Pourquoi le Pape se rend au Canada

Œuvrer en vue de la réconciliation

26 juillet 2022

Nous publions la suite et la fin de l’article intitulé «Pourquoi le Pape se rend-il au Canada», dont on trouvera la première partie dans notre édition du 19 juillet en page 1.

Le Canada naît en 1867 comme Dominion fédéral de l’empire anglais. En 1876 est promulgué l’Indian Act, document de référence du gouvernement pour la gestion des «Affaires indiennes» dans le contexte du nouveau pays. Une politique caractérisée par la conviction de l’infériorité des ethnies et des cultures autochtones et de leur extinction inévitable, et donc par la pression pour l’assimilation dans la société de type européen.

Les troupeaux de buffles avait été exterminés au dix-neuvième siècle et les peuples chasseurs «des prairies» devaient se transformer en agriculteurs. Aux autochtones furent assignés les territoires des «réserves» où ils devaient restés confinés. Une autre colonne portante de cette politique fut le système des «pensionnats», où les enfants et les jeunes étaient éduqués dans un régime de séparation des familles et des communautés, avec des méthodes de discipline rigide, d’imposition de la langue anglaise, d’apprentissage d’activités et de métiers adaptés à l’assimilation et de pratiques religieuses chrétiennes.

D’où l’approfondissement consacré par l’article au «système des pensionnats», voulus et financés par le gouvernement, mais qui étaient confiés à des institutions des Eglises chrétiennes qui s’occupaient traditionnellement d’activités éducatives. Et ainsi, pendant plus d’un siècle, 139 structures de ce genre ont existé (réparties dans tout le pays, bien que principalement dans les territoires occidentaux et pour la plupart dans les Etats anglophones), et on estime qu’elles ont accueilli au total 150.000 mineurs, filles et garçons: la première fut ouverte en 1831 (quand l’Etat du Canada n’était pas encore né), la dernière fut fermée en 1996. En 1920, il en existait environ 80. En 1931 elles avaient triplé par rapport à cinquante ans auparavant. Un peu plus de la moitié dépendaient de l’Eglise catholique.

Des témoignages critiques fiables sur les conditions de vie n’avaient pas manqué depuis les premières décennies du vingtième siècle, surtout en ce qui concernait les graves carences sanitaires, la mauvaise alimentation, la sévérité des méthodes. La mortalité était élevée, la tuberculose et autres maladies provoquaient de nombreuses victimes. Cela était dû au manque de ressources employées. Le Département du gouvernement pour les «Affaires indiennes», dont elles dépendaient, rejetait la responsabilité de cette situation sur le gouvernement et faisait pression pour que les écoles deviennent autosuffisantes grâce au travail de leurs élèves, qui devaient être préparés à divers métiers (agriculture, artisanat, couture et économie domestique pour les filles, etc.). Et même le fait de ne pas renvoyer à leurs communautés d’origine les corps des élèves morts, mais de les enterrer sur place, servait à réduire les dépenses.

Ce n’est qu’avec l’auto-détermination croissante des peuples autochtones que les choses commencèrent progressivement à changer. Le système commença à être dénoncé par des témoignages individuels, souvent dramatiques, d’anciens élèves et de leurs conjoints sur les souffrances et sur les abus de tout genre subis (moraux, mais également physiques et sexuels). Du reste, les conditions des peuples autochtones — faisant face à de graves difficultés et ayant des problèmes de marginalisation sociale (alcoolisme, pauvreté, situation sanitaire, niveau culturel, criminalité, etc) — se révélaient, et se révèlent encore, beaucoup plus graves que dans le reste de la population.

Il y eut des confrontations parfois violentes — poursuit le père Lombardi — et il devint nécessaire d’affronter ces questions au niveau national. En 1991 fut constituée une «Commission royale sur les peuples autochtones», qui publia son rapport en 1996. Par la suite, des groupes d’autochtones intentèrent des «causes collectives» contre l’Etat et les institutions des Eglises chrétiennes. On arriva ainsi en 2005 à la «Convention de règlement relative aux pensionnats indiens» qui prévoyaient des mesures importantes d’indemnisation et l’institution, en 2008, de la «Commission de vérité et réconciliation du Canada». Celle-ci a terminé son rapport en 2015, en formulant pas moins de 94 recommandations et requêtes sur une vaste gamme de problèmes liés à tous les aspects principaux de la condition des peuples autochtones. Le travail pour leur mise en œuvre se poursuit à travers le «Centre national pour la vérité et la réconciliation», institué auprès de l’université de Manitoba.

L’un des arguments les plus douloureux est la recherche liée aux mineurs qui sont morts dans les écoles résidentielles et dont on n’a pas retrouvé l’inscription ou dont les tombes n’ont pas été identifiées. Notamment parce qu’un grand nombre de ces sites ont été abandonnés suite à la fermeture ou à la destruction de l’école. Jusqu’à présent, on a réussi à retrouver les sépultures de plus de 3.000 mineurs.

La partie finale de l’article est consacrée à la participation de l’Eglise et à la demande d’un voyage du Pape. Du reste, les Eglises chrétiennes, et surtout l’Eglise catholique, sont devenues la cible fréquente de critiques très dures. C’est pourquoi, dès les premières années 90, des déclarations importantes sur la question ont été faites, avec la reconnaissance explicite des erreurs et des fautes et l’engagement de solidarité à l’égard des peuples autochtones dans leur recherche de dignité et de justice: comme la déclaration de conclusion de la Rencontre nationale qui s’est déroulée à Saskatoon en mars 1991 et le document du 24 juillet de la même année, An Apology to the First Nations of Canada by the Oblate Conference of Canada. Les oblats de Marie Immaculée, la congrégation religieuse la plus impliquée, présentent aux autochtones une demande de pardon, dont l’affirmation la plus forte est la suivante: «Nous demandons pardon pour l’existence de ces écoles elles‐-mêmes, en reconnaissant que l’abus le plus flagrant n’était pas ce qui est arrivé au sein de ces écoles, mais le fait lui‐-même que ces écoles aient été mises en place…».

En 1993, la commission justice et paix de la conférence épiscopale adressait à la Commission royale une longue lettre intitulée La justice comme un fleuve puissant.

Aujourd’hui, le processus de débat, de réflexion et de dialogue se poursuit, et s’accentue en raison de l’apparition de questions judiciaires. A ce propos, dans la «Convention de règlement relative aux pensionnats indiens» citée plus haut, datant de 2005, les parties catholiques ont pris trois engagements importants: le versement de 29 millions de dollars canadiens; la réalisation d’initiatives concrètes et de services «pour la guérison et la réconciliation», d’une valeur de 25 millions de dollars; et une campagne de fundraising visant à recueillir 25 millions supplémentaires.

En 2015, le gouvernement canadien a reconnu que les deux premiers engagements avaient été honorés, et que les efforts accomplis en vue du troisième avaient été adéquats. Mais par la suite, la conférence épiscopale a garanti une contribution de 30 millions de dollars et a désiré répondre aux requêtes avancées par la Commission de vérité et de réconciliation dans le rapport de 2015. Certaines d’entre elles concernent la formation du clergé, des religieux et des laïcs en référence à la culture et à la spiritualité autochtones; la collaboration pour retrouver et honorer la mémoire des mineurs enterrés sans identification; le financement de projets pour la culture, les langues et l’éducation des autochtones. Mais la première des requêtes de la Commission appelle directement le Pape à «présenter des excuses aux survivants (an Apology to Survivors), à leurs familles ainsi qu’aux collectivités concernées pour les mauvais traitements sur les plans spirituel, culturel, émotionnel, physique et sexuel que les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont subis dans les pensionnats».

Pour leur part, les évêques du Canada ont publié le 24 septembre dernier une puissante demande de pardon, en concluant qu’ils s’engageaient à travailler avec le Saint-Siège et avec les partenaires autochtones en vue d’une visite pastorale du Pape au Canada. (federico lombardi)

Federico Lombardi