Dans son message aux jeunes de la European Youth Conference le Souverain Pontife rappelle la figure du bienheureux Franz Jägerstatter

Transformez le «vieux continent» en «nouveau continent»

 Transformez le «vieux continent»  en «nouveau continent»  FRA-029
19 juillet 2022

«Si le monde était dirigé par des jeunes, il n’y aurait pas autant de guerres: ceux qui ont toute la vie devant eux ne veulent pas la briser et la jeter». C’est la pensée toujours tournée vers le conflit en Ukraine que le Pape propose aux jeunes européens la figure du bienheureux Franz Jägerstätter, qui a fait objection à l’injonction de prêter allégeance à -Hitler. Son exemple inspire le message envoyé par le Pape aux participants à la eu Youth Conference qui a eu lieu à Prague du 11 au 13 juillet. Nous publions ci-dessous le texte diffusé à l’ouverture des travaux.

Chers jeunes!

Je suis très heureux de m’adresser à vous qui participez à la Conférence européenne de la jeunesse. Je voudrais vous dire quelque chose qui me tient à cœur. Tout d’abord, je voudrais vous inviter à transformer le «vieux continent» en un «nouveau continent», et cela n’est possible qu’avec vous. Je sais que votre génération a de bonnes cartes à jouer: vous êtes des jeunes attentifs, moins idéologisés, habitués à étudier dans d’autres pays européens, ouverts aux expériences de volontariat, sensibles aux questions environnementales. C’est pourquoi je pense qu’il y a de l’espoir.

Vous, jeunes Européens, avez une mission importante. Si, par le passé, vos ancêtres sont allés sur d’autres continents, pas toujours pour de nobles intérêts, c’est maintenant à vous de présenter au monde un nouveau visage de l’Europe.

En ce qui concerne l’origine du nom «Europe», il n’y a pas encore d’explications certaines. Parmi les différentes hypothèses, l’une d’entre elles est particulièrement suggestive: elle remonte à l’expression «eurús op», c’est-à-dire «grand œil», «regard large», évoquant la capacité de regarder au-delà. Europe, une figure mythologique qui rendait les dieux amoureux d’elle, était appelée «la jeune fille aux grands yeux». Je pense donc aussi à vous, jeunes Européens, comme à des personnes au regard large et ouvert, capables de regarder au-delà.

Peut-être avez-vous entendu parler de l’initiative, lancée en septembre 2019, appelée Pacte éducatif global. Il s’agit d’une alliance entre des éducateurs du monde entier pour éduquer les jeunes générations à la fraternité. Cependant, étant donné que ce monde est dirigé par des adultes et des personnes âgées, il semble que ce soit vous qui devriez peut-être éduquer les adultes à la fraternité et à la co-existence pacifique!

L’un des premiers engagements du Pacte éducatif est d’écouter les enfants, les adolescents et les jeunes. C’est pourquoi, chers jeunes, faites entendre votre voix! S’ils ne vous écoutent pas, criez encore plus fort, faites du bruit, vous avez le droit d’avoir votre mot à dire sur ce qui concerne votre avenir. Je vous encourage à être entreprenants, créatifs et critiques: vous savez que lorsqu’un enseignant a dans sa classe des élèves exigeants, critiques et attentifs, il est stimulé pour travailler davantage et préparer de meilleures leçons.

Dans cette alliance, il n’y a pas d’«émetteurs» et de «destinataires», mais nous sommes tous appelés à nous éduquer en communion, comme l’a suggéré le pédagogue brésilien Paulo Freire. N’ayez donc pas peur d’être exigeants: vous avez le droit de recevoir le meilleur de vous-mêmes tout comme vos éducateurs ont le devoir de donner le meilleur d’eux-mêmes.

Parmi les différentes propositions du Pacte éducatif global, je voudrais en rappeler deux que j’ai également vues lors de votre conférence.

Le premier: «S’ouvrir à l’accueil», et donc la valeur de l’inclusion: ne pas se laisser entraîner par des idéologies à courte vue qui veulent montrer l’autre, le différent comme un ennemi. L’autre est un atout. L’expérience de millions d’étudiants européens qui ont participé au projet Erasmus témoigne du fait que les rencontres entre personnes de peuples différents contribuent à ouvrir les yeux, les esprits et les cœurs. Il est bon d’avoir de «grands yeux» pour s’ouvrir aux autres. Aucune discrimination à l’égard de quiconque, pour quelque raison que ce soit. Etre solidaire de tous, pas seulement de ceux qui me ressemblent, ou qui affichent une image de réussite, mais de ceux qui souffrent, quelle que soit leur nationalité ou leur statut social. N’oublions pas que des millions d’Européens ont dû, par le passé, émigrer vers d’autres continents à la recherche d’un avenir. Je suis moi aussi le fils d’Italiens qui ont émigré en Argentine.

L’objectif principal du pacte éducatif est d’éduquer chacun à une vie plus fraternelle, basée non pas sur la compétitivité mais sur la solidarité. Votre plus grande aspiration, chers jeunes, n’est pas d’entrer dans des environnements éducatifs d’élite, où seuls ceux qui ont beaucoup d’argent peuvent entrer. Ces institutions ont souvent intérêt à maintenir le status quo, à former des gens pour que le système fonctionne tel qu’il est. Il convient plutôt d’apprécier les réalités qui allient la qualité de l’enseignement au service des autres, sachant que le but de l’éducation est la croissance de la personne orientée vers le bien commun. Ce sont ces expériences de solidarité qui changeront le monde, et non les expériences «exclusives» (et excluantes) des écoles d’élite. L’excellence oui, mais pour tous, pas seulement pour certains.

Je vous suggère de lire l’encyclique Fratelli tutti (3 octobre 2020) et le Document sur la fraternité humaine (4 février 2019) signé avec le grand iman d’Al-Azhar. Je sais que de nombreuses universités et écoles musulmanes étudient ces textes avec intérêt, et j’espère donc qu’ils vous enthousiasmeront également. L’éducation ne vise donc pas seulement à «se connaître soi-même» mais aussi à connaître l’autre.

L’autre proposition que je voudrais mentionner concerne le soin de la maison commune.

Là aussi, j’ai été heureux de constater que si les générations précédentes parlaient beaucoup et concluaient peu, vous, en revanche, étiez capables d’initiatives concrètes. C’est pourquoi je dis que cette fois-ci est peut-être la bonne. Si vous ne parvenez pas à inverser cette tendance autodestructrice, il sera difficile pour les autres de le faire à l’avenir. Ne vous laissez pas séduire par les sirènes qui proposent une vie de luxe réservée à une petite partie du monde: ayez de «grands yeux» pour voir tout le reste de l’humanité, qui ne se réduit pas à la petite Europe; aspirez à une vie digne et sobre, sans luxe ni gaspillage, pour que tous puissent habiter le monde dignement. Il est urgent de réduire la consommation non seulement de combustibles fossiles mais aussi de nombreuses choses superflues; de même, dans certaines régions du monde, il convient de con-sommer moins de viande: cela aussi peut contribuer à sauver l’environnement.

A cet égard, il vous sera utile — si vous ne l’avez pas déjà fait — de lire l’encyclique Laudato si’, où croyants et non-croyants trouvent de solides motivations pour s’engager dans une écologie intégrale. Eduquer, donc, pour connaître non seulement soi-même et les autres, mais aussi la création.

Chers jeunes, pendant que vous tenez votre conférence, une guerre absurde se déroule en Ukraine — qui n’est pas dans l’ue, mais qui est dans l’Europe. Ajouté aux nombreux conflits qui se déroulent dans différentes régions du monde, celui-ci rend d’autant plus urgent un pacte éducatif qui éduque chacun à la fraternité.

L’idée d’une Europe unie est née d’une forte aspiration à la paix après tant de guerres menées sur le continent, et a conduit à une période de paix de soixante-dix ans. Maintenant, nous devons tous nous engager à mettre fin à ces ravages de la guerre, où, comme d’habitude, quelques personnes puissantes décident et envoient des milliers de jeunes gens se battre et mourir. Dans des cas comme celui-ci, il est légitime de se rebeller!

Quelqu’un a dit que, si le monde était dirigé par des femmes, il n’y aurait pas tant de guerres, car celles qui ont la mission de donner la vie ne peuvent pas faire de choix de mort. De même, j’aime à penser que si le monde était dirigé par des jeunes, il n’y aurait pas autant de guerres: ceux qui ont toute la vie devant eux ne veulent pas la briser et la jeter, mais la vivre pleinement.

Je vous invite à faire connaissance avec la figure extraordinaire d’un jeune objecteur de conscience, d’un jeune Européen aux «grands yeux», qui a combattu le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale, Franz Jägerstätter, proclamé bienheureux par le Pape Benoît xvi. Franz était un jeune paysan autrichien qui, en raison de sa foi catholique, a fait en conscience objection à l’injonction de prêter allégeance à Hitler et de partir à la guerre. Franz était un garçon joyeux, sympathique et insouciant qui, en grandissant, grâce aussi à sa femme Francesca, avec qui il a eu trois enfants, a changé de vie et développé des convictions profondes. Lorsqu’il a été appelé aux armes, il a refusé, car il estimait qu’il était injuste de tuer des vies innocentes. Sa décision a déclenché de dures réactions à son égard de la part de sa communauté, du maire et même des membres de sa famille. Un prêtre a essayé de le dissuader pour le bien de sa famille. Tout le monde était contre lui, sauf sa femme Francesca qui, même si elle connaissait les énormes dangers, a toujours été aux côtés de son mari et l’a soutenu jusqu’au bout. Malgré les flatteries et les tortures, Franz préférait être tué que de tuer. Il considérait que la guerre était totalement injustifiée. Si tous les jeunes hommes appelés aux armes avaient fait comme lui, Hitler n’aurait pas été en mesure de réaliser ses plans diaboliques. Le mal a besoin de complices pour gagner.

Franz Jägerstätter a été tué dans la prison où était également emprisonné son homologue Dietrich Bonhoeffer, un jeune théologien luthérien allemand et antinazi, qui a connu la même fin tragique.

Ces deux jeunes hommes «aux grands yeux» ont été tués parce qu’ils sont restés fidèles aux idéaux de leur foi jusqu’au bout. Et voici la quatrième dimension de l’éducation: après la connaissance de soi, des autres et de la création, il y a enfin la connaissance du début et de la fin de tout. Chers jeunes Européens, je vous invite à regarder au-delà, vers le haut, à toujours chercher le sens de votre vie, votre origine, votre fin, la Vérité, car vous ne pouvez pas vivre si vous ne cherchez pas la Vérité. Marchez les pieds fermement plantés sur la terre, mais avec un regard large, ouvert sur l’horizon, sur le ciel. La lecture de l’Exhortation apostolique Christus vivit, adressée en particulier aux jeunes, vous y aidera. Et puis je vous invite tous à la Journée mondiale de la jeunesse de l’année prochaine à Lisbonne, où vous pourrez partager vos plus beaux rêves avec des jeunes du monde entier.

Et je voudrais conclure par un souhait: que vous soyez des jeunes génératifs, capables de générer de nouvelles idées, de nouvelles visions du monde, de l’économie, de la politique, de la cohabitation sociale; mais pas seulement de nouvelles idées, surtout de nouveaux chemins, à parcourir ensemble. Et puissiez-vous aussi être généreux en générant de nouvelles vies, toujours et seulement par amour! Amour à votre mari et à votre femme, amour à votre famille, amour à vos enfants, et aussi amour à l’Europe, afin qu’elle soit pour tous une terre de paix, de liberté et de dignité.

Bonne réunion et bon voyage! Je vous adresse cordialement mes salutations et ma bénédiction. Et je vous demande de prier pour moi.

Rome, de Saint-Jean-de-Latran,
le 6 juillet 2022

François