«Il faut redécouvrir la réalité permanente du mariage comme lien»: un «mot qui est parfois regardé avec suspicion, comme s'il s'agissait d'une imposition extérieure, d'un poids, d'un “lien”» mais qui, s'il est compris «comme un lien d'amour, se révèle alors comme le noyau du mariage». C'est ce qu'a souligné le Pape François dans son discours au collège des prélats-auditeurs de la Rote Romaine, reçu en audience le 27 janvier, dans la Salle Clémentine, à l'occasion de l'inauguration de l'année judiciaire. Nous publions ci-dessous les paroles prononcées par le Saint-Père:
Chers prélats-auditeurs!
Je remercie le doyen pour ses aimables paroles et je vous salue cordialement, ainsi que tous ceux qui accomplissent des fonctions dans l'administration de la justice auprès du Tribunal apostolique de la Rote romaine. Je renouvelle mon appréciation pour votre travail au service de l'Eglise et des fidèles, surtout dans le cadre des processus concernant le mariage. Vous faites beaucoup de bien avec ça!
Aujourd'hui, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le mariage, parce qu'il y a un fort besoin dans l'Eglise et dans le monde de redécouvrir le sens et la valeur de l'union conjugale entre un homme et une femme sur laquelle se fonde la famille. En effet, un aspect certainement non secondaire de la crise qui frappe tant de familles est l'ignorance pratique, personnelle et collective, au sujet du mariage.
L'Eglise a reçu de son Seigneur la mission d'annoncer la Bonne Nouvelle et elle éclaire et soutient aussi ce «grand mystère» qu'est l'amour conjugal et familial. L'Eglise tout entière peut se dire une grande famille, et de manière toute particulière à travers la vie de ceux qui forment une Eglise domestique reçoit et transmet la lumière du Christ et de son Evangile dans le cadre familial. «En suivant le Christ “venu” au monde “pour servir” (Mt 20, 28), l'Eglise considère le service à la famille comme une de ses tâches essentielles. En ce sens, l'homme et la famille constituent “la voie de l'Eglise”» (Saint Jean-Paul ii , Lettre aux familles, 2 février 1994, 2).
L'Evangile de la famille renvoie au dessein divin de la création de l'homme et de la femme, c'est-à-dire au «commencement», selon la parole de Jésus: «N'avez-vous pas lu que le Créateur les fit d'abord homme et femme et dit: c'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et se joindra à sa femme et les deux deviendront une seule chair? Ce n'est plus deux, mais une seule chair. Que l'homme ne divise pas ce que Dieu a uni» (Mt 19, 4-6). Et cette unique chair s'inscrit dans le dessein divin de la rédemption. Saint Paul écrit: «Ce mystère est grand: je le dis en référence au Christ et à l'Eglise!» (Ep 5, 32). Et Saint Jean-Paul ii commente: «Le Christ renouvelle le dessein primitif que le Créateur a inscrit dans le cœur de l'homme et de la femme, et dans la célébration du sacrement du mariage il offre un “cœur nouveau”: ainsi les époux peuvent non seulement dépasser la “dureté du cœur” (Mt 19, 8, mais aussi et surtout ils peuvent partager l'amour plein et définitif du Christ, nouvelle et éternelle Alliance faite chair» (Exhort. ap. Familiaris con-sortio, 22 novembre 1981, n. 20).
Le mariage selon la Révélation chrétienne n'est pas une cérémonie ou un événement social, ni une formalité; il n'est pas non plus un idéal abstrait: c'est une réalité avec sa consistance précise, pas «une simple forme de gratification affective qui peut se constituer en quelque manière et se modifier selon la sensibilité de chacun» (Exhort. ap. Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, n. 66).
Nous pouvons nous demander: comment est-il possible que puisse arriver une union aussi engageante entre l'homme et la femme, une union fidèle et pour toujours et de laquelle naît une nouvelle famille? Comment cela est-il possible, -compte-tenu des limites et de la fragilité des êtres humains? Il convient que nous nous posions ces questions et que nous nous laissions aller à l'émerveillement devant la réalité du mariage.
Jésus nous donne une réponse simple et en même temps profonde: «Que l'homme ne divise pas ce que Dieu a uni» (Mt 19, 6). «C'est Dieu lui-même, l'auteur du mariage», comme l'affirme le Concile Vatican ii (cf. Const. past. Gaudium et spes, n. 48), et cela peut s'entendre comme se référant à chaque union conjugale. En effet, les époux donnent vie à leur union, avec le libre consentement, mais seul l'Esprit Saint a le pouvoir de faire d'un homme et d'une femme une seule existence. En outre, «le Sauveur des hommes et époux de l'Eglise vient à la rencontre des époux chrétiens à travers le sacrement du mariage» (ibid., n. 48). Tout cela nous amène à reconnaître que tout mariage véritable, même non sacramentel, est un don de Dieu aux conjoints. Le mariage est toujours un don! La fidélité conjugale repose sur la fidélité divine, la fécondité conjugale est fondée sur la fécondité divine. L'homme et la femme sont appelés à accueillir ce don et à y correspondre librement avec le don réciproque de soi.
Cette belle vision peut paraître utopique, car elle semble ne pas tenir compte de la fragilité humaine, de l'inconstance de l'amour. L'indissolubilité est souvent conçue comme un idéal, et tend à prévaloir la mentalité selon laquelle le mariage dure tant qu'il y a amour. Mais de quel amour s'agit-il? Ici aussi, il y a souvent absence de conscience du véritable amour conjugal, réduit au plan sentimental ou à de simples satisfactions égoïstes. En revanche, l'amour matrimonial est inséparable du mariage lui-même, dans lequel l'amour humain, fragile et limité, se rencontre avec l'amour divin, toujours fidèle et miséricordieux. Je me demande s'il peut y avoir un amour «dû»? La réponse se trouve dans le commandement de l'amour, comme le Christ l'a dit: «Je vous donne un commandement nouveau: que vous vous aimiez les uns les autres. Comme je vous ai aimés, ainsi aimez-vous les uns les autres» (Jn 13, 34). Nous pouvons appliquer ce commandement à l'amour conjugal, lui aussi don de Dieu. On peut accomplir ce commandement parce que c'est Lui-même qui soutient les époux par sa grâce: «Comme je vous ai aimés, ainsi aimez-vous». Il s'agit d'un don confié à leur liberté avec ses limites et ses chutes, pour lequel l'amour entre mari et femme a besoin continuellement de purification et de maturation, de compréhension et de pardon réciproque. Je veux souligner ce dernier point: les crises cachées ne se résolvent pas dans la dissimulation, mais dans le pardon réciproque.
Le mariage ne doit pas être idéalisé, comme s'il n'existait que là où il n'y a pas de problème. Le dessein de Dieu, étant placé entre nos mains, se réalise toujours de manière imparfaite, et pourtant «la présence du Seigneur habite dans la famille réelle et concrète, avec toutes ses souffrances, luttes, joies et ses propos quotidiens. Quand on vit en famille, il est dur de faire semblant et de mentir, on ne peut pas porter un masque. Si l'amour anime cette authenticité, le Seigneur y règne avec sa joie et sa paix. La spiritualité de l'amour familial est faite de milliers de gestes réels, de gestes concrets. Dans cette variété de dons et de rencontres qui font mûrir la communion, Dieu a sa propre demeure. Ce dévouement unit “valeurs humaines et divines”, parce qu'elle est pleine de l'amour de Dieu. En définitive, la spiritualité matrimoniale est une spiritualité du lien habité par l'amour divin»
(Exhort. ap. postsyn. Amoris laetitia, 19 mars 2016, n. 315).
Il faut redécouvrir la réalité permanente du mariage comme lien. Ce mot est parfois regardé avec suspicion, comme s'il s'agissait d'une imposition extérieure, d'un poids, d'un «lien» en opposition à l'authenticité et à la liberté de l'amour. Si, au contraire, le lien est compris précisément comme un lien d'amour, alors il se révèle comme le noyau du mariage, comme un don divin qui est source de vraie liberté et qui protège la vie matrimoniale. En ce sens, «la pastorale prénuptiale et la pastorale matrimoniale doivent être avant tout une pastorale du lien, où l'on apporte des éléments qui aident à la fois à mûrir l'amour et à surmonter les moments difficiles. Ces apports ne sont pas seulement des convictions doctrinales, et ils ne peuvent pas non plus se réduire aux précieuses ressources spirituelles que l'Eglise offre toujours, mais ils doivent aussi être des parcours pratiques, des conseils bien incarnés, des stratégies prises par l'expérience, des orientations psychologiques» (ibid., n. 211).
Chers frères et sœurs, nous avons mis en évidence que le mariage, don de Dieu, n'est pas un idéal ou une formalité mais le mariage, don de Dieu, est une réalité, avec sa consistance précise. Je tiens à souligner que c'est une bonne chose! Un bien extraordinaire, un bien d'une valeur extraordinaire pour tous: pour les conjoints eux-mêmes, pour leurs enfants, pour toutes les familles avec lesquelles ils entrent en relation, pour toute l'Eglise, pour toute l'humanité. C'est un bien qui est diffus, qui attire les jeunes à répondre avec joie à la vocation matrimoniale, qui réconforte et ravive continuellement les époux, qui porte tant et tant de fruits différents dans la communion ecclésiale et dans la société civile.
Dans l'économie chrétienne du salut, le mariage constitue avant tout la voie maîtresse pour la sainteté des époux eux-mêmes, une sainteté vécue dans le quotidien de la vie: c'est un aspect essentiel de l'Evangile de la famille. Il est significatif que l'Eglise propose aujourd'hui comme exemples de sainteté certains couples de conjoints; et je pense aussi aux innombrables époux qui se sanctifient et édifient l'Eglise avec cette sainteté que j'ai appelée «la sainteté de la porte à côté» (cf. Exhort. ap. Gaudete et exsultate, 19 mars 2018, nn. 4-6).
Parmi les nombreux défis que la pastorale familiale doit relever pour faire face aux problèmes, aux blessures et aux souffrances de chacun, je pense maintenant aux couples mariés en crise. L'Eglise, aussi bien les pasteurs que les autres fidèles, les accompagne avec amour et espérance, en cherchant à les soutenir. La répon-se pastorale de l'Eglise entend transmettre de manière vitale l'Evangile de la famille. En ce sens, une ressource fondamentale pour affronter et surmonter les crises est de renouveler la conscience du don reçu dans le sacrement du mariage, un don irrévocable, une source de grâce sur laquelle nous pouvons toujours compter. Dans la complexité des situations concrètes, qui nécessitent parfois la collaboration des sciences humaines, cette lumière sur son propre mariage est une partie essentielle du chemin de réconciliation. Ainsi la fragilité, qui demeure toujours et accompagne aussi la vie conjugale, ne conduira pas à la rupture, grâce à la force de l'Esprit Saint.
Chers frères et sœurs, nous nourrissons toujours en nous l'esprit de reconnaissance et de gratitude au Seigneur pour ses dons; et ainsi nous pourrons aussi aider les autres à le nourrir dans les différentes situations de leur vie. Que la Vierge, Vierge fidèle et Mère de la Divine Grâce, nous l'obtienne. J'invoque les dons de l'Esprit Saint sur votre service à la vérité du mariage. Je vous bénis de tout cœur. Et je vous demande de prier pour moi. Merci.