Prière œcuménique au mausolée «John Garang» de Djouba

Celui qui suit Jésus choisit toujours la paix

 Celui qui suit Jésus  choisit toujours la paix  FRA-006
09 février 2023

La journée du samedi 4 février s’est conclue par la prière œcuménique au mausolée «John Garang» à Djouba. Après la rencontre avec les déplacés internes, le Pape s’est rendu en voiture au lieu où est enterré le premier vice-président sud-soudanais et président du gouvernement, et où fut proclamée l’indépendance en 2011. Le Pape était accompagné par l’archevêque de Canterbury et le modérateur de l’assemblée générale de l’Eglise d’Ecosse, qui ont participé à la cérémonie, introduite par le salut du président du Conseil des Eglise du Soudan du Sud (Sscc). Nous publions ci-dessous le discours prononcé par le Pape en présence de cinquante mille personnes, parmi lesquelles le chef de l’Etat, Salva Kiir -Mayardit.

Monsieur le président de la République,
Autorités religieuses et civiles distinguées,
Chers frères et sœurs!

Des prières nombreuses viennent de s’élever vers le Ciel  de cette terre aimée et meurtrie: des voix différentes se sont unies, formant une seule voix. Ensemble, comme Peuple saint de Dieu, nous avons prié pour ce peuple blessé. En tant que chrétiens, prier est la première et plus importante chose que nous sommes appelés à faire pour pouvoir bien agir et avoir la force de marcher. Prier, agir et marcher: réfléchissons sur ces trois verbes.

Tout d’abord, prier. Le grand engagement des communautés chrétiennes pour la promotion humaine, pour la solidarité et pour la paix serait vain sans la prière. En effet, nous ne pouvons pas promouvoir la paix sans avoir d’abord invoqué Jésus, «Prince-de-la-Paix» (Is 9, 5). Ce que nous faisons pour les autres et partageons avec les autres est avant tout un don gratuit que, les mains vides, nous recevons de Lui: c’est une grâce, une pure grâce. Nous sommes chrétiens parce que nous sommes aimés gratuitement par le Christ.

Ce matin, je me suis inspiré de la figure de Moïse et maintenant, précisément en relation avec la prière, je voudrais évoquer un épisode qui a été décisif pour lui et pour son peuple, survenu alors qu’il venait à peine de commencer de l’accompagner sur le chemin vers la liberté. Arrivés près des rives de la mer Rouge, une scène dramatique se présente à ses yeux et à ceux de tous les Israélites: devant eux se dresse la barrière infranchissable des eaux; derrière, arrive l’armée ennemie, avec des chars et des chevaux. Cela ne rappelle-t-il pas les premiers pas de ce pays, assailli tant par les eaux de la mort, comme celles des inondations désastreuses qui l’ont frappé, que par une violence belliqueuse effroyable? Eh bien, dans cette situation désespérée, Moïse dit au peuple: «N’ayez pas peur! Tenez bon! Vous allez voir aujourd’hui ce que le Seigneur va faire pour vous sauver!» (Ex 14, 13). Alors, je me demande: d’où venait à Moïse une telle certitude, alors que son peuple continuait à se plaindre effrayé ? Cette force lui venait de l’écoute du Seigneur (cf. 2-4) qui lui avait promis de manifester sa gloire. L’union avec Lui, la confiance en Lui cultivée dans la prière, est le secret par lequel Moïse a pu accompagner le peuple de l’oppression à la liberté.

Il en est de même pour nous aussi: prier donne la force d’avancer, de surmonter les peurs, d’entrevoir, même dans les ténèbres, le salut que Dieu prépare. De plus, la prière attire le salut de Dieu sur le peuple. La prière d’intercession, qui a caractérisé la vie de Moïse (cf. Ex 32, 11-14), est celle à laquelle nous sommes tenus, nous surtout, Pasteurs du Peuple saint de Dieu. Pour que le Seigneur de la paix intervienne là où les hommes ne parviennent pas à la construire, il faut la prière: une prière tenace, d’intercession constante. Frères et sœurs, en cela, soutenons-nous: dans nos diverses Confessions religieuses, sentons-nous unis entre nous, comme une seule famille; et sentons-nous chargés de prier pour tous. Dans nos paroisses, églises, assemblées de culte et de louange, prions assidûment et unanimement (cf. Ac 1, 14) pour que le Soudan du Sud «rejoigne la terre promise»,  comme le peuple de Dieu dans les Ecritures. Qu’il dispose sereinement et équitablement de la terre fertile et riche qu’il possède, et qu’il soit comblé de cette paix promise mais, malheureusement, pas encore advenue.

Nous sommes précisément appelés, en second lieu, à agir pour la cause de la paix. Car Jésus nous veut «artisans de paix» (Mt 5, 9), il veut que son Eglise ne soit pas seulement signe et instrument de l’union intime avec Dieu, mais aussi de l’unité de tout le genre humain (cf. Lumen gentium, n. 1). Le Christ, en effet, comme le rappelle l’apôtre Paul, «est notre paix» précisément dans le sens du rétablissement de l’unité. Il est celui qui «des deux, fait une seule réalité, en détruisant les murs de séparation, la haine» (cf. Ep 2, 14). Voilà la paix de Dieu: non seulement une trêve entre les conflits, mais une communion fraternelle, qui vient de l’union, non de l’absorption; du pardon, non de la domination ; de la réconciliation, non de l’imposition. Le désir de paix du Ciel est si grand qu’il a été annoncé dès la naissance du Christ: «paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime» (Lc 2, 14). Et l’angoisse de Jésus provoquée par le refus de ce don qu’il venait apporter est si grande, qu’Il pleura sur Jérusalem, en disant: «Si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix!» (Lc 19, 42).

Chers frères et sœurs, œuvrons sans nous lasser pour cette paix que l’Esprit de Jésus et du Père nous invite à construire: une paix qui intègre les diversités, qui promeut l’unité dans la pluralité. Voilà la paix de l’Esprit Saint qui harmonise les différences, tandis que l’esprit ennemi de Dieu et de l’homme s’appuie sur les différences pour diviser. A cet égard, l’Ecriture dit: «Voici comment se manifestent les enfants de Dieu et les enfants du diable: quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, et pas davantage celui qui n’aime pas son frère» (1 Jn 3, 10). Chers amis, celui qui se dit chrétien doit choisir son camp. Celui qui suit le Christ choisit la paix, toujours; celui qui déclenche la guerre et la violence trahit le Seigneur et renie son Evangile. Le style que Jésus nous enseigne est clair: aimer tout le monde, car tous sont aimés comme des enfants par le Père commun qui est aux cieux. L’amour du chrétien n’est pas seulement pour les proches, mais pour chacun, car chacun est notre prochain en Jésus, un frère, une sœur, même l’ennemi (cf. Mt 5, 38-48); et à plus forte raison ceux qui appartiennent à notre même peuple, même s’ils sont d’ethnies différentes. «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» (Jn 15, 12); tel est le commandement de Jésus qui contredit toute vision tribale de la religion. «Que tous soient un» (Jn 17, 21): telle est la prière pressante de Jésus au Père pour nous tous croyants.

Travaillons, frères et sœurs, pour cette unité fraternelle entre nous chrétiens et aidons-nous à faire passer le message de la paix dans la société, à répandre le style de non-violence de Jésus, afin qu’il n’y ait plus de place pour une culture fondée sur l’esprit de vengeance  chez ceux qui se professent croyants; afin que l’Evangile ne soit pas seulement un beau discours religieux, mais une prophétie qui devienne réalité dans l’histoire. Travaillons à cela: travaillons pour la paix en tissant et en recousant, jamais en coupant ou en déchirant. Suivons Jésus et, derrière Lui, faisons des pas communs sur le chemin de la paix (cf. Lc 1, 79).

Voici alors le troisième verbe: après prier et agir, marcher. Ici, au cours des décennies, les communautés chrétiennes se sont fortement engagées dans la promotion de chemins de réconciliation. Je voudrais vous remercier pour ce témoignage lumineux de foi, né de la reconnaissance, non seulement en paroles mais dans les faits, qu’avant les divisions historiques existe une réalité immuable: nous sommes chrétiens, nous sommes du Christ. Il est beau que, au milieu de tant de conflits, l’appartenance chrétienne n’a jamais détruit la population, mais a été, et est encore, facteur d’unité. L’héritage œcuménique du Soudan du Sud est un trésor précieux, une louange au nom de Jésus, un acte d’amour à l’Eglise son épouse, un exemple universel pour le chemin d’unité des chrétiens. C’est un héritage qui doit être conservé dans le même esprit: les divisions ecclésiales des siècles passés ne doivent pas se répercuter pas sur ceux qui sont évangélisés, mais la semence de l’Evangile doit contribuer à répandre une plus grande unité. Que le tribalisme et le sectarisme qui alimentent les violences dans le pays n’affectent pas les relations interconfessionnelles; au contraire, que le témoignage d’unité des croyants se reverse sur le peuple.

En ce sens, pour finir, je voudrais suggérer deux mots-clés pour la suite de notre cheminement: mémoire et engagement. Mémoire: les pas que vous faites suivent les traces de vos prédécesseurs. N’ayez pas peur de ne pas en être à la hauteur, sentez-vous au contraire poussés par ceux qui vous ont préparé la route. Comme dans un relais, prenez le témoin pour hâter la réalisation de l’objectif d’une communion pleine et visible. Et ensuite engagement: on marche vers l’unité quand l’amour est concret, quand on secourt ensemble ceux qui sont en marge, ceux qui sont blessés et rejetés. Vous le faites déjà dans de nombreux domaines, je pense en particulier à la santé, à l’instruction, à la charité: que d’aides urgentes et indispensables vous apportez à la population ! Merci pour tout cela. Continuez ainsi: jamais concurrents, mais proches; frères et sœurs qui, par leur compassion pour les souffrants, les préférés de Jésus, rendent gloire à Dieu et témoignent de la communion qu’Il aime.

Très chers amis, mes frères et moi nous sommes venus en pèlerins parmi vous, Peuple saint de Dieu en marche. Même si nous sommes loin physiquement, nous serons toujours proches de vous. Repartons chaque jour de la prière les uns pour les autres et avec les autres, en œuvrant ensemble comme témoins et médiateurs de la paix de Jésus, en marchant sur la même route, en faisant des pas concrets de charité et d’unité. En tout, aimons-nous intensément, et de tout cœur (cf. 1 P 1, 22).