Entretien avec le président de la conférence épiscopale italienne Matteo Maria Zuppi

L’Eglise dialogue avec les hommes de son temps

 L’Eglise dialogue avec les hommes de son temps  FRA-037
15 septembre 2022

«Le synode est une occasion extraordinaire pour l'Eglise de retrouver une forte passion, comme le Pape François, pour parler à tous… “Marcher ensemble” est une adhésion à l'appel, c'est-à-dire à la vocation missionnaire de l'Eglise… c’est mettre en pratique et décliner les intuitions que le Concile Vatican ii a proposées il y a soixante ans. Malgré les turbulences post-conciliaires d'une part et les fermetures préconçues de ces années d'autre part, aujourd'hui nous pouvons effectivement puiser dans les textes des pères du Concile le bon chemin à parcourir ensemble…»: le synode sur la synodalité était au cœur de l’entretien du directeur de L’Osservatore Romano, Andrea Monda et de Roberto Cetera avec le nouveau président de la conférence épiscopale italienne, le cardinal Matteo Maria Zuppi, archevêque de Bologne. Une analyse de l’itinéraire synodal aujourd’hui montre que la participation et les résultats de la phase d'écoute diocésaine n'ont pas répondu aux attentes. En effet, dans un synode appelé à débattre de la synodalité, c'est-à-dire du fait d'être Eglise, une attitude encore souvent délégataire semble prévaloir parmi les laïcs tout comme une certaine méfiance généralisée chez les prêtres. Pour le cardinal «cet effort même du chemin synodal est paradoxalement un signe de la nécessité et de l'urgence de la pratique synodale. Parce qu'on se met en route quand on en ressent l’exigence, celle du Christ qui n'attend pas, appelle et envoie. Ce rendez-vous a lieu à un moment particulier de la vie de l'Eglise et du monde, c'est-à-dire à la fin (espérons-le) d'une pandémie qui a bouleversé nos vies, changé nos habitudes, y compris religieuses, vidé les églises, affecté profondément notre sentiment religieux, notre être communautaire, et même notre façon de prier. N'oublions pas que dans nos intentions initiales, ce chemin prévoyait également des compagnons extérieurs à notre monde habituel; pas les 5 pour cent habituels mais les 95 pour cent qui nous regardent mais ne marchent pas avec nous, et la période récente que nous avons vécue ne nous a certainement pas aidés dans ce projet». «Nous devons commencer par nous poser deux questions», poursuivait le président de la cei : «Pourquoi marcher et pourquoi marcher avec d'autres compagnons de voyage. Cela requiert une grande passion. L'image biblique de référence est Matthieu 9, 35: “Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leurs synagogues et prêchant l'Evangile du Royaume, [...] et voyant les foules, il en eut pitié, parce qu'elles étaient fatiguées et épuisées comme des brebis qui n'ont pas de berger”, et il envoie les siens deux par deux; et Dieu sait combien le monde est fatigué et épuisé. Aujourd'hui encore, Dieu nous appelle et nous envoie. Il ne juge pas, il ne réprimande pas: il nous envoie! Et si nous attendons, cette souffrance ne rencontrera pas la joie et la lumière de l'Evangile! Parce que “marcher ensemble” n'est pas une discussion commune, mais une adhésion à l'appel, c'est-à-dire à la vocation missionnaire de l'Eglise. La mission, cependant, n'est pas un événement démonstratif pour se contenter ensuite de se retirer dans les tranchées comme toujours. Elle est constitutive du fait d'être des disciples de Jésus. Comprendre les questions qui nous viennent sans cesse du monde nous aide à vivre la compassion de Jésus, qui est participation intérieure, partage. La pandémie (et avec elle la pandémie de guerre) nous a investis de tant de souffrances: la découverte de la vulnérabilité et de la finitude de l'homme, les interrogations sur l'Au-delà nous ont valu ce qu'on appelle la “dépression eschatologique”, l'incapacité du monde à penser et à parler de l'avenir. Nous devons certes marcher ensemble, mais en portant le regard de Jésus sur la fatigue et la fragilité. Savoir regarder et interpréter les douleurs de la création, qui ne sont pas seulement la pandémie, mais aussi la guerre, la ruine de l'environnement, la dégradation des relations interpersonnelles et sociales. Non pas pour se plaindre, mais pour saisir ce qui est pourtant générateur dans les souffrances d'aujourd'hui».

Dans de nombreux pays les prêtres ont souvent interprété la synodalité comme une cession de leurs prérogatives, ce qui pourrait laisser penser que la crise de l'Eglise, plutôt que d'être attribuable à la «sécularisation croissante», a une origine endémique. Le cardinal rappelle alors que «nous ne devons pas continuer à brandir la sécularisation comme la cause de tous nos maux. Ce n'est pas d’aujourd’hui que nous vivons dans un environnement sécularisé; la question est plutôt de savoir comment accueillir les questions que nous pose l'homme sécularisé, l'homme “psychologisé”, l'homme qui a subi des changements anthropologiques profonds et rapides. Beaucoup d'entre nous continuent à cultiver une certaine nostalgie du “christianisme”, notamment parce que nous avons grandi et été formés — religieusement et civilement — à l'idée du christianisme. Ainsi, nous courons toujours le risque de revenir à une logique de contrôle, de chiffres, de présences, de rapports de force. Benoît xvi a parlé de manière prophétique d'une “minorité créative” et le Pape François développe cette idée en parlant à tout le monde, en nous faisant prendre conscience que tout le monde nous appartient. Certes, une partie de l'Eglise a du mal à suivre cette perspective, car une conscience de soi idéologisée et exclusive résiste. Il suffit de penser à la conscience de soi d'une communauté paroissiale, qui apparaît souvent confuse, fragilisée, voire — pour utiliser un terme quelque peu galvaudé aujourd'hui — autoréférentielle. C'est pourquoi je pense que le synode est une occasion extraordinaire pour l'Eglise de retrouver une forte passion, comme le Pape François, pour parler à tous. En réalité, il ne s'agit pas d'innover radicalement le style ecclésial, mais simplement de mettre en pratique et de décliner les intuitions que le Concile Vatican ii a proposées il y a soixante ans. Malgré les turbulences post-conciliaires d'une part et les fermetures préconçues de ces années d'autre part, aujourd'hui, nous pouvons effectivement puiser dans les textes des pères du Concile le bon chemin à parcourir ensemble».