«Etre avec l’Afrique, avant même d’être pour l’Afrique. Et c’est précisément la bonne attitude, parce que dans l’imaginaire, dans l’inconscient collectif, existe cette mauvaise attitude: l’Afrique doit être exploitée». C’est ce qu’a dit le Pape François à la communauté missionnaire de Médecins avec l’Afrique - cuamm , reçue en audience dans la matinée du samedi 19 novembre, dans la salle Paul vi . Nous publions ci-dessous le discours du Pape prononcé à cette occasion.
Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue à tous!
Je suis heureux de vous accueillir. Je remercie l’archevêque de Pa-doue pour ses paroles si courageuses. Aujourd’hui, vous formez la communauté missionnaire de «Médecins avec l’Afrique - cuamm».
J’aime souligner le fait que votre histoire commence quand, il y a 70 ans, un collège est né précisément à Padoue pour accueillir de jeunes étudiants en médecine africains. De jeunes Africains. On voit déjà votre style de cela: être avec l’Afrique, avant même d’être pour l’Afrique. Et c’est précisément la bonne attitude, parce que dans l’imaginaire, dans l’inconscient collectif, existe cette mauvaise attitude: l’Afrique doit être exploitée. Et contre cela, il y a votre non: être avec l’Afrique. Ainsi, être avec l’Afrique, c’est être pour l’Afrique. De cette expérience est parti un chemin de partage et de service qui, au cours de ces 70 années, a traversé presque tout le continent africain pour apporter une assistance médicale, toujours dans une optique de développement et en privilégiant la formation du personnel local. Il y a un grand capital intellectuel en Afrique: nous devons l’aider à se développer. Il y a environ un mois, j’ai eu une réunion avec des étudiants universitaires de toute l’Afrique, via Zoom. J’ai été étonné par la capacité intellectuelle de ces jeunes filles et garçons. S’il vous plaît, qu’ils ne se perdent pas; aidons-les à progresser, à aller de l’avant parce que l’Afrique ne doit pas être exploitée, il faut la promouvoir.
Votre œuvre est une manière concrète de mettre en pratique une chose que nous demandons chaque jour dans le «Notre Père». Nous demandons au Père céleste: «Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Et ce «pain», c’est aussi la santé. La santé est un bien primaire, comme le pain, comme l’eau, comme la maison, comme le travail. Vous vous engagez afin que ne manque pas le pain quotidien de tant de frères et sœurs qui aujourd’hui, au xxie siècle, n’ont pas accès à une assistance sanitaire normale, de base. C’est une honte: l’humanité n’est pas capable de résoudre ce problème, mais elle est capable de développer l’industrie des armes qui détruit tout. On dépense des milliards pour les armes, on brûle d’autres énormes ressources dans l’industrie de l’éphémère et de l’évasion — l’«industrie du maquillage», par exemple... Lorsque nous prions «donnez-nous aujourd’hui notre pain de ce jour, nous devrions bien réfléchir à ce que nous disons, parce que tant, trop d’hommes et de femmes, ne reçoivent que les miettes de ce pain, ou même pas les miettes, simplement parce qu’ils sont nés dans certains endroits du monde. Je pense à tant de mères, qui ne peuvent pas avoir accès à un accouchement sûr et qui parfois perdent la vie; ou à tant d’enfants, qui s’éteignent dès la petite enfance.
Votre présence ici aujourd’hui conduit mon cœur aux côtés de pays qui me sont particulièrement chers, comme la République centrafricaine, où je suis allé en 2015 pour ouvrir la Porte Sainte, à Bangui; et le Sud-Soudan où, si Dieu le veut, je me rendrai au début de l’année prochaine. Ce sont des pays très pauvres et fragiles, que le monde considère comme importants uniquement pour les ressources à exploiter et que le Seigneur considère au contraire comme ses préférés, dans lesquels il vous envoie pour être de bons samaritains, témoins de son Evangile. N’ayez pas peur de faire face à des défis difficiles, d’intervenir dans des lieux reculés et marqués par la violence, où les populations n’ont pas la possibilité de se soigner. Soyez avec eux! Même s’il faudra des années d’efforts, même si les déceptions et les échecs se succéderont pour obtenir des résultats, ne vous découragez pas. Persévérez avec le service obstiné et le dialogue ouvert à tous comme instruments pour la paix et pour surmonter les conflits.
Un autre aspect beau et important du fait que vous êtes avec l’Afrique est la collaboration avec les Eglises locales et avec les institutions des pays dans lesquels vous œuvrez, toujours dans une optique de partage et de promotion des populations africaines. Contre l’exploitation, la promotion. Je vous encourage aussi à continuer de travailler avec les congrégations religieuses missionnaires, qui s’engagent généreusement dans le secteur sanitaire en Afrique. Travailler ensemble en unissant les forces, en mettant à disposition votre expérience et votre compétence, en soutenant l’innovation sociale inspirée par l’Evangile, en explorant également de nouvelles formes de financement des services sanitaires s’adressant aux plus pauvres.
La pandémie du Covid, la guerre et la grave crise internationale mettent tous à dure épreuve. De même que les conditions de sécheresse: j’ai suivi les désastres provoqués par la sécheresse au Kenya... Et si cela est difficile pour le monde développé, cela l’est encore plus pour l’Afrique, où les conséquences sont dramatiques, parce que les populations sont déjà très pauvres et manquent de systèmes de protection sociale. L’Afrique est en train de reculer et la pauvreté s’aggrave. Les prix des denrées alimentaires augmentent partout et apportent la faim et la malnutrition; les transports sanitaires sont bloqués en raison du coût excessif du carburant; les médicaments et le matériel sanitaire manquent partout. C’est une «guerre» cachée, que personne ne raconte et qui semble ne pas exister, mais qui a au contraire à des effets très graves, en particulier sur les plus pauvres. Que le Seigneur vous aide à traverser avec courage cette «nuit», le cœur tourné vers l’aurore, qui illuminera ces petits germes d’espérance que nous entrevoyons déjà et dont vous êtes vous-mêmes les témoins. Je vous remercie parce que vous vous faites les porte-paroles de ce que vit l’Afrique; parce que vous dévoilez au grand jour les souffrances cachées et silencieuses des pauvres que vous rencontrez dans votre engagement quotidien. Et je vous exhorte à continuer à être la voix de l’Afrique, à lui laisser une place afin qu’elle puisse s’exprimer: l’Afrique a une voix, mais on ne l’entend pas; vous devez créer des possibilités afin qu’on entende la voix de l’Afrique; continuer à donner voix à ce que l’on ne voit pas, à ses efforts et à ses espérances, pour secouer la conscience d’un monde parfois trop concentré sur lui-même et peu sur l’autre. Le Seigneur écoute le cri de son peuple opprimé et nous demande d’être des artisans d’un nouvel avenir, humbles et tenaces, avec les plus pauvres.
Enfin, je vous invite à accorder une attention particulière aux jeunes: à favoriser par tous les -moyens, dans vos activités, l’insertion professionnelle de la jeunesse locale, si désireuse de vivre son avenir en tant que protagoniste, surtout dans les pays d’origine. Je vous dis que j’ai été ému de cette rencontre via Zoom que j’ai eue, de plus d’une heure et demie, avec les jeunes Africains: leur intelligence, leurs inquiétudes... Aidez-les à aller de l’avant: ils sont un trésor, ils sont très intelligents, mais qu’ils ne sentent pas que leurs projets ne peuvent pas aller de l’avant en raison des conditions géographiques, sociales, économiques, ou tant de fois culturelles qui les bloquent. Les nouvelles générations peuvent créer de nouveaux ponts entre l’Italie et l’Afrique. Et cela arrive quand les jeunes se rencontrent, se confrontent et s’ouvrent au monde sans peur et sans préjugés. Dans cette aventure, vous pouvez impliquer les universités, de manière à ce que les parcours de formation, de recherche et d’innovation, prévus pour les jeunes italiens, soient également destinés à la jeunesse africaine. C’est dans cet échange que se construisent des dirigeants capables de guider des processus de développement humain intégral.
Je voudrais terminer par une photographie, par une image. Lorsque j’étais en visite à Bangui, j’ai eu l’occasion de connaître — par hasard — une sœur qui résidait en Afrique, en République démocratique du Congo, depuis plus de cinquante ans. Elle était venue à Bangui en canoë pour faire les courses. C’était une sage-femme, elle avait plus de deux mille accouchements à son actif: elle était la maman là-bas! Cette femme avait été sage-femme pendant cinquante ans. Elle était simple, et elle avait avec elle une petite fille de quatre ou cinq ans qui l’appelait «maman». Et moi, pour plaisanter, qu’ai-je dit? «Est-ce une novice de ta Congrégation?». Et elle a dit, «Non, non, c’est ma fille». Je l’ai regardée, je ne comprenais pas. Et elle m’a dit: «Ecoute, sa mère est morte en couches, son père est parti, il a abandonné tout le monde. Elle était seule et je l’ai adoptée légalement».
Courageuse cette sœur, hein? Elle prenait soin d’elle. Et elle vit toujours là, en République démocratique du Congo, et tous les samedis, toujours en canoë, elle va faire ses courses à Bangui et revient; et elle continue encore à être sage-femme. Une vie cachée pour donner la vie. Je veux juste vous laisser cette photo. Pen-sons à tant d’hommes et de femmes qui, comme cette religieuse, ont passé leur vie en Afrique pour aider les Africains à grandir. Allez de l’avant, soyez courageux avec ces pionniers que nous avons devant nous!
Je vous remercie beaucoup pour cette rencontre et pour ce que vous faites. Que la Vierge vous accompagne toujours sur votre chemin et dans votre travail. Moi aussi, je suis proche de vous par la prière. Je vous bénis de tout cœur, vous tous ici présents, toute la famille du cuamm et toutes les personnes dont vous prenez soin. Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.