Sur le vol de retour du Soudan du Sud, François répond aux questions des journalistes avec l’archevêque de Canterbury et le modérateur de l’Eglise d’Ecosse

«Le monde entier est en guerre, s’autodétruit, arrêtons-nous!»

 «Le monde entier est en guerre,  s’autodétruit, arrêtons-nous!»   FRA-007
16 février 2023

Sur le vol qui, du Soudan du Sud, l’a ramené à Rome, le dimanche 5 février, le Pape François a répondu — comme de coutume en conclusion des voyages internationaux — aux questions qui lui ont été posées par les journalistes accrédités. En introduisant l’entretien, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, en a souligné la «particularité», car, s’étant agi dans la deuxième partie d’un «pèlerinage en compagnie», étaient également présents sur l’avion «le modérateur général de l’Eglise presbytérienne d’Ecosse et l’archevêque de Canterbury», qui ont participé au dialogue. Nous publions ci-dessous dans leur intégralité les paroles du Pape et la traduction de l’anglais de celles des deux responsables chrétiens, ainsi qu’une synthèse des six questions:

Pape François — Bon dimanche et merci pour votre travail ces jours-ci. Ce fut un voyage œcuménique avec mes deux frères et c'est pourquoi j'ai voulu qu'ils soient présents à la conférence de presse, en particulier l'archevêque de Canterbury qui connaît l'histoire de ce chemin de réconciliation au fil des ans; il a beaucoup travaillé avant moi sur ce sujet. C'est pourquoi je voulais qu'ils soient là tous les deux. Merci, et nous resterons en contact.

Justin Welby — Bon après-midi et merci beau-coup. Et, Sa Sainteté, merci.

En 2014, en janvier, ma femme et moi avons visité le Soudan du Sud dans le cadre d'une série de voyages concernant la Communion anglicane. Et en arrivant, l'archevêque anglican nous a demandé d’aller dans une ville appelée Bor. La guerre civile faisait rage depuis environ cinq semaines à l'époque et était très violente. Lorsque nous sommes arrivés à Bor, nous sommes montés dans un avion monomoteur et avons atterri sur un terrain d'aviation désert, avec les premiers corps à l’entrée du terrain d'aviation. Il y avait 3.000 corps non enterrés à Bor à ce moment-là et il y en avait eu 5.000. Il y avait quelques soldats des Nations unies et beau-coup de troupes autour. Nous sommes allés à la cathédrale où tout le clergé anglican avait été assassiné, leurs femmes avaient été violées et ensuite assassinées. C'était une situation horrible. Sur le chemin du retour, ma femme et moi avons ressenti un appel profond à voir ce que nous pouvions faire pour soutenir le peuple du Soudan du Sud. Et à partir de ce moment, lors d'une des réunions régulières que j'ai le privilège d'avoir avec le Pape François, nous avons beaucoup parlé du Soudan du Sud et développé l'idée d'une retraite au Vatican. Depuis 2016, mon équipe à Lambeth et le Vatican se sont rendus au Soudan du Sud, ont travaillé sur le terrain et ont œuvré avec les dirigeants pour essayer d'organiser cette visite. Ma femme aussi est allée et a travaillé avec les femmes des évêques et les femmes dirigeantes, qui étaient elles-mêmes soumises à une pression énorme, et nous avons rendu visite à des dirigeants qui étaient en exil en Ouganda. En 2018, il est devenu clair qu'il y aurait une possibilité de visite au début de 2019, et nous y sommes parvenus. C'est un miracle que cela se soit produit. L'un des deux vice-présidents était en résidence surveillée à Khartoum. Et je me souviens de la veille de la visite — je devais partir pour Rome très tôt le lendemain matin — j'étais sur le parking d'une école à Nottingham, en Angleterre, et je parlais au secrétaire général des Nations unies pour qu'il libère la voie, ce qu'il a fait, et qu'il accorde un visa au vice-président qui a réussi à prendre le dernier vol en partance de Khartoum, juste avant la fermeture de l'espace aérien en raison du coup d'Etat. Le point culminant de la rencontre de 2019 a évidemment été le geste inoubliable du Pape qui s’est agenouillé pour embrasser les pieds des dirigeants, en leur disant «Je vous prie de faire la paix», alors qu'ils essayaient de l'en empêcher. Cela nous a tout de suite fait penser au chapitre 13 de l'Evangile de Jean. C'était un moment tout à fait remarquable. Nous avons eu des conversations très difficiles et, à un moment donné, les vice-présidents se sont rendus séparément à une réunion, qui a été assez intense, mais ils ont fini par s'engager à renouveler l'accord de paix. Je pense que ce geste du Pape a été le moment clé, le tournant décisif. Mais comme le disait un ancien entraineur anglais, vous êtes bon jusqu’au prochain match. Et la Covid a très sérieusement retardé le prochain match. Je pense que le résultat a été une perte d'élan dans le processus de paix. Et lorsque nous avons repris la préparation de cette visite, les équipes ont continué leur travail, mais elles étaient moins confiantes qu'en 2019. Cependant j’ai terminé cette visite avec un profond sentiment d'encouragement, non pas tant parce qu'il y a eu une percée, mais parce qu'on a eu le sentiment, comme l'a dit le Pape, d'un cœur qui parlait au cœur. Ce n'est pas au niveau intellectuel qu'il y a eu contact, comme vous avez pu le remarquer lors des différentes rencontres où il y a eu des discours, le cœur parlait au cœur. Il y a un élan au niveau intermédiaire et à la base. Et ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'un sérieux changement de cœur de la part des dirigeants. Ils doivent accepter un processus qui mènera à une transition pacifique du pouvoir. On le leur a dit publiquement. Nous le leur avons dit: il faut mettre fin à la corruption, au trafic d'armes et à l'accumulation d'énormes quantités d'armes. Pour cela, il faudra continuer à travailler avec le Vatican et Lambeth, mais surtout avec les gouvernements, la troïka, pour faire en sorte que cette porte ouverte, qui n'est pas ouverte aussi largement que je le souhaiterais, mais qui l'est, s'ouvre en grand et permette de faire des progrès. Il reste un peu moins de deux ans avant les élections, en fin de l'année 2024. Nous avons besoin de progrès sérieux d'ici la fin de l'année 2023. Je passe la parole au modérateur pour qu'il dise un mot.

Iain Greenshields — Merci. Mon expérience est très différente de celle du Pape et de l’archevêque, c'était la première fois que je me rendais au Soudan du Sud, mais ce n'est pas la première fois que mon Eglise s’y rend, puisque mon prédécesseur l’a visitée et l’a décrite comme une situation extrêmement vulnérable. La réconciliation et le pardon étaient au cœur de la rencontre que nous avons eue en 2015. Des personnes ont été invitées à venir en Ecosse pour réfléchir et se former, puis à retourner au Soudan du Sud. En tant qu'Eglise presbytérienne, nous avons aidé les réfugiés du Soudan du Sud, dans la circonscription presbytérienne du Soudan du Sud. Je voudrais faire écho à ce que mon ami a dit, à savoir que des mots forts ont été prononcés. La vérité a été dite. Au cœur comme à l'esprit. Je pense que la situation actuelle est clairement la suivante: les actions sont plus éloquentes que les mots. Nous avons été invités par le gouvernement et les églises à nous rendre sur place comme un ami vous inviterait à entrer dans sa chambre, dans sa maison. Et cette invitation nous demandait d'aider de toutes les manières possibles à faire la différence dans cette situation, de rencontrer nos partenaires, d'essayer de toutes les manières possibles de parler à ceux qui détiennent le pouvoir. Cela a été fait. Maintenant, c'est à ceux qui peuvent faire la différence de lancer le processus de toute urgence. C'est ce que nous avons demandé au cours de cette visite.

Jean-Baptiste Malenge de la Radio-télévision catholique «Elikya» de l’archidiocèse de Kinshasa, a demandé en français un commentaire sur l’accord signé en 2016 entre le Saint-Siège et la République démocratique du Congo, en ce qui concerne des sujets d’intérêt commun comme l’éducation et la santé, et les impressions comme Pasteur de l’Eglise universelle qui a senti l’odeur du troupeau congolais et touché du doigt diverses blessures.

François — Merci. D'abord, à propos de l'Accord. Je ne connais pas cet accord, excusez-moi. Le secrétaire d'Etat est ici, il peut donner un avis. Je sais qu'il y a eu récemment un Accord en cours entre le Saint-Siège et la République démocratique du Congo, mais je ne le connais pas, je ne peux pas vous répondre à ce sujet. Je ne sais pas non plus la différence entre ce nouveau qui est en route et l'autre. Ces choses sont faites par la Secrétairerie d'Etat, le secrétaire d'Etat et encore plus précisément par Mgr Gallagher qui est ici, dans le domaine politique des relations du Saint-Siège avec les Etats; ils sont bons pour conclure des accords, des accords pour le bien de tous.

J'ai vu au Congo beaucoup de désirs d'aller de l'avant, beaucoup de cultures. Avant d'arriver ici, il y a quelques mois, j'ai eu une réunion en ligne avec des étudiants universitaires africains, et certains étaient du Congo: très intelligents; vous avez des gens d'une intelligence supérieure, très intelligents. C'est l'une de vos richesses, des jeunes, des jeunes intelligents; et ces jeunes doivent être soutenus, pour qu'ils étudient et aillent de l’avant; et il faut leur faire de la place, ne fermez pas les portes.

Vous avez beaucoup de richesses naturelles, qui attirent des gens qui viennent — excusez le mot — pour exploiter le Congo. Il y a cette idée, que j'ai déjà exprimée, que l'Afrique doit être exploitée. Quelqu'un dit, je ne sais pas si c'est vrai, que les pays qui avaient des colonies ont donné leur indépendance, mais «à partir du sol»: en dessous, ils n'ont pas donné leur indépendance, ils viennent chercher des minerais. Je ne sais pas si c'est vrai, mais c’est ce qui se dit. Mais nous devons nous débarrasser de l'idée que l'Afrique doit être exploitée. L'Afrique a sa propre dignité. Et le Congo dans ce domaine est à un niveau très élevé.

Et en parlant d'exploitation, le problème de l'Est, qui est un problème de guerre et d'exploitation, me frappe et me fait souffrir. Au Congo, j'ai pu rencontrer des victimes de cette guerre. Terrible. Blessés, mutilés... Tant de douleur, tant de douleur. Tous cela pour prendre les richesses. Ça ne va pas, ça ne va pas!

Mais pour en revenir à votre question sur le Congo, le Congo a tellement de possibilités.

Welby — Je ne connais pas très bien l'Ouest du Congo. Ma femme y est allée et a travaillé avec des femmes impliquées dans le conflit. Mais j'ai beaucoup voyagé dans l'Est, la dernière fois en 2018, juste avant la Covid. Et je veux être tout à fait d'accord avec ce que Sa Sainteté a dit. Nous devons être clairs, le Congo n'est pas le terrain de jeu des grandes puissances, ni à la merci des petites sociétés minières qui agissent de manière irresponsable avec l'exploitation minière artisanale, les enlèvements — l'utilisation d'enfants soldats, les viols à grande échelle. Elles pillent tout simplement le pays. Ce pays devrait être l'un des plus riches de la planète, capable d’aider le reste de l'Afrique. Par contre, il a été torturé. Il a obtenu l'indépendance politique, techniquement, mais pas l'indépendance économique. L'expérience que j’ai faite à l'Est durant ma dernière visite, alors que sévissait l’ébola, en plein milieu de la zone de la milice, nous avons formé les pasteurs à la façon de gérer l’ébola sous toutes ses formes. Les Eglises font un travail extraordinaire là-bas, elles sont le seul groupe fonctionnel, en particulier. Mon père, l'Eglise catholique fait un travail merveilleux. Le projet dirigé par l'Eglise catholique dans les Grands Lacs est merveilleux. Mais les grandes puissances doivent dire maintenant: l'Afrique et le Congo en particulier détiennent beaucoup de ressources minières et de métaux dont le monde entier a besoin, si l'économie mondiale veut devenir verte et sauver la planète du changement climatique. Et la seule façon d'y parvenir, sans se couvrir les mains de sang, est que les grandes puissances recherchent la paix du Congo et pas seulement ses richesses.

Greenshields — Je ne veux pas trop en rajouter car je pense que c'était une réponse suffisante. Mais je crois que c'est un avertissement pour nous tous. Mais je pense qu’il y a quelque chose que le Pape a mentionnée ici à propos des jeunes: esprits brillants et positifs, ils méritent d’avoir l'opportunité de se développer. D'après ma propre expérience dans d'autres parties du monde, les jeunes esprits féminins brillants méritent le droit aux mêmes opportunités que n'importe qui d'autre dans n'importe quel pays, mais surtout dans les pays en développement. C'est mon plaidoyer: les droits des femmes et des jeunes femmes en particulier doivent être reconnus comme primordiaux.

Jean-Luc Mootosamy de CAPAV, en anglais, a observé que la violence ne cesse pas malgré des décennies de présences de missions de l’ onu , demandant quelle aide peuvent apporter les responsables chrétiens ensemble, pour promouvoir un nouveau modèle d’intervention étant donné la tentation croissante parmi les pays africains à choisir d’autres partenaires pour garantir leur sécurité, mais qui pourraient ne pas respecter les lois internationales, comme certaines compagnies privées dans la région du Sahel.

François — Merci. La question de la violence est un thème quotidien. Nous venons de le voir, même ici, au Soudan du Sud. Mais il est douloureux de voir comment la violence est provoquée. L'un des points est la vente d'armes. L'archevêque Welby a dit quelque chose à ce sujet. La vente d'armes. Aujourd'hui je crois que dans le monde c'est la peste, la plus grande peste: le commerce, la vente d'armes. Quelqu'un me disait — quelqu'un qui s'y connaît — qu'avec ce qu’on dépense pour les armes en un an, on pourrait éliminer la faim dans le monde. Je ne sais pas si c'est vrai ou non. Mais aujourd'hui, au sommet, il y a la vente d'armes. Et pas seulement entre les grandes puissances, mais aussi avec ces pauvres gens. Des gens qui, avec cela, sèment la guerre à l'intérieur. C'est cruel. Ils disent: «Partez en guerre!», et ils leur donnent des armes, parce qu'il y a des intérêts derrière, surtout des intérêts économiques, pour exploiter la terre, pour exploiter les minéraux, pour exploiter les richesses.

Il est vrai que le tribalisme en Afrique n'aide pas. Je ne sais pas vraiment comment ça se passe au Soudan du Sud, mais je pense qu’il en existe. Il faut un dialogue entre les différentes tribus. Je me souviens lorsque j'étais au Kenya, dans le stade plein, tous se sont levés pour dire: «Non au tribalisme, non au tribalisme!». Il est vrai que chaque tribu a sa propre histoire, qu'elles ont de vieilles inimitiés ou des cultures différentes. Mais il est également vrai qu’on provoque la lutte entre les tribus par la vente d’armes et on exploite ensuite les terres des deux tribus. C'est diabolique. Je ne trouve pas d'autre mot. C'est de la destruction: destruction de la création, destruction de la personne, destruction de la société.

Je ne sais pas si cela se passe au Soudan du Sud, mais dans certains pays, les jeunes garçons sont enlevés pour faire partie de milices et se battre, en tant que garçons. C'est très douloureux.

Je résume: je pense que le plus gros problème est l’angoisse de s'emparer des richesses de ce pays — coltan, lithium et toutes ces choses — par la guerre, pour laquelle ils vendent des armes, et ils exploitent aussi les enfants.

Greenshields — Je pense que l'un des problèmes qui vient à l’esprit est le niveau élevé d'analphabétisme qu’il y a dans ces pays: les gens ne savent pas clairement qui ils sont, où ils sont et comment faire des choix éclairés. C'est une chose. Nous devons certainement nous attaquer à la course aux armements: il y a des gens qui gagnent beaucoup d'argent avec cela, plus qu'avec toute autre chose dans le monde. Comment faire? Avec de la persuasion. Et comment surmonter les divisions? Par le dialogue. Je veux vous donner un exemple tiré de l'Ecosse, le pays d'où je viens, qui a été un pays profondément divisé par la religion, où des choses terribles se sont produites: de terribles violences, de terribles divisions au sein de notre nation. Nous avons entamé un processus de dialogue entre nous — Eglise d'Ecosse et l'Eglise catholique qui se trouvait en Ecosse — pour arriver l'année dernière à la signature d'une déclaration d'amitié par laquelle nous voulons marcher ensemble, dans nos différences mais en accord sur les choses sur lesquelles nous sommes d'accord. Et ce n'est que lorsque qu’on parvient à ce niveau de dialogue et de rencontre avec l'autre qu’on commence à abattre les murs. C'est ce qui s'est passé en Ecosse qui, lorsque j'étais jeune, était encore un pays profondément divisé. Et cela est en train de changer. L'éducation contribue également à ce processus.

Welby — Je veux plutôt répondre d'un point de vue différent, car votre question est très utile. Il ne s'agit pas de l'onu ou «autre», mais de l'onu «avec»: c'est toujours «avec» plutôt que «autre». Qu'apportent les Eglises? Il ne s'agit pas seulement de réseaux fonctionnant de manière pratiquement incorruptible, de sorte que lorsque vous envoyez de l'aide, elle parvient aux personnes sur place; mais de réseaux qui parviennent également à traverser les lignes de feu, et tout le reste. Samedi dernier, notre Archevêque a célébré les funérailles de 20 personnes à Kajo Keji: il s'y est rendu dès qu'il a appris la nouvelle de l'attaque et est revenu samedi soir. Sa visite et son discours ont fait une grande différence: c'est le changement de cœur, et c'était le but de cette visite. Il y a 100 ans, les peuples Nuer et Dinka étaient perpétuellement en guerre, c'était une culture de la vengeance; les Nuer en particulier se battaient toujours, même entre leurs clans, et le bétail était saisi. Ce n'est pas le gouvernement colonial qui a fait la différence, mais les Eglises et le changement de cœur lorsque les gens ont reçu la foi au Christ et ont réalisé qu'il y avait un nouveau mode de vie. Par conséquent, ma prière à la fin de cette visite n'est pas seulement pour un grand activisme, mais surtout pour que l'Esprit de Dieu apporte un nouvel esprit de réconciliation et de guérison au peuple du Soudan du Sud.

Claudio Lavanga, de NBC News, a rappelé le geste du Pape en 2019, lorsqu’il s’est agenouillé devant les dirigeants du Soudan du Sud pour demander la paix, et a demandé, en vue du premier anniversaire du conflit en Ukraine, s’il serait prêt à faire le même geste envers Vladimir Poutine, et si tous les trois voulaient faire un appel commun pour la paix dans ce pays européen.

François — Je suis prêt à rencontrer les deux présidents, celui de l'Ukraine et celui de la Russie, je suis ouvert à la rencontre. Si je ne suis pas allé à Kiev, c'est parce qu'il n'était pas possible à l'époque d'aller à Moscou. Mais j'étais en dialogue, d’ailleurs le deuxième jour de la guerre je suis allé à l'ambassade de Russie pour dire que je voulais aller à Moscou pour parler avec Poutine, à condition qu'il y ait une petite fenêtre pour négocier. Le ministre Lavrov m'a alors répondu: «bien», que oui, il y attachait de l'importance, mais «nous verrons plus tard». Ce geste était un geste réfléchi, en me disant «je le fais pour lui».

Mais ce geste de la rencontre de 2019, je ne sais pas comment il est arrivé, il n'a pas été pen-sé, et les choses qui n'ont pas été pensées, on ne peut pas les répéter, c'est l'Esprit qui t’y porte, on ne peut pas l'expliquer, point final, et je l'ai même oublié. C'était un service, j’ai été l'instrument d'une impulsion intérieure, non pas une chose planifiée.

Aujourd'hui, nous sommes... mais ce n'est pas la seule guerre, je voudrais rendre justice: depuis douze, treize ans, la Syrie est en guerre; depuis plus de dix ans, le Yémen est en guerre; pensez au Myanmar, aux pauvres Rohingyas qui parcourent le monde, ils parcourent le monde parce qu'ils ont été chassés de leur patrie. Partout, en Amérique latine, combien de foyers de guerre il y a! Oui, il y a des guerres plus importantes à cause du bruit qu'elles font, mais, je ne sais pas, le monde entier est en guerre, il est en autodestruction. Nous devons réfléchir sérieusement. Il est en autodestruction. Arrêtons-nous à temps! Parce qu'une bombe en attire une autre, plus grande et encore plus grande, et dans l'escalade, tu ne sais pas où tu finiras... Il faut garder la tête froide.

Ensuite, Son Excellence a parlé des femmes: les femmes, je les ai vues au Soudan du Sud, elles élèvent les enfants, parfois elles restent seules, mais elles ont la force de créer un pays. Les femmes sont fortes, ce sont elles qui font progresser. .... Parce que les hommes partent au combat, ils partent à la guerre et ces femmes avec deux, trois, quatre, cinq enfants, vont de l’avant... Je les ai vues ici au Soudan du Sud. Et en parlant des femmes, je voudrais dire un mot sur les religieuses, les religieuses qui s'engagent, j'en ai vu certaines ici au Soudan du Sud et puis à la messe d'aujourd'hui: vous avez entendu le nom de tant de religieuses qui ont été tuées, égorgées dans cette guerre.... Mais revenons à la force de la femme, nous devons la prendre au sérieux et ne pas l'utiliser uniquement comme une publicité de maquillage! S'il vous plaît, c'est une insulte à la femme, la femme est faite pour les choses les plus grandes!

Pour l’autre point je vous l’ai déjà dit, mais il faut voir les guerres qu’il y a dans le monde.

Welby — J'ai parlé de la Russie, du président Poutine et de l'Ukraine lorsque je m'y suis rendu fin novembre et début décembre, et je n'ai vraiment rien à ajouter, si ce n'est que la fin de cette guerre est entre les mains du Président Poutine. Il pourrait l'arrêter avec un retrait et un cessez-le-feu, puis avec des négociations pour des accords à long terme. Mais je ne peux pas... C'est une guerre terrifiante et terrible, mais je veux aussi dire que je suis d'accord avec le Pape François: il y a beaucoup d'autres guerres. Je m'entretiens toutes les semaines avec le chef de notre Eglise en Birmanie, j'ai parlé aux dirigeants de notre Eglise au Nigeria, où hier encore 40 personnes ont été tuées à Katsina dans un conflit armé, j'ai parlé à de nombreuses personnes dans le monde: je suis entièrement d'accord avec le Saint-Père. Aucune guerre ne peut s’achever sans la participation des femmes et des jeunes, pour les raisons exactes qu'il a exprimées.

Bruce De Galzain, de Radio France, a fait référence à l’homosexualité, qui n’est pas acceptée au Soudan du Sud et au Congo.

François — Je me suis exprimé sur cette question lors de deux voyages: d’abord, en revenant du Brésil: si une personne de tendance homosexuelle est croyante et cherche Dieu, qui suis-je pour la juger? C'est ce que j'ai dit lors de ce voyage. Ensuite, en revenant d'Irlande — un -voyage quelque peu problématique parce que la lettre de ce garçon était sortie ce jour-là —, j'ai dit là clairement aux parents: les enfants qui ont cette orientation ont le droit de rester à la maison, vous ne pouvez pas les chasser de la maison, ils ont le droit à cela. Et puis récemment, j'ai dit quelque chose, je ne me souviens pas bien de ce que j'ai dit, dans l'interview de l'Associated Press. La criminalisation de l'homosexualité est une question qu'il ne faut pas laisser passer. Le calcul est, plus ou moins, que cinquante pays, d'une manière ou d'une autre, conduit à cette criminalisation. Certains disent qu’il y en a plus, disons au moins cinquante. Et certains d'entre eux — je pense qu'ils sont dix — prévoient également la peine de mort, ouverte ou cachée, mais la peine de mort. Ce n'est pas juste, les personnes de tendance homosexuelle sont des enfants de Dieu, Dieu les aime, Dieu les accompagne. Il est vrai que certains se trouvent dans cet état à cause de diverses situations non voulues, mais condamner une telle personne est un péché, criminaliser les personnes de tendance homosexuelle est une injustice. Je ne parle pas de groupes, non, mais de personnes. D’aucuns diront: «Mais ils font des groupes qui font du bruit...». Les personnes. Les lobbies c’est autre chose. Je parle des personnes. Et je crois que dans le Catéchisme de l'Eglise catholique, on trouve la phrase suivante: «ils ne doivent pas être marginalisés». Je pense que c'est clair sur ce point.

Welby — Il ne vous a peut-être pas échappé que l'Eglise d'Angleterre a parlé de ce sujet «un peu» récemment... y compris dans les débats au Parlement, etc. J'aurais aimé m'exprimer avec autant d'éloquence et de clarté que le Pape. Je suis entièrement d'accord avec chaque mot qu'il a dit. La criminalisation ... l'Eglise d'Angleterre, la Communion anglicane a adopté des résolutions contre la criminalisation lors de deux conférences de Lambeth, mais cela n'a pas vraiment changé la mentalité de la majorité des gens. Dans les quatre prochains jours, au Synode général de l'Eglise d'Angleterre, ce sera le principal sujet de discussion et je citerai certainement le Saint-Père. Il l'a dit de manière merveilleuse et précise.

Greenshields — Juste une très brève observation. Je ne vois nulle part dans les quatre Evangiles Jésus rejeter quelqu’un. Nulle part dans les quatre Evangiles je ne vois autre chose que Jésus exprimer de l’amour envers quiconque qu’il rencontre. Et, en tant que chrétiens, c’est la seule expression que nous pouvons adresser à n’importe quel être humain et en toutes cir-constances.

Alexander Hecht, d’ORF TV, a demandé au Pape s’il sent qu'après la mort de Benoît xvi , son travail est devenu plus diffifficile, parce que les tensions entre les difffférentes ailes de l'Eglise catholique se seraient renforcées?

François — Sur ce point, je voudrais dire que j’ai pu parler de tout avec le Pape Benoît, et échanger des opinions, et il était toujours à mes côtés, me soutenant; et s'il avait une difficulté, il me la disait et nous parlions et il n'y avait pas de problèmes.

J'ai parlé une fois du mariage des personnes homosexuelles, du fait que le mariage est un sacrement et qu'on ne peut pas faire un sacrement, mais il y a la possibilité de garantir les biens par la loi civile — ça a commencé en France, je ne me souviens plus comment ça s'appelle — ; toute personne peut faire une union civile, pas forcément un couple, les vieilles dames à la retraite font une union civile... et ainsi de suite. Alors une personne, qui se prend pour un grand théologien, par l'intermédiaire d'un ami du Pape Benoît, est allée le voir et s’est plainte de moi. Benoît n'a pas été effrayé, il a appelé quatre cardinaux théologiens de haut niveau et leur a dit: «Expliquez-moi ça», et ils l'ont expliqué. Et c'est ainsi que l'histoire s'est terminée.

Il s'agit d'une anecdote pour montrer comment Benoît procédait lorsqu'il y avait une plainte. Certaines histoires que l'on raconte, selon lesquelles Benoît était aigri à l'égard de telle ou telle chose que le nouveau Pape a fait... sont des «chinoiseries». Au contraire, Benoît, je l'ai consulté pour certaines décisions à prendre et il était d’accord.

Je crois que la mort de Benoît a été instrumentalisée par des personnes qui veulent apporter de l'eau à leur moulin. Et les gens qui, d'une manière ou d'une autre, instrumentalisent une personne aussi bonne, tellement de Dieu, je dirais presque un saint père de l'Eglise, ces gens n'ont aucune éthique, ce sont des gens de parti, pas des gens d'Eglise. On peut voir partout la tendance d’agir avec les positions théologiques partisanes pour ensuite aboutir à cela... Laissez tomber... Ces choses tomberont d'elles-mêmes, ou certaines ne tomberont pas et continueront, comme cela s'est produit dans l'histoire de l'Eglise. Mais j’ai voulu dire clairement qui était le Pape Benoît, il n'était pas une personne aigrie.

Enfin, Jorge Barcia Antelo de RNE, a demandé en italien à François quels seront ses prochains voyages et en anglais au modérateur et à l’archevêque s’ils s’uniront au Pape dans d’autres initiatives comme celle-ci.

François — Cela dépend du menu!

Je parle de la mondialisation de l’indifférence, mais il y a une chose au centre de ta question...

Oui, c'est vrai, il y a partout la mondialisation de l'indifférence, cela existe à l'intérieur du pays... des personnes qui ont oublié de regarder leurs compatriotes, leurs concitoyens, et les mettent dans un coin pour ne pas y penser. Cela fait penser que les plus grandes fortunes du monde sont entre les mains d'une minorité; et ces personnes ne voient pas les misères, leurs cœurs ne s'ouvrent pas pour aider ces situations.

Concernant les voyages. Je pense que, pour l'Inde, ce sera l'année prochaine, je pense. Je vais à Marseille le 23 septembre; et il est possible que je m’envole de Marseille pour la Mongolie, mais ce n'est pas certain, c'est possible. Et puis un autre cette année: Lisbonne. Mais le critère est le suivant: j'ai choisi de visiter les plus petits pays d'Europe. Vous me direz: «Mais vous êtes allé en France». Non, je suis allé à Strasbourg, j’irai à Marseille, pas en France. Les plus petits, les plus petits, pour connaître un peu l'Europe cachée, l'Europe qui a tant de culture mais qui n'est pas connue de tout le monde, pour accompagner des pays, par exemple l'Albanie — qui a été le premier — qui est le pays qui a souffert de la dictature la plus cruelle de l'histoire. Mon choix est un peu le suivant: essayer de ne pas tomber moi-même dans la mondialisation de l'indifférence.

[On lui demande son état de santé] Tu sais que la mauvaise herbe ne meurt jamais! Pas comme au début du pontificat, vraiment, ce genou me gêne, mais ça va doucement, alors on verra. Merci.

Welby — C'est certainement la meilleure compagnie aérienne avec laquelle j'ai voyagé! Blague à part, oui: si le Saint-Père estime que j'ai apporté une valeur ajoutée, ou que l'Archevêque (de Canterbury) peut apporter une valeur ajoutée à l'avenir, ce sera toujours un immense privilège. Cela dépend de la destination et du fait que nous pouvons être une entrave ou une aide.

Greenshields — Nous serions sûrement impatients, heureux de refaire quelque chose de pareil. La seule limite est que mon mandat expire le 20 mai et que le prochain modérateur [de l’assemblée générale] de l'Eglise d'Ecosse sera une femme, très compétente, et je suis sûr qu'elle sera ravie de faire de même.