FEMMES EGLISE MONDE

Les dogmes
La doctrine sur Marie relue par une théologienne systématique

Immaculée et élevée au ciel

 Immacolata e Assunta  DCM-011
03 décembre 2022

Les deux dogmes mariaux les plus récents (Immaculée Conception et Assomption) ont en commun un péché original qui les éloignent de la vie des croyants et les empêchent donc de les consoler et de les pousser vers l’amour et le témoignage. Ce péché original est d’avoir été pensés dans un contexte – et encore plus d’avoir été obsessivement transmis – comme des privilèges qui concernent la personne de Marie, décrite comme unique, inatteignable, une (presque) déesse. Ce n’est évidemment pas la signification des deux dogmes, mais cette difficulté originelle est demeurée gravée dans la prédication, dans la dévotion et aussi dans la théologie, rendant les dogmes incapables de toucher les vécus parce que – au fond – qu’il y ait une femme qui, seule et de façon inimitable, ait connu la libération du péché et de la mort ne change pas beaucoup nos vies et ne nous réconforte pas.

La première chose à faire pour jouir de la beauté des dogmes mariaux, est donc d’éliminer cette incompréhension. Marie est fille d’Adam, c’est-à-dire pleinement humaine, fille de Sion, c’est-à-dire pleinement membre du peuple juif, et membre de l’église : c’est ce que dit le concile Vatican II.  Tout ce que nous prêchons sur elle ou que l’Eglise a compris sur elle ne peut que partir de son humanité réelle, concrète, égale à la nôtre en tout et pour tout, comme celle du Christ est égale à la nôtre, sinon il n’y a pas d’incarnation et sans incarnation il n’y a plus aucune espérance chrétienne. Cela étant fait, on peut alors passer aux dogmes sur Marie et les relire de façon à ce qu’ils nourrissent notre vie présente, notre foi et notre engagement.

Commençons par le dogme de l’Assomption. En réalité, chronologiquement, il est proclamé avant le dogme de l’Immaculée conception (1854) et dans les argumentations théologiques utilisées également, le dogme de l’Assomption (1950) est présenté comme une conséquence de celui de l’Immaculée, parce que l’on déduit de l’absence de péché en Marie une expérience diverse de la mort. Malgré cela, nous partons du dogme de l’Assomption parce que la réflexion et la prière liées autour de la mort de Marie sont beaucoup plus anciennes que la réflexion sur sa conception, qui est le fruit surtout de spéculations médiévales et d’une dévotion qui avait donné lieu dans le deuxième millénaire chrétien à une hyperexaltation de Marie. La dormition, en revanche, c’est-à-dire le mystère de sa mort pensé comme un endormissement serein pour entrer immédiatement et entièrement dans la vie de Dieu, est quelque chose qui a attiré la foi de l’Eglise dès les premiers siècles.

La dormition est devenue dans le dogme proclamé par Pie XII l’Assomption de Marie âme et corps, pour souligner le fait que la corruption du corps n’a pas eu lieu en elle et que – qu’elle soit morte ou pas, nous l’ignorons – elle entre immédiatement dans la vie de Dieu avec son corps également au terme de sa vie terrestre. Il est certain que cette façon de présenter sa mort présuppose certaines idées sur l’être humain (par exemple la possible séparation de l’âme du corps) et sur l’accomplissement final (par exemple un retardement de la résurrection des corps par rapport à la mort) que la théologie remet aujourd’hui en question, mais la bonne nouvelle demeure : la victoire du Christ sur la mort est également partagée par ceux qui croient en lui, à commencer par Marie, la croyante, la première et la plus parfaite des disciples. Dans son Assomption, nous contemplons notre destin, notre espérance, réalisée non seulement dans le Christ, mais déjà dans l’une de celles qui ont cru en lui, qui ont conclu le pèlerinage de la foi dans lequel nous sommes encore plongés. Que ce soit par ailleurs une femme qui jouisse pleinement de la résurrection et que son corps n’ait pas connu de violence ni de mort est un motif supplémentaire de libération. Trop souvent, les corps des femmes font l’objet de violence et de mépris, souvent, ils sont considérés uniquement comme des victimes : dans l’Assomption de Marie, nous contemplons son corps non touché par la violence, par le sacrifice, par la douleur, mais totalement transfiguré par la vie. Chaque femme sait à présent qu’aucune douleur n’est nécessaire et qu’aucun sacrifice n’est exigé d’elle : chacune sait qu’elle est faite pour la plénitude de la vie. Comme tous.

Passons à présent au dogme de l’Immaculée conception. Il exigerait des éclaircissements techniques et l’introduction d’un changement de paradigme dans la compréhension du péché original, que nous ne pouvons pas affronter à présent, mais ici reste également la bonne nouvelle : Marie est pleinement humaine et précisément en vertu de son humanité, elle reçoit le don de ne pas céder au mal, elle reçoit une force singulière contre tout péché au point de n’en être jamais touchée. Cela n’a pas lieu sans sa volonté et elle accomplit sa liberté, tout entière consacrée à l’amour de Dieu et de son prochain. La bonne nouvelle est que ce même Esprit qui a œuvré en elle en la provoquant à cette liberté d’amour, a été déversé dans nos cœurs. En la regardant, nous savons que le péché n’est pas inéluctable. Elle qui a traversé la mort intacte nous impose d’espérer également pour nous un destin de vie, celui-ci inéluctable. Elle semble nous dire qu’elle ne nous précède que de quelques pas, il suffit de nous hâter et nous la rejoindrons.

Simona Segoloni
Professeure de théologie systématique