie confiance en ta force morale et intellectuelle, ne te laisse pas influencer par ceux qui te disent que tu es inférieure, que tu n’es pas capable de penser avec ta propre tête ou de ceux qui te disent de te couvrir parce que ton corps, tes cheveux, sont source de tentation. Pense que ta liberté est la liberté de tous. N’aie pas peur, si tu le veux, tu seras capable d’imposer ta dignité et ton besoin de justice. L’avenir t’appartient, chère enfant, ne le laisse pas t’être arraché des mains. Avec toute mon affection. Dacia Maraini

Entretien avec Dacia Maraini