Entretien avec les journalistes sur l’avion

Conférence de presse sur le vol de retour du Bahreïn

 Conférence de presse sur le vol de retour du Bahreïn  FRA-045
10 novembre 2022

Au cours du vol de retour du Bahreïn, le Pape, comme de coutume, a voulu répondre aux questions de certains journalistes qui lui ont été présentés par le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni. Au début de la rencontre, le Pape a prononcé les paroles suivantes:

Bonjour, merci beaucoup pour votre compagnie au cours de ces jours, pour votre travail. Merci vraiment. Je suis à présent à votre disposition pour vos questions. J’essaierai de répondre à tout ce que je sais! Merci.

[Fatima Al Najem (Bahrain News Agency), en anglais] Je voudrai juste dire quelque chose avant de poser ma question. Vous avez une place très spéciale dans mon cœur, non seulement parce que vous avez visité mon pays, mais parce que, lorsque vous avez été élu Pape, c’était mon anniversaire. J’ai une question. Comment évaluez-vous les résultats de votre visite historique au Royaume de -Bahreïn et que pensez-vous des efforts du -Bahreïn pour consolider et promouvoir la coexistence, dans tous les secteurs de la société, de toutes les religions, sexes et races?

Je dirais que cela a été un voyage de rencontre. Parce que la finalité était précisément de se trouver dans le dialogue interreligieux avec l’islam et dans le dialogue œcuménique avec Bartholomée. Les idées exposées par le Grand Imam d’Al-Azhar allaient précisément dans cette direction de rechercher l’unité, l’unité au sein de l’islam en respectant les nuances, les différences, mais avec unité; l’unité avec les chrétiens et les autres religions.

Et pour entrer dans le dialogue interreligieux ou dans le dialogue œcuménique, il faut une identité propre. On ne peut pas partir d’une identité générale. «Je suis islamique», «je suis chrétien», j’ai cette identité et je peux donc parler avec cette identité. Quand on n’a pas d’identité propre, ou qu’on est un peu «dans l’air», le dialogue est difficile parce qu’il n’y a pas d’aller-retour, c’est pour cela que c’est important. Et ces deux personnes qui sont venues, le Grand Imam d’Al-Azhar comme le Patriarche Bartholomée, ont une grande identité. Et cela fait du bien.

En ce qui concerne le point de vue islamique, j’ai écouté attentivement les trois interventions du Grand Imam et j’ai été frappé par la manière dont il a tant insisté sur le dialogue intra-islamique, entre vous, non pas pour effacer les différences mais pour se comprendre et travailler ensemble, ne pas être les uns contre les autres. Nous, chrétiens, avons une histoire un peu laide des différences qui nous a conduits à des guerres de religion: les catholiques contre les orthodoxes ou contre les luthériens. Maintenant, grâce à Dieu, après le Concile, il y a eu un rapprochement et nous pouvons dialoguer et travailler ensemble et c’est important, en témoignant de faire du bien aux autres. Ensuite, les spécialistes, les théologiens discuteront de choses théologiques, mais nous devons marcher ensemble comme croyants, comme amis, comme frères, en faisant le bien.

J’ai été également frappé par les choses qui ont été dites au Conseil musulman des sages, sur la création et la sauvegarde de la création: cela est une préoccupation commune à tous, musulmans, chrétiens, tous.

A présent, le secrétaire d’Etat du Vatican et le Grand Imam d’Al-
Azhar vont sur le même avion, de Bahreïn au Caire, ensemble comme des frères. C’est quelque chose d’assez émouvant... C’est important, c’est une chose qui a fait du bien. La présence du Patriarche Bartholomée, qui est une autorité dans le domaine œcuménique, a également fait du bien. Nous l’avons vu dans l’acte, dans la célébration œcuménique que nous avons faite et aussi dans les paroles qu’il a prononcées auparavant. En résumé, cela a été un -voyage de rencontre.

Pour moi, c’est la cela été la nouveauté d’apprendre à connaître une culture ouverte à tous. Dans votre pays, il y a de la place pour tout le monde. Le Roi m’a dit: «Ici chacun fait ce qu’il veut, si une femme veut travailler, elle travaille. Une ouverture totale». C’est ce qu’il m’a dit — Vous le savez, you work —. Et aussi la partie religieuse, là aussi, l’ouverture... J’ai été frappé par la quantité de chrétiens, de Philippins, d’Indiens du Kerala qui sont ici et qui vivent dans le pays et travaillent dans le pays, il y en a beaucoup.

[Fatima Al Najem] Ils vous aiment beaucoup!

C’est l’idée, j’ai trouvé quelque chose de nouveau et cela m’aide à comprendre et à interagir davantage avec les gens. Le mot clé est dialogue, dialogue, et pour dialoguer, il faut partir de sa propre identité, avoir une identité.

[Fatima Al Najem] Merci, Sainteté. Je prierai Allah le tout-puissant pour qu’il vous donne des bénédictions de bonne santé, bonheur et longue vie.

Oui, oui, prie pour moi. Pour moi, pas contre moi!

[Imad Atrach (Sky Tv News Arabie)] Saint-Père, de la signature du «Document sur la fraternité humaine» il y a trois ans, à la visite à Bagdad, puis récemment aussi au Kazakhstan: ce chemin donne-t-il des fruits tangibles à votre avis? Pouvons-nous imaginer que cela puisse aboutir à une rencontre au Vatican? Ensuite, je voudrais vous remercier d’avoir mentionné le Liban aujourd’hui, parce qu’en tant que Libanais, je peux vous dire que nous avons vraiment besoin d’un voyage urgent de votre part, aussi et surtout parce que maintenant nous n’avons même pas de président, donc allez embrasser le peuple directement. Merci.

Merci. J’ai beaucoup réfléchi ces jours-ci, et nous en avons parlé avec le Grand Imam, à la manière dont est née l’idée du Document d’Abou Dabi, ce Document que nous avons réalisé ensemble, le premier. Il était venu au Vatican pour une visite de courtoisie et nous avons eu l’entretien protocolaire. C’était presque l’heure du déjeuner et il allait partir et alors que je l’accompagnais pour le saluer, je lui ai demandé: «Mais où allez-vous déjeuner?». Je ne sais pas ce qu’il m’a dit... «Venez, déjeunons ensemble». C’était quelque chose qui venait de l’intérieur. Puis, assis à table, lui, son secrétaire, deux conseillers, moi-même, mon secrétaire, mon conseiller, nous avons pris le pain, l’avons rompu et nous nous le sommes donné l’un à l’autre: un geste d’amitié, offrir le pain. Cela a été un déjeuner très agréable, très fraternel. Et vers la fin, je ne sais pas qui a eu l’idée: «Pourquoi n’écririons-nous pas quelque chose sur cette réunion?». C’est ainsi qu’est né le document d’Abou Dabi. Les deux secrétaires se sont mis au travail, avec un brouillon qui a fait plusieurs aller-retours... Et à la fin, nous avons profité de la rencontre d’Abou Dabi pour le publier. Cela été une chose de Dieu, on ne peut pas le comprendre autrement, parce qu’aucun de nous n’avait cela en tête. Cela est sorti lors d’un déjeuner amical, et c’est une grande chose.

Puis j’ai continué à réfléchir, et le document d’Abou Dabi a été à la base de Fratelli tutti. Même ce que j’ai écrit après sur l’amitié humaine dans Fratelli tutti est basé sur le document d’Abou Dabi. Je crois qu’on ne peut pas penser à un tel chemin sans pen-ser à une bénédiction spéciale du Seigneur sur ce chemin. Je veux le dire par soucis de justice, il me semble juste que vous sachiez comment le Seigneur a inspiré ce chemin. Je ne savais même pas comment s’appelait le Grand Imam, et puis nous sommes devenus amis et avons fait quelque chose comme deux amis, et maintenant nous parlons ensemble chaque fois que nous nous rencontrons. Voilà en ce qui concerne le Document qui est actuel, et l’on travaille pour le faire connaître.

Et en ce qui concerne le Liban... Le Liban est une douleur pour moi. Parce que le Liban n’est pas seulement un pays [à voir] en soi — un Pape l’a dit avant moi — le Liban n’est pas un pays, c’est un message. Le Liban a une très grande signification pour nous tous. Et le Liban souffre en ce moment. Je prie. Et j’en profite pour lancer un appel aux hommes politiques libanais: laissez les intérêts personnels de côté, regardez le pays et mettez-vous d’accord. D’abord Dieu et la patrie, ensuite les intérêts. Mais d’abord Dieu et la patrie. En ce moment, je ne veux pas dire «sauvez le Liban» parce que nous ne sommes pas des sauveurs, mais s’il vous plaît, soutenez le Liban, aidez-le afin que le Liban arrête ce chemin en pente, afin que le Liban retrouve sa grandeur. Il y a des moyens... Il y a la générosité du Liban, combien de réfugiés politiques a le Liban! Il est si généreux et il est en train de souffrir. J’en profite pour demander une -prière pour le Liban. La prière aussi est une amitié. Vous êtes des journalistes, regardez le Liban et parlez-en pour sensibiliser les gens. Voilà ce que je veux dire. Merci.

[Carol Glatz (Catholic News Service)] Merci, Saint-Père. Sainteté, lors de ce voyage au Bahreïn, vous avez parlé des droits fondamentaux, notamment des droits des femmes, de leur dignité, du droit d’avoir leur place dans la sphère sociale et publique, et vous avez encouragé, comme toujours, les jeunes à avoir du courage, à faire du bruit, à aller de l’avant pour édifier un monde plus juste. Etant donné la situation près d’ici en Iran avec les manifestations déclenchées par certaines femmes et par de nombreux jeunes qui veulent plus de liberté, soutenez-vous cet engagement des femmes et des hommes qui réclament des droits fondamentaux qui se trouvent également dans le «Document sur la fraternité humaine?».

Nous devons nous dire la vérité: la lutte pour les droits des femmes est un combat permanent. Parce que dans certains endroits, les femmes arrivent à être égales aux hommes, mais dans d’autres endroits, cela n’est pas le cas. Non? Je me souviens que dans les années 1950, dans mon pays, il y a eu la lutte pour les droits civiques des femmes: pour que les femmes puissent voter — parce que, jusqu’en 1950, plus ou moins, seuls les hommes votaient chez nous. Et je pen-se à cette même lutte aux Etats-Unis, célèbre, pour le vote des femmes. Mais pourquoi — je me demande — une femme doit-elle se battre si fort pour conserver ses droits? Il existe... — je ne sais pas si c’est une légende — une légende sur l’origine des bijoux pour les femmes qui explique la cruauté de tant de situations à l’égard des femmes. On dit que la femme porte beaucoup de bijoux parce que dans certains pays — je ne me souviens pas, c’est peut-être historique — il y avait une coutume selon laquelle lorsque le mari en avait assez de la femme, il lui disait «va-t’en» et elle ne pouvait plus rentrer pour prendre quoi que ce soit. Elle devait partir avec ce qu’elle avait sur elle. Et c’est pour cela qu’elles accumulaient de l’or pour s’en aller au moins avec quelque chose. On dit que c’est l’origine des bijoux. Je ne sais pas si c’est vrai ou non, mais l’image nous aide. Les droits sont fondamentaux: mais comment se fait-il qu’aujourd’hui, aujourd’hui! nous ne puissions pas arrêter la tragédie de l’excision sur les petites filles dans le monde? Mais cela est terrible. Aujourd’hui! Que cette pratique existe, que l’humanité ne puisse pas l’arrêter, c’est un crime, un acte criminel! Les femmes, selon deux commentaires que j’ai entendus, sont soit du matériel «jetable» — c’est affreux! — ou des «espèces protégées». Mais l’égalité entre hommes et femmes n’est pas encore universellement trouvée. Et il y a ces épisodes: dans lesquels les femmes sont de seconde classe ou moins. Nous devons continuer à lutter pour cela, car les femmes sont un don. Dieu n’a pas créé l’homme pour ensuite lui donner un petit chien pour s’amuser. Non! Il les a créés deux, égaux: homme et femme. Et ce que Paul a écrit dans l’une de ses lettres sur la relation homme-femme, qui nous semble aujourd’hui démodé, était à l’époque si révolutionnaire qu’il scandalisait: la fidélité de l’homme à la femme, et que l’homme «prenne soin de la femme comme de sa propre chair» (cf. 2 Co 5, 28-29). Et cela à ce moment-là, a été une chose révolutionnaire. Tous les droits des femmes découlent de cette égalité. Une société qui n’est pas capable d’accorder une juste place aux femmes n’avance pas. Nous en avons l’expérience.

Dans le livre que j’ai écrit «Rêvons à nouveau», dans la partie consacrée à l’économie par exemple: il y a des femmes économistes en ce moment dans le monde qui ont changé la vision de l’économie et qui sont capables de la faire avancer. Parce qu’elles ont un don différent. Elles savent gérer les choses d’une autre manière, qui n’est pas inférieure, mais complémentaire. J’ai eu une fois une conversation avec une cheffe de gouvernement, une grande cheffe de gouvernement, une mère qui a plusieurs enfants qui avait réussi à résoudre avec un grand succès une situation très difficile. Et je lui ai dit: «Dites-moi madame, comment avez-vous fait pour résoudre une situation si difficile?» Et elle a commencé à bouger ses mains comme ça, en silence, puis elle m’a dit: «Comme nous le faisons, nous mères». La femme a sa propre voie pour résoudre un problème, qui n’est pas celle de l’homme. Et les deux voies doivent travailler ensemble: la femme égale à l’homme travaille pour le bien commun avec cette intuition qu’ont les femmes. J’ai vu que chaque fois qu’une femme entre au Vatican pour faire un travail, les choses s’améliorent. Par exemple, la vice-gouvernatrice du Vatican [secrétariat général du gouvernorat] est une femme, et les choses ont changé en mieux. Dans le Conseil pour l’économie, il y a six cardinaux et six laïcs, tous des hommes. J’ai changé et dans le groupe des laïcs j’ai mis un homme et cinq femmes. Et c’est une révolution parce que les femmes savent trouver le bon chemin, elles savent aller de l’avant. Et maintenant, j’ai nommé Marianna Mazzuccato, une grande économiste des Etats-Unis, à l’Académie pontificale pour la vie, pour donner un peu plus d’humanité. Les femmes apportent du leur. Elles ne doivent pas devenir comme les hommes. Non, ce sont des femmes, nous en avons besoin. Et une société qui efface les femmes de la vie publique est une société qui s’appauvrit. Elle s’appauvrit. Egalité des droits, oui, mais aussi égalité des chances, égalité des possibilités d’avancer, car sinon on s’appauvrit. Je pense qu’avec cela j’ai dit ce qui doit être fait globalement. Mais il y a encore du chemin à parcourir. Parce qu’il y a ce machisme. Je viens d’un peuple machiste. Nous Argentins sommes machistes, toujours. Et cela est mauvais! Et on en a besoin, on va voir les mères qui sont celles qui résolvent les problèmes. Mais ce machisme tue l’humanité. Merci de m’avoir donné l’occasion de dire cela, qui est une chose que je porte beau-coup dans mon cœur. Luttons non seulement pour les droits, mais parce que nous avons besoin des femmes dans la société pour nous aider, nous aider à changer. Merci.

[Antonio Pelayo (Vida Nueva)] Saint-Père, la seule fois où vous avez improvisé au cours de ce voyage, c’était pour évoquer «l’Ukraine martyrisée» et les «négociations de paix». Je voudrais vous demander si vous pouvez nous dire quelque chose sur la façon dont ces négociations se déroulent de la part du Vatican, et une autre question: avez-vous parlé récemment avec Poutine ou avez-vous l’intention de le faire prochainement?

Bien, tout d’abord, le Vatican est constamment attentif, la secrétairerie d’Etat travaille et travaille bien, elle travaille bien. Je sais que le secrétaire [pour les relations avec les Etats et les Organisations internationales], Mgr Gallagher, fait du bon travail. Ensuite, un peu d’histoire. Au lendemain du début de la guerre — je pen-sais que cela ne pouvait pas se faire, une chose insolite — je me suis rendu à l’ambassade de Russie [près le Saint-Siège], pour parler avec l’ambassadeur, qui est un brave homme, que je connais depuis six ans, depuis qu’il est arrivé, un humaniste. Je me souviens d’une remarque qu’il m’a faite à l’époque: «Nous sommes tombés dans la dictature de l’argent» (en français), en parlant de la civilisation. Un humaniste, un homme qui se bat pour l’égalité. Je lui ai dit que j’étais prêt à aller à Moscou pour parler à Poutine, si besoin était. Lavrov [le ministre des affaires étrangères] a répondu très poliment: merci, a-t-il répondu, mais pour le moment, ce n’était pas nécessaire. Mais depuis ce moment, nous nous sommes beaucoup intéressés. J’ai parlé trois fois au téléphone avec le président Zelensky; puis avec l’ambassadeur ukrainien encore d’autres fois. Et on fait un travail de rapprochement, pour chercher des solutions. Le Saint-Siège fait également ce qu’il doit faire en ce qui concerne les prisonniers... Ce sont des choses qui se font toujours, le Saint-Siège les a toujours faites, toujours. Et puis la prédication pour la paix. Ce qui me frappe — c’est pour cela que j’utilise le mot «martyrisée» pour l’Ukraine — c’est la cruauté — qui n’est pas du peuple russe, parce que le peuple russe est un grand peuple, qui est des mercenaires, des soldats qui vont faire la guerre comme si c’était une aventure, les mercenaires. Je préfère voir les choses comme ça parce que j’ai une grande estime pour le peuple russe, pour l’humanisme russe. Il suffit de penser à Dostoïevski qui, aujourd’hui encore, nous inspire, inspire les chrétiens à penser le christianisme. J’ai une grande affection pour le peuple russe et j’ai une grande affection aussi pour le peuple ukrainien. Quand j’avais onze ans, il y avait un prêtre ukrainien près de chez moi qui célébrait et n’avait pas d’enfants de chœur, et il m’a appris à servir la messe en ukrainien. Tous ces chants ukrainiens, je les connais dans leur langue, parce que je les ai appris quand j’étais enfant, c’est pourquoi j’ai une très grande affection pour la liturgie ukrainienne. Je suis au milieu de deux peuples que j’aime.

Mais pas seulement moi. Le Saint-Siège a eu de nombreuses rencontres confidentielles, de nombreuses choses avec de bons résultats. Parce que nous ne pouvons pas nier qu’une guerre, au début, nous rend peut-être courageux, mais ensuite, elle nous fatigue et nous fait mal et nous voyons le mal qu’une guerre fait; ceci pour l’aspect plus humain, plus proche.

Puis, en profitant de cette question, je voudrais exprimer cette plainte: en un siècle, en un siècle, trois guerres mondiales! Celle de 1914-1918, celle de 1939-1945, et celle-ci! Parce que celle-ci est une guerre mondiale. Car il est vrai que lorsque les empires, que ce soit d’un côté ou de l’autre, s’affaiblissent, ils ont besoin de faire une guerre pour se sentir forts, mais aussi pour vendre des armes! Parce qu’aujourd’hui, je crois que la plus grande calamité du monde, c’est l’industrie de l’armement. On m’a dit, je ne sais pas si c’est vrai ou non, que si on ne fabriquait pas d’armes pendant un an, on pourrait mettre fin à la faim dans le monde. L’industrie de l’armement est terrible. Il y a quelques années, trois ou quatre ans, un bateau rempli d’armes est arrivé d’un pays à Gênes et il a fallu transférer les armes sur un navire plus grand pour les emmener au Yémen. Les dockers de Gênes ne voulaient pas le faire... Ils ont fait un geste. Le Yémen: plus de dix ans de guerre. Les enfants du Yémen n’ont pas de quoi manger! Et les Rohingya, qui «errent» d’une rive à l’autre parce qu’ils ont été expulsés: toujours en guerre, en Birmanie, c’est terrible ce qu’il s’y passe. Maintenant, j’espère qu’aujourd’hui, quelque chose va s’arrêter en Ethiopie, avec un traité... Nous sommes en guerre partout et nous ne comprenons pas cela. A présent, cela nous touche de près en Europe, la guerre russo-ukrainienne. Mais partout, depuis des années: en Syrie, douze à treize ans de guerre, et personne ne sait s’il y a des prisonniers et ce qui se passe là-bas. Puis le Liban, on a parlé de cette tragédie... Je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit: quand je suis allé à Redipuglia, en 2014 — et mon grand-père avait fait la bataille de Piave et m’avait raconté ce qui se passait là-bas —, et j’ai vu ces tombes, tous des jeunes, j’ai pleuré, j’ai pleuré, je n’ai pas honte de le dire. Puis un 2 novembre — je vais toujours dans un cimetière le 2 novembre —, je suis allé à Anzio, quelques années plus tard, et j’ai vu la tombe de ces garçons américains, lors du débarquement d’Anzio, 19, 20, 22, 23 ans, et j’ai pleuré, vraiment, cela m’est venu du cœur. Et j’ai pensé aux mères, quand on a frappé à leurs portes: «Madame, une enveloppe pour vous». Elle ouvre l’enveloppe: «Madame, j’ai l’honneur de vous dire que votre fils est un héros de la patrie». Les tragédies de la guerre. Puis une chose, je ne veux dire du mal de personne, mais cela a touché mon cœur: lors de la commémoration du débarquement en Normandie, les chefs de nombreux gouvernements étaient là pour les commémorations. C’est vrai, cela a été le début de la chute du nazisme, c’est vrai. Mais combien de garçons sont tombés sur les plages de Normandie? On dit trente mille. Qui pense à ces garçons? La guerre sème tout cela. C’est pourquoi, vous qui êtes journalistes, s’il vous plaît, soyez pacifistes, exprimez-vous contre la guerre, luttez contre la guerre. Je vous le demande comme un frère. Merci.

[Hugues Lefèvre (I.Media)] Merci, Saint-Père. Ce matin, dans votre discours au clergé de Bahreïn, vous avez parlé de l’importance de la joie chrétienne, mais ces derniers jours, de nombreux fidèles français ont perdu cette joie lorsqu’ils ont découvert dans la presse que l’Eglise avait gardé secrète la condamnation en 2021 d’un évêque, aujourd’hui retraité, qui avait commis des abus sexuels dans les années 1990 alors qu’il était prêtre; quand cette histoire a été révélée dans la presse, cinq nouvelles victimes se sont manifestées. Aujourd’hui, de nombreux catholiques veulent savoir si la culture du secret de la justice canonique doit changer et devenir transparente, et je voudrais savoir si vous pensez que les sanctions canoniques doivent être rendues publiques. Merci.

Merci à toi pour ta question. Je voudrais commencer par un peu d’histoire à ce sujet. Le problème des abus a toujours existé, pas seulement dans l’Eglise. Partout. Vous savez que 42-46 %des abus sexuels ont lieu dans la famille ou dans le quartier: c’est très grave. Mais l’habitude a toujours été celle de couvrir. Dans la famille, aujourd’hui encore, on couvre tout, et même dans le voisinage, on couvre tout, ou du moins la majorité des cas. C’est une mauvaise habitude qui a commencé à changer dans l’Eglise quand il y a eu le scandale à Boston, du cardinal Law qui était cardinal à l’époque, et qui est mort à présent. A cause de ce scandale, il a démissionné: c’était la première fois que cela sortait comme scandale. Depuis, l’Eglise a pris conscience de cela et a commencé à travailler, alors que dans la société normalement on couvre, normalement, dans d’autres institutions.

Quand il y a eu la réunion des présidents des conférences épiscopales, j’ai demandé à l’Unicef, aux Nations unies, des statistiques et je leur ai donné les pourcentages: quel pourcentage dans les familles, combien dans les quartiers — la majorité —, combien dans les écoles, dans le sport... Une étude attentive a été réalisée également dans l’Eglise. Certains disent: «nous sommes une minorité». Mais même si c’était un seul cas, ce serait tragique, parce que toi, prêtre, tu as la vocation de faire grandir les gens et en te comportant ainsi, tu les détruis. Pour un prêtre, c’est comme aller contre sa nature sacerdotale et même contre sa nature sociale. C’est pourquoi c’est une chose tragique et nous ne devons pas nous arrêter, nous ne devons pas nous arrêter.

Dans ce réveil pour mener des enquêtes et lancer des accusations, tout n’a pas toujours été égal: certaines choses ont été cachées. Avant le scandale Law de Boston on déplaçait les personnes... Maintenant tout est clair et nous avançons sur ce sujet. C’est pourquoi nous ne devons pas nous surprendre si des cas comme celui-ci sont révélés. Le cas d’un autre évêque me vient à l’esprit. Il y en a vous savez? Et il n’est pas facile de dire «nous ne savions pas» ou «c’était la culture de l’époque et c’est toujours dans la culture sociale de nombreuses personnes de dissimuler». Je te dis ceci: l’Eglise est résolue sur ce point, et je veux remercier ici publiquement l’héroïsme du cardinal O’Malley: c’est un bon capucin, qui a compris le besoin d’institutionnaliser ce travail avec la commission pour la protection des mineurs; il le fait bien, et cela nous fait du bien à tous et nous donne du courage.

Nous travaillons avec tout ce que nous pouvons, mais sache qu’il y a des personnes au sein de l’Eglise qui n’y voient pas encore clair, qui ne partagent pas... «Attendons un peu, voyons». C’est un processus que nous menons avec courage et nous n’avons pas tous ce courage. Parfois il y a la tentation du compromis, et nous sommes aussi tous esclaves de nos péché. Mais la volonté de l’Eglise est de tout clarifier.

Par exemple, j’ai reçu ces derniers mois deux plaintes d’abus qui avaient été couverts et mal jugés par l’Eglise: j’ai immédiatement dit: il faut mener une nouvelle étude et maintenant un nouveau procès est en train d’être fait. Il y a aussi ceci: la révision de vieux procès, mal faits, qui n’ont pas été menés correctement.

Nous faisons ce que nous pouvons, nous sommes tous des pécheurs. Et la première chose que nous devons ressentir, est la honte, la honte profonde pour cela. Je crois que la honte est une grâce, tu sais? Nous pouvons lutter contre tous les maux du monde mais sans honte, nous ne pourrons pas. C’est pourquoi j’ai été étonné quand saint Ignace dans les Exercices spirituels, te fait demander le pardon pour tous les péchés que tu as commis, te fait aller jusqu’à la honte, et si tu n’as pas la grâce de la honte, tu ne peux pas continuer. Une des insultes que nous avons dans mon pays est «tu es éhonté» et je crois que l’Eglise ne peut pas être «éhontée», qu’elle doit avoir honte des mauvaises choses, tout en rendant grâce à Dieu pour les bonnes choses qu’elle a faites. Je dois te dire cela: toute la bonne volonté et continuer, grâce aussi à votre aide.

[Vania De Luca (Rai-Tg3)] Sainteté, les migrants: vous en avez également parlé ces derniers jours. Quatre navires au large des côtes siciliennes, avec des centaines de femmes, d’hommes, d’enfants, en difficulté, mais tous ne peuvent pas débarquer. Craignez-vous que soit de retour en Italie une politique des «ports fermés» menée par le centre droite? et comment jugez-vous la position de certains pays d’Europe du Nord à cet égard? Et puis je voulais aussi vous demander en général, quelle impression avez-vous du nouveau gouvernement italien, qui pour la première fois est dirigé par une femme?

C’est un défi, c’est un défi sur les migrants. Le principe pour les migrants: les migrants doivent être accueillis, accompagnés, promus et intégrés. Si ces quatre étapes ne peuvent être accomplies, le travail avec les migrants ne peut pas être bon. Accueillis, accompagnés, promus, et intégrés: arriver jusqu’à l’intégration. Et la deuxième chose que je dis: chaque gouvernement de l’Union européenne doit se mettre d’accord sur le nombre de migrants qu’il peut recevoir. Parce qu’au contraire, il y a quatre pays qui reçoivent les migrants: Chypre, la Grèce, l’Italie et l’Espagne, car ce sont les plus proches de la Méditerranée. A l’intérieur des terres il y en a, comme la Pologne, la Biélorussie... Mais la majorité des migrants vient par la mer: leur vie doit être sauvée! Aujourd’hui, tu le sais, la Méditerranée est un cimetière, peut-être le plus grand cimetière du monde. Je crois vous avoir dit la dernière fois, que j’ai lu un livre en espagnol qui s’appelle Hermanito, il est tout petit, ça se lit vite, je crois qu’il a certainement été traduit en français et aussi en italien. Il se lit rapidement, en deux heures. C’est l’histoire d’un garçon originaire d’Afrique, je ne sais pas, de Tanzanie ou d’ailleurs, qui, suivant les traces de son frère, arrive en Espagne. Il a subi cinq esclavages avant d’embarquer! Et de nombreuses personnes, raconte-t-il, sont amenées la nuit sur ces bateaux — non pas sur ces grands navires qui ont un autre rôle — et si elles ne veulent pas monter à bord: pan, pan! Et on les laisse sur la plage. C’est vraiment une dictature de l’esclavage ce que font ces gens [les trafiquants]. Et il y a le risque de mourir en mer. Si tu as le temps lis ce livre, c’est important.

La politique des migrants doit être convenue entre tous les pays, on ne peut pas mener une politique sans consensus, et l’Union européenne doit prendre en main une politique de collaboration et d’aide, elle ne peut pas laisser à Chypre, à la Grèce, à l’Italie et à l’Espagne, la responsabilité de tous les migrants qui arrivent sur les plages. La politique des gouvernements jusqu’à présent a été de sauver des vies, c’est vrai. Jusqu’à un certain point, c’est ce qui a été fait et je pense que ce gouvernement [italien] a la même politique, il n’est pas inhumain... les détails, je ne les connais pas, mais je ne pense pas qu’il veuille qu’ils s’en aillent. Je crois qu’il a déjà fait débarquer les enfants, les mères, les malades, je crois qu’il les a fait débarquer, — je crois, d’après ce que j’ai entendu. Au moins il en avait l’intention. L’Italie, nous pensons ici, ce gouvernement, ou nous pensons à un gouvernement de gauche, ne peut rien faire sans l’accord avec l’Europe, la responsabilité est européenne.

Et puis, je voudrais mentionner une chose, une autre responsabilité européenne: sur l’Afrique, je pense que cela a été dit par une des grandes femmes d’Etat que nous avons eues et que nous avons, Angela Merkel: elle a dit que le problème des migrants doit être résolu en Afrique, mais si nous pensons à l’Afrique avec la devise: «l’Afrique doit être exploitée», il est logique que les migrants, les gens fuient cette exploitation. Nous devons, l’Europe doit essayer de faire des projets de développement pour l’Afrique. Penser que certains pays d’Afrique ne sont pas maîtres de leur sous-sol, qui dépend encore des puissances colonialistes! C’est une hypocrisie de résoudre le problème des migrants en Europe, non, allons le résoudre aussi chez eux. L’exploitation des gens en Afrique est terrible à cause de cette conception. Le 1er novembre, le jour de la Toussaint, j’ai rencontré des étudiants universitaires d’Afrique, la même rencontre que celle que j’ai eue avec les étudiants de l’université Loyola aux Etats-Unis. Ces étudiants ont une capacité, une intelligence, un esprit critique, une volonté d’aller de l’avant! Mais parfois ils ne le peuvent pas à cause de la force colonialiste que l’Europe exerce sur leurs gouvernements. Si nous voulons résoudre définitivement le problème des migrants, résolvons l’Afrique. Les migrants qui viennent d’ailleurs sont moins nombreux: allons à l’Afrique, aidons l’Afrique, allons de l’avant.

Le nouveau gouvernement commence maintenant, et moi je lui souhaite le meilleur. Je souhaite toujours le meilleur à un gouvernement parce que le gouvernement est pour touts. Et je lui souhaite le meilleur pour qu’il puisse faire avancer l’Italie et aux autres, qui sont contre le parti vainqueur, qu’ils collaborent avec un esprit critique, en aidant, avec un gouvernement de collaboration, pas un gouvernement qui vous tournent le dos, ils vous font tomber si vous n’aimez pas une chose ou l’autre. S’il vous plaît, sur ce point, j’en appelle à la responsabilité. Dites-moi, est-ce juste que depuis le début du siècle jusqu’à maintenant l’Italie ait eu vingt gouvernements? Cela suffit, ces plaisanteries...

[Ludwig Ring-Eifel (Centrum informationis Catholicum)] Je veux avant tout dire moi aussi quelque chose de personnel, parce que je suis très ému. Après une pause de huit ans, je suis de retour sur le vol papal. Je suis très reconnaissant d’être à nouveau ici.

Bienvenue!

[Ludwig Ring-Eifel] Merci. Nous sommes peu nombreux dans le groupe allemand, seulement trois sur ce vol et nous avons pensé: comment faire un lien entre ce que nous avons vu au Bahreïn et la situation en Allemagne? Parce qu’au -Bahreïn, nous avons vu une petite Eglise, un petit troupeau, une Eglise pauvre, avec tant et tant de restrictions et autres, mais une Eglise vivante, pleine d’espérance, qui croît. En Allemagne, par contre, nous avons une grande Eglise, avec de grandes traditions, riche, avec de la théologie, de l’argent et tout, mais qui perd chaque année trois cent mille croyants qui partent, qui est en crise profonde. Y a-t-il quelque chose à apprendre de ce petit troupeau que nous avons vu au Bahreïn pour la grande Allemagne?

L’Allemagne a une histoire religieuse ancienne. En citant Hölderlin, je dirais: «Vieles haben sie verlernt, vieles» (Ils ont beaucoup oublié, beaucoup). Votre histoire religieuse est grande et compliquée, de luttes. Aux catholiques allemands, je dis: l’Allemagne a une grande et belle Eglise évangélique; je n’en voudrais pas une autre, qui ne serait pas aussi bonne que celle-là; mais je la veux Catholique, à la manière catholique, en fraternité avec celle évangélique. Parfois, nous perdons le sens religieux du peuple, du saint peuple fidèle de Dieu, et nous tombons dans des discussions éthicistes, dans des discussions de conjoncture, des discussions de politiques ecclésiastiques, des discussions qui sont des conséquences théologiques, mais qui ne sont pas le noyau de la théologie. Que pense le saint peuple fidèle de Dieu? Comment le saint peuple de Dieu se sent-il? Il faut aller dans ce sens et cherchez ce qu’il pense, ce qu’il ressent, cette religiosité simple, que vous trouvez chez les grands-parents. Je ne dis pas de revenir en arrière, non, mais de retourner à la source d’inspiration, aux racines. Nous avons tous une histoire des racines de la foi, même les peuples l’ont: il faut la retrouver! Il me vient à l’esprit cette phrase de Hölderlin pour notre époque: «Dass dir halte der Mann, was er als Knabe gelobt» (Que le vieil homme tienne ses promesses d’enfant). Dans notre enfance, dans notre espérance, nous avons promis beaucoup de choses, beaucoup de choses. Maintenant, nous entrons dans des discussions éthiques, des discussions conjoncturalistes... Mais la racine de la religion, c’est la «gifle» que vous donne l’Evangile, la rencontre avec Jésus Christ vivant: et de là, les conséquences, toutes les conséquences; de là, le courage apostolique, de là, aller aux périphéries, même aux périphéries morales des personnes, pour les aider; mais toujours à partir de la rencontre avec Jésus Christ. S’il n’y a pas de rencontre avec Jésus Christ, il y aura un éthicisme déguisé en christianisme. C’est ce que je voulais dire, du fond du cœur. Merci.

Je vous souhaite un bon déjeuner et un bon retour à Rome. Et je vous demande de prier pour moi. Je le ferai pour vous. Merci pour votre collaboration.