Audience générale du 11 janvier
Chers frères et sœurs, bonjour!
Aujourd’hui, nous commençons un nouveau cycle de catéchèse, consacré à un thème urgent et décisif pour la vie chrétienne: la passion pour l’évangélisation, c’est-à-dire le zèle apostolique. Il s’agit d’une dimension vitale pour l’Eglise: la communauté des disciples de Jésus naît en effet apostolique, elle naît missionnaire, non pas prosélyte, et dès le début nous devions faire cette distinction: être missionnaire, être apostolique, évangéliser n’est pas la même chose que de faire du prosélytisme, rien à voir entre une chose et l’autre. C’est une dimension vitale pour l’Eglise, la communauté des disciples de Jésus naît apostolique et missionnaire. L’Esprit Saint la configure en sortie — l’Eglise en sortie, qui sort —, afin qu’elle ne soit pas repliée sur elle-même, mais extravertie, témoin contagieux de Jésus, la foi se contamine également, résolue à rayonner sa lumière jusqu’aux extrémités de la terre. Il peut se trouver, cependant, que l’ardeur apostolique, le désir d’atteindre les autres à travers la bonne annonce de l’Evangile, diminue, devienne tiède. Parfois, il semble s’éclipser, ce sont des chrétiens repliés sur eux-mêmes, ils ne pensent pas aux autres. Mais quand la vie chrétienne perd de vue l’horizon de l’évangélisation, l’horizon de l’annonce, elle devient malade: elle se referme sur elle-même, elle devient autoréférentielle, elle s’atrophie. Sans zèle apostolique, la foi se flétrit. La mission, est en revanche l’oxygène de la vie chrétienne: elle la tonifie et la purifie. Commençons alors un parcours pour redécouvrir la passion évangélisatrice, en partant des Ecritures et de l’enseignement de l’Eglise, pour puiser le zèle apostolique à ses sources. Puis nous nous approcherons de quelques sources vives, de quelques témoins qui ont ravivé dans l’Eglise la passion de l’Evangile, afin qu’ils nous aident à rallumer le feu que l’Esprit Saint veut faire brûler toujours en nous.
Et aujourd’hui, je voudrais commencer par un épisode évangélique en quelque sorte emblématique nous l’avons entendu: l’appel de l’apôtre Matthieu, et c’est lui-même qui le raconte dans son Evangile, dans le passage que nous avons écouté (cf. 9, 9-13).
Tout commence avec Jésus, qui «voit» — dit le texte — «un homme». Peu de gens voyaient Matthieu tel qu’il était: ils le connaissaient comme celui qui était «assis au guichet des impôts» (v. 9). Il était en fait un collecteur d’impôts, c’est-à-dire qu’il collectait les impôts pour le compte de l’empire romain qui occupait la Palestine. En d’autres termes, il était un collaborateur, un traître du peuple. Nous pouvons imaginer le mépris que les gens éprouvaient à son égard, c’était un «publicain», ainsi le désignait-on. Mais, aux yeux de Jésus, Matthieu est un homme, avec ses misères et sa grandeur. Faites attention à cela: Jésus ne s’arrête pas aux adjectifs, Jésus cherche toujours le substantif. «Celui-ci est un pécheur, celui-ci est un tel pour lequel...», ce sont des adjectifs: Jésus va à la personne, au cœur, c’est une personne, c’est un homme, c’est une femme, Jésus va à la substance, au substantif, jamais à l’adjectif, il laisse tomber les adjectifs. Et alors qu’il y a une distance entre Matthieu et son peuple — parce qu’ils voyaient l’adjectif «publicain» —, Jésus s’approche de lui, parce que tout homme est aimé de Dieu: «Même ce malheureux?». Oui, même ce malheureux, en effet, Il est venu pour ce malheureux, l’Evangile dit: «Je suis venu pour les pécheurs, non pour les justes». Ce regard de Jésus qui est très beau, qui voit l’autre, quel qu’il soit, comme le destinataire de l’amour, est le prélude de la passion évangélisatrice. Tout part de ce regard, que nous apprenons de -Jésus.
Nous pouvons nous demander: quel est notre regard sur les autres? Combien de fois voyons-nous leurs défauts et non leurs besoins; combien de fois étiquetons-nous les gens par ce qu’ils font ou par ce qu’ils pen-sent! Même en tant que chrétiens, nous nous disons: est-il des nôtres ou non? Ce n’est pas le regard de Jésus: Lui regarde toujours chaque personne avec miséricorde et en fait avec prédilection. Et les chrétiens sont appelés à faire comme le Christ, en regardant comme lui, en particulier ceux que l’on appelle «les lointains». En fait, le récit de l’appel de Matthieu se termine par la déclaration de Jésus: «Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs» (v. 13). Et si chacun de nous se sent juste, Jésus est loin, Lui il se rapproche de nos limites et de nos misères, pour nous guérir.
Tout commence donc par le regard de Jésus qui «vit un homme», Matthieu. Il s’ensuit — deuxième étape — un mouvement. D’abord le regard, Jésus regarde, puis la seconde étape, le mouvement. Matthieu était assis au bureau de la douane; Jésus lui dit: «Suis-moi». Et il «se leva et le suivit» (v. 9). Nous notons que le texte souligne que «il se leva». Pourquoi ce détail est-il si important? Car à l’époque, celui qui était assis avait une autorité sur les autres, qui se tenaient debout devant lui pour l’écouter ou, comme dans ce cas, pour lui payer un tribut. Celui qui était assis, en somme, avait le pouvoir. La première chose que fait Jésus, est de détacher Matthieu du pouvoir: lui qui était assis pour recevoir les autres, il le met en mouvement vers les autres, il ne reçoit pas, non: il va vers les autres; il lui fait abandonner une position de suprématie pour le mettre sur un pied d’égalité avec ses frères et sœurs et lui ouvrir les horizons du service. C’est ce qu’il fait et c’est fondamental pour les chrétiens: nous, disciples de Jésus, nous l’Eglise, restons-nous assis à attendre que les gens viennent, ou savons-nous nous lever, nous mettre en route avec les autres, chercher les autres? C’est une position non chrétienne que de dire: «Mais qu’ils viennent, je suis là, qu’ils viennent». Non, toi vas les chercher, toi fais le premier pas.
Un regard — Jésus a regardé — , un mouvement — il se lève — et enfin, une mission. Après s’être levé et avoir suivi Jésus, où Matthieu ira-t-il? On pourrait imaginer qu’après avoir changé la vie de cet homme, le Maître le conduise vers de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences spirituelles. Non, ou du moins pas immédiatement. D’abord, Jésus se rend chez lui; là, Matthieu lui prépare «un grand banquet», auquel «participe une grande foule de publicains» (Lc 5, 20) c’est-à-dire des gens comme lui. Matthieu retourne dans son environnement, mais il y retourne, transformé et avec Jésus. Son zèle apostolique ne commence pas dans un lieu nouveau, pur, et un lieu idéal, lointain, mais là, il commence où il vit, avec les gens qu’il connaît. Voici le message pour nous: nous ne devons pas attendre d’être parfaits et d’avoir parcouru un long chemin derrière Jésus pour témoigner de lui; notre annonce commence aujourd’hui, là où nous vivons. Et cela ne commence pas en essayant de convaincre les autres, convaincre non: mais en témoignant chaque jour de la beauté de l’Amour qui nous a regardés et nous a relevés, et c’est cette beauté, en communiquant cette beauté qui convaincra les gens, non pas en communiquant nous-mêmes, mais le même Seigneur. Nous sommes ceux qui annoncent le Seigneur, nous ne nous annonçons pas nous-mêmes, ni nous n’annonçons un parti politique, une idéologie, non: nous annonçons Jésus. Nous devons mettre Jésus en contact avec les gens, sans les convaincre, mais en laissant le Seigneur convaincre. Comme nous l’a en effet enseigné le Pape Benoît, «L’Eglise ne fait pas de prosélytisme. Elle se développe plutôt par “attraction”» (Homélie lors de la messe inaugurale de la cinquième Conférence générale de l’épiscopat d’Amérique latine et des Caraïbes, Aparecida, 13 mai 2007). N’oubliez pas ceci: quand vous voyez des chrétiens faire du prosélytisme, dresser une liste de personnes à venir... ce ne sont pas des chrétiens, ce sont des païens déguisés en chrétiens mais le cœur est païen. L’Eglise ne grandit pas par prosélytisme, elle grandit par attraction. Une fois, je me souviens que dans l’hôpital de Buenos Aires, les religieuses qui y travaillaient sont parties parce qu’elles étaient peu nombreuses et qu’elles ne pouvaient pas faire fonctionner l’hôpital, et une communauté de religieuses de Corée est arrivée, disons lundi par exemple, je ne me souviens plus du jour. Elles ont pris la maison des religieuses à l’hôpital et le mardi, elles sont descendues visiter les malades à l’hôpital, mais elles ne parlaient pas un mot d’espagnol, elles ne parlaient que le coréen et les malades étaient heureux, car ils commentaient: «Elles sont bien ces religieuses, bien, bien» — Mais que t’a dit la religieuse? «Rien, mais avec le regard elle m’a parlé, elles ont communiqué Jésus». Non pas se communiquer soi-même, mais avec le regard, avec les gestes, communiquer Jésus. C’est l’attraction, le contraire du prosélytisme.
Ce témoignage attrayant, ce témoignage joyeux est la mission vers laquelle Jésus nous conduit par son regard d’amour et par le mouvement de sortie que son Esprit suscite dans le cœur. Et nous pouvons nous demander si notre regard ressemble à celui de Jésus pour attirer les gens, pour rapprocher de l’Eglise. Pen-sons-y.
Le Saint-Père a ensuite adressé le salut suivant aux pèlerins francophones:
Je salue cordialement les personnes de langue française.
Alors que nous rentrons dans le temps ordinaire de l’année liturgique, efforçons-nous de vivre courageusement notre foi dans le quotidien de notre existence: nous témoignerons ainsi du Christ aux personnes que nous rencontrons. Que Dieu vous bénisse.
S’adressant aux pèlerins italiens, le Pape a ajouté les paroles suivantes:
Et n’oublions pas l’Ukraine martyrisée, toujours dans notre cœur; à ce peuple qui endure de cruelles souffrances, exprimons notre affection, notre proximité et notre prière. Et à présent, je m’arrêterai quelques instants en silence devant l’icône connue comme Vierge du Peuple, vénérée en Bélarus, en priant pour ce cher pays et pour la paix. Je vous invite à vous unir spirituellement à ma prière.