FEMMES EGLISE MONDE

Reportage
La prophétesse qui préannonça la destruction de Jérusalem

A la porte de Hulda

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01 octobre 2022

Les rythmes joyeux des cors et des tambours sont des sons familiers pour ceux qui ont l'habitude de parcourir les ruelles du quartier juif de la vieille ville de Jérusalem. Ce sont les  “hérauts” qui accompagnent les célébrations vers le  Kotel, le  Mur occidental  du Bar Mitzvah, le passage vers l'âge mûr pour les juifs;  12 ans pour les garçons, 13 ans pour les filles.

Les musiciens s'arrêtent à l'extérieure de la zone consacrée à la prière dans le lieu le plus sacré pour le judaïsme, au pied du mur des Lamentation, la seule partie qui reste du Deuxième Temple détruit par Titus en l'an 70 après Jésus Christ. 

A l'époque d'Hérode le Grand, auteur de l'agrandissement le plus important du Temple de Jérusalem, l'entrée principale se trouvait dans la partie sud du mur, à travers la porte de  Hulda. Pour la voir aujourd'hui de près il faut se rendre au parc archéologique, à côté du Kotel  et de la passerelle qui conduit à l'Esplanade des Mosquées, que les juifs appellent encore Mont du Temple.

Quand les fondations de la Mosquée d'Al Aqsa ont été construites, la porte de Hulda a été murée. Elle consistait en une entrée double et en une entrée triple, dont on voit encore bien les trois arcs et elle avait été construite par Hérode le Grand, au Ier siècle après Jésus Christ, mais elle avait été dédiée à la prophétesse qui, en 600 av. J.C.,  préannonça la destruction de Jérusalem au roi Josias.  

«Ce n'est pas une attribution certaine»  explique Amirit Rosen, rabbine à Jérusalem.   «Il existe au moins trois étymologie avec lesquelles on a interprété le nom de la porte. Selon certains, en hébreu Hulda signifierait  «taupe» et indiquerait les tunnels creusés, à l'époque d'Hérode, sous le Mont pour accéder à l'intérieur de l'aire du Temple.   Selon d'autres, les portes seraient dédiées à la prophétesse Hulda (ce nom signifiant «belette» ou «monde») sur le lieu où elle aurait enseigné et où elle aurait été enterrée. Dans l'hébraïsme, il y a sept femmes considérées comme des prophétesses, mais seulement deux sont définies ainsi dans la Bible:   Deborah et Hulda.  Hulda y apparaît deux fois, dans un petit nombre de versets: dans le deuxième livre des Rois (22,14-20)  et dans le deuxième des Chroniques (34, 22-28). Elle vit à l'époque du roi Josias,  le roi qui a combattu l'idolâtrie et réparé le Temple. Et c'est durant les travaux de réfection qu'est retrouvé un livre de la loi, probablement le Deutéronome. Quand le roi en écoute le contenu, il gémit et déchire ses vêtements en signe d'humiliation, car il se rend compte que tout ce qu'il a fait jusqu'à présent pour sauver son peuple n'est pas suffisant: il y a besoin d'un oracle qui interprète ce livre. Le choix se porte sur la prophétesse Hulda, qui annonce la colère de Dieu sur le peuple idolâtre, une colère qui aurait dû épargner le roi pieux». Le premier oracle se réalise, pas le deuxième.

«Divers auteurs faisant autorité se sont demandés pourquoi le roi a choisi Hulda et pas Jérémie,  son contemporain  — explique la rabbine  —.  Une raison pourrait être leur ascendance commune: ils étaient parents et pour cette raison cela n'aurait pas constitué un affront pour Jérémie, qui n'était peut-être même pas en ville à ce moment-là. Pour d'autres, en revanche, le roi Josias aurait choisi une femme de manière voulue pour avoir une prophétie, disons, plus douce. Mais il n'en fut pas ainsi».

La Bible ne nous donne pas beaucoup de détails sur Hulda, si ce n'est le fait qu'elle était mariée avec Challoum, responsable  de la garde-robe du Temple, et qu'elle habitait avec son mari dans le «deuxième quartier» de Jérusalem. Des fouilles archéologiques récentes en ont retrouvé plusieurs traces dans le quartier juif de la vieille ville.

«On a retrouvé une partie du mur extérieur du quartier qui, au huitième siècle avant Jésus Christ, fut agrandi pour accueillir la population en fuite des campagnes, en raison de la menace assyrienne» explique don Stefano Vuaran, bibliste du Frioul, qui a consacré une partie de son doctorat à la Jérusalem de l'époque de Hulda.  «Le règne de Josias représente la dernière phase heureuse du royaume de Judée, avant sa destruction définitive. A l'extérieur du royaume on  voit le déclin de la Syrie, la naissance du royaume de Babylonie et la tentative de restauration de l'Egypte: Josias cherche à faire face, mais il mourra à Meghiddo, à la suite d'un mauvais calcul politique. Du point de vue intérieur, le roi cherche à unir le royaume par une réforme religieuse. Il extirpe les cultes polythéistes, pour rétablir le culte de Yahvé dans un unique temple à Jérusalem.  Hulda habitait certainement à côté, car son mari Challoum était un lévite, “responsable de la garde-robe” du Temple. Hulda était une “prophétesse de cours”, elle ne faisait pas partie des prophètes issus du peuple, qui avaient une sensibilité particulièrement sociale».  On trouve quelques détails de plus sur la vie à Jérusalem du couple, certainement aisé et appartenant à l'establishment du temps, dans les textes des commentateurs juifs. Certains décrivent Hulda  comme une prophétesse qui enseignait la Torah aux personnes âgées, un fait très rare également à l'époque de Josias, un rôle acquis grâce aux œuvres de charité de son mari.

«Une tradition raconte que Challoum avait l'habitude de se tenir à l'entrée de la ville pour donner à boire aux personnes qui arrivaient, une charité quotidienne grâce à laquelle sa femme aurait obtenu de Dieu le don de la prophétie: c'est une belle image d'inversion des rôles à laquelle nous ne sommes pas habitués. Ce n'est pas l'homme qui étudie et qui enseigne et c'est lui, et non la femme, qui accomplit des œuvres de bien. Nous serions devant un couple qui travaille ensemble avec des rôles inversés, un modèle intéressant» réfléchit Amirit Rosen, qui appartient à un courant libéral de l'hébraïsme et qui guide une communauté avec son mari, rabbi David.  «Quelque chose change à Jérusalem, même si c'est tout doucement et avec beaucoup de difficultés. Notre communauté, qui s'appelle Kehilat Morshet Avraham, a accepté notre direction partagée. L'histoire de Hulda nous enseigne que l'on peut travailler ensemble et s'entraider réciproquement. Une antique promesse citée dans une œuvre  rabbinique affirme que la Porte de Choen (des prêtres) et la Porte de Hulda n'ont jamais été détruites et que Dieu les rénovera».

Le parcours sur les traces de Hulda à Jérusalem conduit à une dernière étape, sur le Mont des Oliviers. Au pied la chapelle de l'Ascension. Les chrétiens ne peuvent y célébrer la Messe qu'une fois par an, car depuis l'époque de Saladin elle appartient aux musulmans. Le complexe comprend la chapelle, une mosquée et une crypte renfermant une tombe. Il faut demander les clés et le permis au cheik du quartier pour accéder à ce lieu sacré aux trois religions, grâce à trois femmes Pour les chrétiens, c'est le lieu de sépulture de sainte Pélagie, pour les musulmans celui de  Rābiʿa alʿAdawiyya,  la mère du soufisme,  et pour les juifs celui de la prophétesse Hulda.  «La crypte a une structure qui remonte à l'époque des croisés — explique le père Stefano Vuaran  —, mais elle fut construite sur le lieu originel de la dévotion à sainte Pélagie, qui vécut à l'époque byzantine dans le monastère construit autour de l'église de l’Eleona, l'église du Pater noster».

La vénération pour sainte Pélagie était telle que les autres religions monothéistes de Jérusalem s'approprièrent elles aussi du récit de la tombe sacrée d'une femme. Quand elle devint propriété des musulmans, la mémoire de Pélagie a été remplacée par celle d'une mystique musulmane; la tradition juive est elle aussi tardive et elle y a vénéré Hulda jusqu'au XIXe siècle.

«Du point de vue historique, il est impossible que Hulda ait été enterrée sur le Mont des Oliviers car il était trop éloigné du Temple et la femme d'un lévite n'aurait jamais été transportée jusque là — explique le père  Stefano —. Les portes de Hulda étaient en revanche trop proches, la zone des tombes de l'époque monarchique se trouvant devant la ville de David. 

De fait, on ne sait pas grand-chose de la prophétesse Hulda.

Si l'on regarde ce personnage féminin avec les critères de la littérature occidentale, elle semble à peine plus qu'une figurante. Selon la tradition orientale, en revanche, elle joue un rôle important, car la valeur est dans la fonction. Hulda annonce la destruction de Jérusalem, qui aura lieu ponctuellement, 50 ans plus tard. Elle n'apparaît que dans quelques versets et ensuite elle disparaît. Comme la parole de Dieu, mais elle est le signe de sa puissance».

Alessandra Buzzetti
Correspondante à Jérusalem de Tv2000