Sœur Megan Rice et le trio «Transform Now Plowshares»

Non pas une héroïne

 Non pas une héroïne  FRA-001
05 janvier 2023

On pourrait croire qu'il s'agit de l'histoire épique de l'extrême fragilité d'une toute petite femme de 82 ans pesant 47 kilos, qui vainc à elle seule, en un jour glorieux, le moloch nucléaire américain, forte seulement de sa foi en Jésus auquel elle s'était consacrée à l'âge de 19 ans. Cela pourrait être possible. D’une certaine manière il en est ainsi. Mais sœur Megan Rice, connue des chroniques pour avoir violé en 2012, avec deux compagnons d'aventure spirituelle et civile, le site militaire qui concentrait le potentiel maximal de destruction atomique de la superpuissance américaine, n'était ni seule, ni fragile. Ni, pourrait-on dire, impuissante dans son action pacifique pour le désarmement. Son histoire ne s'est pas terminée, dans la gloire, le jour où la Cour d'appel pour le sixième circuit l'a acquittée en 2015 de l'accusation fantaisiste de sabotage qui lui avait coûté une peine injuste de trois ans de prison en guise de punition pour s'être agenouillée pour prier Dieu dans le temple des idoles de la guerre.

Son histoire, en effet, est celle d'une personne qui a choisi, depuis l'époque où elle était enseignante en Afrique, de faire partie d'une intelligence collective de l'amour qui pense, aime, discerne et agit à l'unisson. Un cercle de personnes dans lequel, miraculeusement, la créativité de chaque individu fait la différence et s'épanouit dans mille directions inattendues. Pas d'épisodes individuels d'héroïsme, mais une communauté en mouvement, où chacun joue son rôle irremplaçable et où l'histoire ne s'arrêtera que lorsque justice sera rendue.

Dans la nature, les volées d'oiseaux migrent comme un unique, grand individu, se protégeant et se guidant mutuellement. Celui qui les voit, à l'automne, voit dans le ciel une seule créature, immense, fluide, aux mille formes, mystérieusement une parmi cent mille, comme nous le rappelle les cris sans fin qu'elle lance. Sœur Megan Rice, née dans une famille catholique new-yorkaise cultivée en 1930 («au plus profond de la dépression» dit-elle, son cœur étant toujours tourné vers la justice sociale et la souffrance des pauvres) avait choisi de rejoindre le grand peuple des hommes de bonne volonté, chrétiens, juifs, musulmans, laïcs, aspirant à la paix. Tous unis par la prophétie de deux hommes de la Bible, Isaïe et Michée, reconnue par les trois grandes religions. La guerre disparaîtra de la terre, disent les prophètes, et les hommes «transformeront les lances en faux et les épées en socs». Plus personne ne lèvera la main sur un autre peuple. La biographie récente de Megan ne pouvait donc être qu'une biographie chorale. Celle du mouvement des socs Plowshares, qui, de 1981 à 2021, a violé pacifiquement 101 fois les temples de la prolifération nucléaire aux Etats-Unis pour célébrer, littéralement, le sacrement de la transformation de la bombe de destruction totale en instrument de vie. Priez pour transformer, maintenant. Se faire arrêter pour témoigner, maintenant. Aller en prison pour marcher, maintenant, avec les pauvres écrasés par un système carcéral inhumain pour qui est faible.

Carole Sargent aurait dû relater la vie de Megan Rice dans un livre de la riche série People of God que la Liturgical Press (Collegeville, Minnesota) a consacrée aux biographies de personnalités catholiques du xx e siècle. De Jean xxiii à Paul vi , du Pape François à Oscar Romero et à Dorothy Day, chaque titre une vie. Mais sœur Megan, décédée le 10 octobre 2021 après avoir activement collaboré au livre, a demandé à l'auteur quelque chose de plus «ample» Ainsi, dans la série People of God, il y a un seul titre — «Transform Now, Plowshares» — qui n'est pas le nom d'une seule personne, mais celui de l'action 2012 réfléchie et réalisée par Michael Walli, Greg Boertje-Obed et Megan Rice Shcj (pour les amis mgm ), qui apparaissent tous les trois dans le titre complet, comme s'ils étaient une seule personne. Ensemble, ils ont réussi à s'introduire dans le complexe de sécurité nationale Y-12 (National Security Complex), à Oak Ridge (Tennessee), après avoir franchi les clôtures et marché dans la nuit jusqu'à une zone où ils pouvaient être tués à vue. Un lieu où les Etats-Unis avaient stocké tout l'uranium appauvri du Kazakhstan au lendemain de la chute de l'Union soviétique et qui détenait un potentiel nucléaire capable de détruire le monde non pas une fois mais des dizaines de fois. Dans le sac à dos des trois, entre autres choses, du pain, des bougies, quatre roses blanches, la Bible, un marteau et une déclaration d'accusation pour crimes de guerre et possession d'armes de destruction de masse.

Le livre de Carole Sargent nous conduit à la découverte d'une possibilité de transformation du monde qui est en marche, maintenant, et qui se fonde sur le libre choix de conscience de nombreux individus pour parcourir ensemble, en communauté, le chemin de la transformation des armes en instruments de paix et de justice sociale. Une conversion communautaire qui prétend convertir, à son tour, le monde d'un système économique basé sur la guerre, à un modèle qui investit dans la paix de la maison commune. Selon la prophétie. Le mouvement des socs n'a pas les caractéristiques d'une armée, il n'a pas de quartier général, pas de statuts, pas de hiérarchies internes. Il s'agit d'une réalité solidaire où chacun soutient l'autre avec ses capacités et, au nom de la libre conscience des individus, réfléchit à la manière de contester le pouvoir pour blasphème et — point crucial — l'illégalité de la guerre. Sœur Megan est entrée dans cette communauté de conscience collective animée par l'amour du Christ et a mis ses armes au service des personnes. La foi, la culture, l'histoire politique et, dit-elle et répète-t-elle, ses privilèges. Blanche, éduquée, religieuse, soutenue par le réseau Plowshares et la Society of the Holy Child Jesus à laquelle elle appartenait, elle disposait, de plus, de réseaux de défense et, pour ainsi dire, d'attaque. Inculpée avec ses deux amis, elle met à son tour en accusation le gouvernement, contestant la Constitution, le premier amendement, le procès de Nuremberg et l'accord de non-prolifération de 68. Une délicate partie d'échecs juridique qui a contraint le pouvoir à un retranchement judiciaire (l'absurde contestation du sabotage) et qui pourrait demain, aboutir à un échec et mat: la reconnaissance de la production d'armes nucléaires comme crime de guerre et contre l'humanité. Sœur Megan n'est pas une petite religieuse héroïque et pittoresque qui a gagné une médaille. Pour reprendre une de ses images, elle est une graine de tournesol qui, en grandissant, purifie les champs et les remplit de beauté. Avec des millions d'autres graines. Maintenant.

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Chiara Graziani