Le classique des classiques

 Le classique des classiques  FRA-028
12 juillet 2022

Dimanche 3 juillet, l'Eglise catholique a rappelé la figure de l'apôtre Thomas, le saint incroyant qui représente peut-être mieux que tout autre saint l'homme de tous les temps et surtout de cette époque confuse qu'il nous est donné de vivre. A Thomas, appelé Thomas le didyme c'est-à-dire jumeau, peut-être précisément parce qu'il est le jumeau de chacun de nous, Jésus offre un «service à domicile», revenant spécialement pour lui parce que c'est ce que fait Jésus, qui demande souvent à ses interlocuteurs dans l'Evangile «Que voulez-vous que je fasse pour vous?»: un serviteur, un serveur, aimable et généreux. Mais là, ce soir-là au Cénacle, huit jours plus tard, la générosité divine s'est surpassée avec ce geste de montrer ses plaies, de se laisser toucher. Le tableau immortel du Caravage (ndlr: Saint-Louis-des-Français à Rome) souligne que c'est le même Jésus qui nous prend par la main (à travers la main de Thomas) et nous fait pénétrer dans le mystère. Le Ressuscité est le Crucifié lui-même et se montre à nous pour nous donner l'Evangile, la bonne nouvelle: la mort est morte.

Il me vient à l’esprit une réflexion d'Alessandro D'Avenia, qui part de la signification de l'adjectif «classique», qui est utilisé pour les œuvres d'art et la littérature en particulier. Selon D'Avenia, dans le langage militaire des antiques romains, ce mot était utilisé pour désigner le soldat vétéran qui avait survécu à de nombreuses batailles et qui, fort de son expérience, encourageait les jeunes soldats en montrant ses propres blessures, comme pour dire: la guerre est laide et fait mal, mais on peut la gagner. C'est l'image même de la littérature, de l'art narratif: je suis revenu sain et sauf de l'aventure, j'ai vu la mort en face mais j'ai survécu et maintenant je peux raconter l'histoire. La littérature parle des survivants et chaque histoire est une histoire de salut.

De ce point de vue, Jésus est le «classique des classiques», lui qui, de manière unique, est revenu de la mort pour nous dire qu'elle a perdu son aiguillon et n'a plus le dernier mot.

Et l'Eglise, «experte en humanité» selon l'expression de saint Paul vi , fait la même chose: elle encourage les hommes non pas en cachant mais en montrant leurs blessures, elle les encourage dans leur défi quotidien face au mystère de la mortalité, à la souffrance et à l'angoisse qui découlent du fait d'être mortel. Le chef visible de l'Eglise, le Pape, le 17 avril dernier, lors de son message délivré Urbi et Orbi à l'occasion du dimanche de Pâques, s'est attardé sur le don que Jésus fait à ses amis lorsque, tout juste ressuscité, il apparaît en chair et en os devant leurs yeux encore incrédules: la paix. Et il souligne précisément cet aspect des plaies montrées et presque offertes comme un don, comme un gage, ce jour-là pour l'éternité: «Lui seul a le droit aujourd'hui de nous annoncer la paix», a dit le Pape François, «Seul Jésus, parce qu'il porte les plaies, nos plaies. Ses blessures sont doublement nôtres: nôtres parce qu'elles lui ont été causées par nous, par nos péchés, par notre dureté de cœur, par la haine fratricide; et nôtres parce qu'il les porte pour nous, il ne les a pas effacées de son corps glorieux, il a voulu les garder, les porter en lui pour toujours. Elles sont un sceau indélébile de son amour pour nous, une intercession éternelle pour que notre Père céleste les voie et ait pitié de nous et du monde entier. Les plaies du Corps de Jésus ressuscité sont le signe de la lutte qu'il a menée et gagnée pour nous, avec les armes de l'amour, afin que nous puissions avoir la paix, être en paix, vivre en paix. En regardant ces plaies glorieuses, nos yeux incrédules s'ouvrent, nos cœurs endurcis s'ouvrent et laissent entrer la proclamation pascale: «La paix soit avec vous!».

Dès le début de son pontificat, le Pape François a insisté sur ce thème de la «chair du Christ», et a demandé, supplié, que nous trouvions la force de sortir de nous-mêmes pour aller vers nos frères et sœurs, les derniers, les pauvres, qui sont, aujourd'hui et toujours, la chair du Christ. Aujourd'hui, alors que le monde entier, y compris l'Europe, est lacéré par la blessure de la guerre, partir précisément des blessures, montrées et touchées, qui deviennent ainsi une source de guérison pour les autres, est le seul chemin, même paradoxal, possible, vraiment humain. C'est le chemin emprunté par le jeune «soldat» Thomas, notre jumeau, encouragé par le «classique» soldat vétéran Jésus, le Vainqueur.

«Face aux signes persistants de la guerre, a conclu le Pape dans son message de Pâques, comme face aux nombreuses défaites douloureuses de la vie, le Christ, vainqueur du péché, de la peur et de la mort, nous exhorte à ne pas céder au mal et à la violence. Laissons-nous envahir par la paix du Christ! La paix est possible, la paix est nécessaire, la paix est la responsabilité première de tous!». (andrea monda)

Andrea Monda