Amour et gratitude

19 janvier 2023

«Seigneur, je t’aime», sont les dernières paroles de Benoît xvi, qui ont couronné toute une existence vécue à l’enseigne de ces paroles. Parmi les nombreux textes (et gestes) qui l’ont démontré, les paroles prononcées le 24 mai 2006 lors de la catéchèse pour l’audience générale sont frappantes: «La générosité impétueuse de Pierre ne le sauve pas des risques liés à la faiblesse humaine. Du reste, c'est ce que nous aussi, nous pouvons reconnaître sur la base de notre vie. Pierre a suivi Jésus avec élan, il a surmonté l'épreuve de la foi, en s'abandonnant à Lui. Toutefois, le moment vient où lui aussi cède à la peur et chute: il trahit le Maître (cf. Mc 14, 66-72). L'école de la foi n'est pas une marche triomphale, mais un chemin parsemé de souffrances et d'amour, d'épreuves et de fidélité à renouveler chaque jour. Pierre, qui avait promis une fidélité absolue, connaît l'amertume et l'humiliation du reniement: le téméraire apprend l'humilité à ses dépends. Pierre doit apprendre lui aussi à être faible et à avoir besoin de pardon. Lorsque finalement son masque tombe et qu'il comprend la vérité de son cœur faible de pécheur croyant, il éclate en sanglots de repentir libérateurs. Après ces pleurs, il est désormais prêt pour sa mission». Benoît rappelle ensuite le dialogue entre Jésus ressusicté et Pierre sur les rives du lac de Tibériade, en soulignant la distinction entre le verbe «filéo» (qui exprime l'amour d'amitié, tendre mais pas totalisant) et le verbe «agapáo» (qui signifie l'amour sans réserves, total et inconditionné) et en concluant qu’il semble que ce soit précisément Jésus qui «s'est adapté à Pierre, plutôt que Pierre à Jésus! C'est précisément cette adaptation divine qui donne de l'espérance au disciple, qui a connu la souffrance de l'infidélité. C'est de là que naît la confiance qui le rendra capable de la sequela Christi jusqu'à la fin [...] A partir de ce jour, Pierre a “suivi” le Maître avec la conscience précise de sa propre fragilité; mais cette conscience ne l'a pas découragé. Il savait en effet pouvoir compter sur la présence du Ressuscité à ses côtés. De l'enthousiasme naïf de l'adhésion initiale, en passant à travers l'expérience douloureuse du reniement et des pleurs de la conversion, Pierre est arrivé à mettre sa confiance en ce Jésus qui s'est adapté à sa pauvre capacité d'amour. Et il nous montre ainsi le chemin à nous aussi, malgré toute notre faiblesse. Nous savons que Jésus s'adapte à notre faiblesse».

Dix ans plus tard, le 28 juin 2016, à l’occasion de la commémoration du 65e anniversaire de l’ordination sacerdotale de Benoît, le Pape François, s’adressant au Pape émérite présent, est revenu sur ces paroles: «Dans l’une des nombreuses belles pages que vous consacrez au sacerdoce, vous soulignez que, à l’heure de l’appel définitif de Simon, Jésus, en le regardant, ne lui demande au fond qu’une seule chose: “M’aimes-tu?”. Comme cela est beau et vrai. Car c’est là, nous dites-vous, dans ce “M’aimes-tu?” que le Seigneur fonde son action de paître, car ce n’est que si l’amour pour le Seigneur existe qu’Il peut paître à travers nous [...] Telle est la note qui domine une vie entière dépensée au service du sacerdoce et de la théologie, que vous avez définie, et ce n’est pas un hasard, comme “la recherche de l’aimé”; c’est cela dont vous avez toujours témoigné et dont vous témoignez encore aujourd’hui: que l’élément décisif de nos journées — de soleil ou de pluie —, la seule chose qui comporte également tout le reste, est que le Seigneur soit vraiment présent, que nous le désirions, qu’intérieurement nous soyons proches de Lui, que nous l’aimions, que nous croyions vraiment profondément en Lui et, en croyant, que nous l’aimions vraiment. C’est cet amour qui nous remplit vraiment le cœur, c’est croire qui nous fait marcher assurés et tranquilles sur les eaux, même au milieu de la tempête, précisément comme cela arriva à Saint-Pierre. Cet amour et ce croire est ce qui nous permet de regarder l’avenir non avec peur ou nostalgie, mais avec joie, également à une âge désormais avancé de notre vie».

Dans sa réponse, Benoît xvi introduisait un autre mot que nous retrouvons dans ses dernières paroles, en particulier dans son testament, un autre mot qui a distingué toute sa vie: merci. «Il y a soixante-cinq ans», dit Benoît, «un frère ordonné avec moi a décidé de n’écrire qu’un mot en grec sur son image-souvenir de sa première Messe, à l’exception du nom et de la date: “Eucharistòmen”, convaincu que par ce mot, dans ses nombreuses acceptions, est déjà dit tout ce que l’on peut dire à ce moment. “Eucharistòmen” veut exprimer un merci humain, un merci à tous. Merci surtout à vous, Saint-
Père! Votre bonté, depuis le premier moment de votre élection, à chaque moment de ma vie ici, me frappe, me porte réellement, intérieurement. Plus que les jardins du Vatican, avec leur beauté, votre bonté est le lieu où j’habite: je me sens protégé. Merci également de vos paroles de remerciement, de tout. Et espérons que vous pourrez aller de l’avant avec nous tous sur cette voie de la miséricorde divine, en indiquant la route de Jésus, vers Jésus, vers Dieu. [...] “Eucharistòmen” nous renvoie à cette réalité de remerciement, à cette nouvelle dimension que le Christ a donnée. Il a transformé en remerciement, et ainsi en bénédiction, la croix, la souffrance, tout le mal du monde. Et ainsi, il a fondamentalement transubstantialisé la vie et le monde et il nous a donné et il nous donne chaque jour le pain de la vraie vie, qui dépasse le monde grâce à la force de son amour. Pour finir, nous voulons nous insérer dans ce “remerciement” du Seigneur, et ainsi recevoir réellement la nouveauté de la vie et aider à la transubstantialisation du monde: que ce soit un monde non de mort, mais de vie; un monde dans lequel l’amour a vaincu la mort». (andrea monda)

Andrea Monda