Regarder, être regardés

Le mystère d’un Dieu enfant

29 décembre 2022

Lors de la veillée de Noël de samedi 24, les yeux de millions de chrétiens du monde entier se sont tournés vers un tout petit bébé sans défense couché dans une mangeoire à l'intérieur d'une grotte. Noël est la fête de la naissance, de la vie, d'un Dieu qui s’est fait chair, d'un Dieu enfant. C'est la fête de l'incarnation, la fête de tous les enfants. Les chrétiens regardent l'Enfant mais savent que leur regard n'est pas le premier mais le second, qu'il n'est pas une initiative mais une réponse, qu'il n'est pas une action mais un don, parce qu'ils savent qu'avant de regarder ils ont été regardés, que l'initiative est de Dieu, qui nous a regardés, c'est-à-dire qu'il nous a pensés, conçus, créés, choisis, pardonnés, en un mot «aimés»: «Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu'il nous a aimés» (1 Jn 4,10). C'est un acte de foi que les chrétiens font à Noël en adorant et en priant l'Enfant Jésus, et la foi est une réponse, c'est un amen, un oui au oui de Dieu.

Des yeux tournés vers la grotte mais aussi (et d'abord) des yeux qui se tournent vers nous, les yeux de l'Enfant qui nous regarde depuis cette grotte.

Aujourd'hui encore, dans les nombreux Bethléem du monde, des enfants nous regardent. Et ils nous interrogent. Bethléem aujourd'hui n'est pas seulement en Palestine, mais aussi en Ukraine, où les enfants, comme l'a observé le Pape François, perdent leur sourire (qui est la signature incomparable de l'enfance); en Méditerranée, où chaque jour des enfants naissent et meurent dans les vagues d'une mer qui n'est pas un berceau mais un cimetière, mais aussi au Yémen comme en Syrie, en Iran comme en Birmanie, au Nigéria comme au Sud-Soudan... Des dizaines et des dizaines de lieux qui sont des théâtres de conflits, qu'en Occident nous avons tendance à vouloir oublier, où se trouvent des enfants qui, au lieu d'être accueillis, au lieu de représenter l'avenir et l'espoir, montrent avec leur chair blessée ou tuée toute l'absurdité d'un aujourd’hui fait de violence, de fermeture et de rejet.

Un enfant demande essentiellement à être accueilli, et Dieu fait ainsi dans le sein de Marie. Et l'accueil n’est pas automatique. Noël est un drame, avant même d'être une fête pleine de lumières et de distractions. Noël est la nuit sainte, mais elle reste une nuit. Pour voir la lumière, la lumière réelle et définitive, nous devons attendre l'aube du dimanche de Pâques. Pour l’instant, nous sommes toujours dans l'ombre de la nuit. C'est donc en ce premier Noël que la lumière divine a percé nos ténèbres, et il en est de même aujourd'hui: un drame qui nous secoue et nous met au défi d'avoir la tête, les mains et le cœur attentifs, libres, reconnaissants et actifs.

Rowan Williams, archevêque de Canterbury de 2003 à mars 2013, saisit cette puissance dramatique avec sobriété et acuité, comme seule la poésie peut le faire, dans ces vers dédiés à l'Avent et à son terme final, cette scène de Bethléem que tous les chrétiens ont vu, revu, dans une attente impatiente et une espérance confiante.

Advent Calendar

Il viendra comme la chute de la -dernière feuille.

Une nuit où le vent de novembre

a flagellé les arbres jusqu'à l'os, et la terre

se réveille asphyxiée par la moi-sissure,

du déploiement du doux linceul.

Il viendra comme le gel.

Un matin lorsque la terre se ratatine

s'ouvre sur la brume, pour se re-trouver

coincée dans le filet

d'une beauté inconnue et effilée.

Il viendra comme l’obscurité.

Un soir où le soleil rougeoyant

de décembre tire le drap

et couvre son œil avec une pièce de monnaie pour récolter

les champs de ciel enneigés d'étoiles.

Il viendra, il viendra,

il viendra comme des pleurs dans la nuit

comme le sang, comme la rupture,

dès que la terre se débattra pour le libérer.

Il viendra comme un enfant.

Andrea Monda