Dans son entretien avec l’agence Reuters le Souverain Pontife se livre et aborde les nombreux défis de l’Eglise et de la société d’aujourd’hui

Entretien avec l’agence Reuters

 Entretien avec l’agence Reuters  FRA-028
12 juillet 2022

Le Pape François dément avoir l'intention de démissionner («Cela ne m'a jamais traversé l'esprit. Pas pour le moment»), et dément les rumeurs selon lesquelles il serait atteint d'un cancer. Au lieu de cela, il réitère son désir de se rendre en Russie et en Ukraine dès que possible, peut-être en septembre. Il déclare également respecter l'arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis sur l'interruption de grossesse et réitère sa ferme condamnation de l'avortement. L'Evêque de Rome a accordé une longue interview au correspondant de Reuters, Phil Pullella, samedi 2 juillet. La rencontre a duré environ quatre-vingt-dix minutes et nous publions un compte-rendu publié par l'agence de presse.

Visite à L’Aquila

Comme on le sait, selon divers articles et commentaires dans les médias, certains événements récents ou prévus (du consistoire de la fin août à la visite à L'Aquila où est enterré Célestin v qui a démissionné en 1294), suggéreraient l'intention du Pape de renoncer à la papauté. Mais François a démenti cette interprétation: «Toutes ces coïncidences ont fait croire à certains que la même “liturgie” aurait lieu. Mais ça ne m'a jamais traversé l'esprit. Pas pour le moment, pas pour le moment. Vraiment!» Le Pape a dans le même temps, comme il l'avait fait plusieurs fois par le passé, expliqué que la possibilité de démissionner est envisagée, notamment après le choix fait par Benoît xvi en 2013, si sa santé devait rendre impossible la poursuite de son ministère. «Quand je verrai que je ne peux pas aller de l’avant, je le ferai». François a évoqué le geste de Benoît xvi , soulignant que «c'était une bonne chose pour l'Eglise et pour les Papes» et qu'il reste un «grand exemple». Mais à la question de savoir quand cela pourrait se produire, il a répondu: «Nous ne savons pas. Dieu le dira», dans des termes similaires à ceux utilisés le vendredi 1er juillet dans une interview à l'agence de presse argentine Télam.

Parlant de ses problèmes de genou, François a évoqué le report de son voyage en Afrique et le besoin de thérapie et de repos. Il a déclaré que la décision de report lui a causé -«beaucoup de souffrance», notamment parce qu'il voulait promouvoir la paix en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. Le médecin, ajoute le Pape, m'a dit de ne pas le faire parce que je n'en étais pas capable. J’effectuerai celui du Canada parce que le médecin m'a dit qu'avec 20 jours de plus, je peux récupérer». Le Pape, a dit l'enterwiever, a utilisé une canne pour entrer dans la salle de réception du rez-de-chaussée de la Maison Sainte-Marthe. Il a ensuite donné des détails sur l'état de son genou, affirmant qu'il a subi «une petite fracture» lors d’un faux pas alors qu'un ligament était enflammé. «Je vais bien, je m'améliore lentement», a-t-il ajouté, expliquant que la fracture se résorbe, aidée par la thérapie au laser et à l'aimant. «Maintenant», a ajouté le Pape, «je dois commencer à bouger pour ne pas perdre les forces musculaires. Cela va de mieux en mieux, c'est de mieux en mieux».

François a ensuite démenti les rumeurs selon lesquelles un cancer lui avait été diagnostiqué il y a un an, lorsqu'il a subi une opération de six heures pour retirer une partie du côlon en raison d'une diverticulite, une affection courante chez les personnes âgées. «L'opération a été un grand succès», a déclaré le Pape, ajoutant, sourire aux lèvres, qu'«on ne m'a rien dit» au sujet d’un prétendu cancer, qu'il a qualifié de «ragots de cour». Il a ensuite déclaré à Reuters qu'il ne voulait pas se faire opérer du genou parce que l'anesthésie générale de l'opération de l'année dernière avait eu des effets secondaires négatifs.

La volonté de se rendre à Moscou et à Kiev

L’entretien a ensuite abordé les questions internationales. Parlant de la situation en Ukraine, François a noté qu'il y avait eu des contacts entre le secrétaire d'Etat, Pietro Parolin, et le ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, à propos d’un éventuel voyage à Moscou. Les premiers signaux n'étaient pas bons. Il a été question de la possibilité de ce voyage pour la première fois il y a plusieurs mois, a déclaré le Pape, expliquant que Moscou avait répondu que ce n'était pas le bon moment. Il a cependant laissé entendre que quelque chose pourrait avoir changé maintenant. «Je voudrais aller en Ukraine, et je voulais d'abord aller à Moscou. Nous avons échangé des messages à ce sujet, car je pensais que si le président russe m'accordait une petite fenêtre pour servir la cause de la paix... Et maintenant il est possible, après mon retour du Canada, que je puisse aller en Ukraine. La première chose à faire est d'aller en Russie pour essayer d'aider d'une manière ou d'une autre, mais je voudrais aller dans les deux capitales». Se référant à Moscou, François a parlé d'un «dialogue très ouvert, très cordial», «la porte est ouverte».

Enfin, dans l’entretien accordée à Phil Pullella, le Pape a abordé le sujet de la décision de la Cour suprême des Etats-Unis qui a annulé l'arrêt historique Roe v. Wade, qui a établi le droit des femmes à l'avortement. Mais il a aussi fermement condamné l'avortement, le comparant — comme il l'avait déjà fait à maintes reprises — à «l'embauche d'un tueur à gages». «C'est une vie humaine, c'est de la science», a-t-il dit. «Je pose la question: est-il légitime, est-il juste, d'éliminer une vie humaine pour résoudre un problème?».

Le Pape a également été invité à commenter le débat en cours aux Etats-Unis sur la question de savoir si un homme politique catholique, qui est personnellement opposé à l'avortement mais soutient le droit des autres à choisir, peut recevoir la communion. La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, par exemple, s'est vu interdire de recevoir l'Eucharistie par l'archevêque de son diocèse, San Francisco, mais elle communie régulièrement dans une paroisse de Washington dc , et la semaine dernière, elle a reçu la communion des mains d'un prêtre lors la Messe à Saint-Pierre présidée par le Souverain Pontife.

«Quand l'Eglise perd sa nature pastorale, quand un évêque perd sa nature pastorale, cela engendre un problème politique», a commenté le Pape. «C'est tout ce que je peux dire».

Les relations avec la République populaire de Chine

Le Pape a ensuite affirmé que l'accord provisoire du Saint-Siège avec la République populaire de Chine «se passe bien» et espère qu'il pourra être renouvelé au mois d'octobre prochain.

Comme on s'en souvient, grâce à l'Accord provisoire signé en 2018, dont le texte est actuellement confidentiel, la situation de l'Eglise catholique en Chine a été assainie en ramenant dans la pleine communion avec Rome les évêques nommés sans mandat pontifical. L'accord, qui prévoit un parcours commun pour arriver à la nomination des nouveaux évêques, laisse au Souverain Pontife le dernier mot.

Comme le montre la transcription de l’entretien, le Pape François a défendu l'accord et a tout d'abord exprimé sa reconnaissance pour le rôle joué par le cardinal-secrétaire d'Etat: «Celui qui porte cet accord est le cardinal Parolin qui est le meilleur diplomate du Saint-Siège, un homme de haut rang diplomatique. Et il sait se mouvoir, c'est un homme de dialogue, et il dialogue avec les autorités chinoises. Je crois que la commission qu'il préside a tout fait pour aller de l'avant et chercher une issue et elle l'a trouvée».

François a ensuite défendu la politique des petits pas, ce «martyre de la patience» dont parlait le cardinal Agostino Casaroli, architecte de l'Ostpolitik du Vatican à propos des pays d'Europe de l'Est, qui appartenaient alors au bloc soviétique. «Beaucoup ont dit tant de choses contre Jean xxiii , contre Paul vi , contre Casaroli, a expliqué le Pape, mais la diplomatie est ainsi faite. Face à une situation sans issue, il faut chercher le possible, pas l'idéal. La diplomatie est l'art du possible et de rendre le possible réel. Le Saint-Siège a toujours eu ces grands hommes. Mais cette démarche avec la Chine est menée par Parolin, qui est grand à cet égard».

Comparant la situation actuelle à celle d'avant 1989, François a déclaré que la nomination des évêques en Chine depuis 2018 se fait lentement mais qu'il y a des résultats. «Cela va lentement mais (certains évêques, ndlr) ont été nommés. Cela va lentement, comme je le dis, “à la chinoise”, parce que les Chinois ont cette notion du temps où personne ne les bouscule». «Ils ont aussi des problèmes», a ajouté François, faisant référence aux différentes attitudes des autorités locales en Chine, «car la situation n'est pas la même dans toutes les régions du pays. Parce qu'aussi (la manière d'entretenir des relations avec l'Eglise catholique, ndlr) dépend des gouvernants, il y en a différents. Mais l'accord est bon et j'espère qu'il pourra être renouvelé en octobre».

Deux femmes seront nommées au dicastère pour les évêques

Au cours de l’entretien, François a parlé de la valorisation des femmes au sein de la Curie romaine. Il a expliqué que, pour la première fois, deux femmes travailleront au dicastère qui aide le Souverain Pontife à choisir les pasteurs diocésains, le dicastère pour les évêques. Elles seront donc impliquées dans le processus d'élection des nouveaux évêques. En effet le Pape a répondu ainsi à ce qu'établit la nouvelle constitution apostolique Praedicate Evangelium qui réforme la Curie, et sur les dicastères qui pourraient être confiés à un laïc ou à une femme dans l’avenir.

«Je suis ouvert à l'opportunité qui me sera donnée. Actuellement, le gouvernorat a une gouverneure-adjointe. Sous peu, deux femmes iront pour la première fois dans le dicastère pour les évêques, dans la commission pour l’élection de ceux-ci. Il y a une petite ouverture». François a ensuite ajouté qu'il entrevoyait pour l'avenir la possibilité de nommer des laïcs à la tête de dicastères tels que celui des laïcs, de la famille et de la vie, celui de la culture et de l'éducation, ou encore la Bibliothèque, qui est presque un dicastère.

Le Saint-Père a ensuite rappelé que pour la première fois l'année dernière, il avait nommé une femme, sœur Raffaella Petrini, au poste de numéro deux du gouvernorat de la Cité du Vatican. En outre, François a nommé sœur Nathalie Becquart, religieuse française des Sœurs missionnaires des xavières, sous-secrétaire du Synode des évêques, sœur Alessandra Smerilli, des Filles de Marie -auxiliatrice, numéro deux du dicastère pour le Service pour le développement humain intégral, et sœur Carmen Ros Norten au poste de sous-secrétaire du dicastère pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

Parmi les femmes laïques qui occupent déjà des postes de haut niveau au Vatican figurent Francesca Di Giovanni, sous-secrétaire pour les relations multilatérales de la section pour les relations avec les Etats et les organisations internationales de la secrétairerie d'Etat, Barbara Jatta, première femme directrice des Musées du Vatican, Linda Ghisoni et Gabriella Gambino, toutes deux sous-secrétaires au dicastère pour les laïcs, la famille et la vie; Emilce Cuda, secrétaire de la Commission pontificale pour l'Amérique latine; Nataša Govekar, directrice de la direction théologique et pastorale du dicastère pour la communication; et Cristiane Murray, directrice-adjointe de la salle de presse du Saint-Siège. Toutes ont été nommées par le Pape actuel.

Le mois dernier, le cardinal Kevin Joseph Farrell, préfet du dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, a plaisanté en disant qu'avec la promulgation de la nouvelle constitution sur la Curie, il pourrait être le dernier clerc à diriger ce dicastère.

La tolérance zéro contre les abus sexuels est irréversible

La lutte contre les abus dans l'Eglise a commencé lentement mais aujourd'hui c'est un chemin irréversible. C’est ce que le Pape François a déclaré: «L'Eglise a commencé la tolérance zéro lentement, et a progressé. Sur ce point, je pense que la direction prise est irréversible. Elle est irréversible. Aujourd'hui, c'est une question qui ne peut être mise en discussion».

Répondant à une question sur la résistance rencontrée dans certains cas au niveau local dans l'application des mesures contre les abus, le Pape a noté: «Il y a une résistance mais chaque fois il y a une plus grande prise de conscience que c'est la voie». François a rappelé la sous-division du dicastère pour la doctrine de la foi en deux sections, l'une d'entre elles étant consacrée aux procès pour abus, et a commenté: «Les choses se déroulent bien».

Le Souverain Pontife a ensuite évoqué une récente rencontre avec des visiteurs qui lui ont rappelé que, dans leur pays, 46 % des abus ont lieu dans le foyer familial, et a fait remarquer que «c'est terrible». Après avoir rappelé ce que montrent les statistiques, le Pape a ajouté: «Mais cela ne justifie rien. Même s'il n'y avait qu'un seul cas, ce serait honteux. Et nous devons nous battre même pour un seul cas. Cela ne va pas, parce que (l'abus) tue la personne que je dois sauver. En tant que prêtre, je dois aider à élever et à sauver ces personnes. Si j'abuse, je les tue. C'est terrible».

«Tolérance zéro», a conclu François, en saluant le travail du cardinal-archevêque de Boston et de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, dont il est le président: «Et là, chapeau au cardinal O'Malley, qui est un homme courageux». Il a le courage d'un capucin, vraiment, un grand homme. Et aussi la Commission pour la protection des mineurs, qui fonctionne bien, maintenant avec le père Small, qui est un autre homme courageux, il travaille bien. Je soutiens totalement cette démarche».

Les réformes financières permettront d'éviter de nouveaux scandales

Répondant à une question relative aux finances, le Pape François a déclaré qu'il croit que les réformes financières permettront d'éviter à l'avenir des scandales comme ceux qui ont fait la «une» des journaux ces dernières années, et comme celui de l'achat et de la vente de l'immeuble de Sloane Avenue à Londres, actuellement examiné dans le cadre du procès par le tribunal du Vatican.

Parlant de l'immeuble de Londres, le journaliste Phil Pullela a demandé au Souverain Pontife: «Pensez-vous qu'il y a eu suffisamment de changements pour éviter que des scandales similaires ne se reproduisent?». «Je crois que oui», a répondu le Saint-Père, en énumérant toutes les mesures qui ont été prises: «La création du Secrétariat pour l'économie avec des personnes techniques, qui comprennent, qui ne tombent pas dans les mains de “bienfaiteurs”, ou d'amis qui peuvent vous faire déraper; je crois que ce nouveau dicastère, disons, qui a tous les financements entre ses mains, est une vraie sécurité dans l'administration. Parce qu'avant l'administration était très désordonnée».

Le Pape a ensuite cité l'exemple d'un chef de bureau de la secrétairerie d'Etat qui devait gérer les finances mais qui, n'étant pas qualifié, cherchait, en bonne foi, des amis pour lui donner un coup de main. «Mais parfois les amis n'étaient pas la bienheureuse Imelda et donc ce qui est arrivé est arrivé», a commenté François, citant Imelda, une jeune fille du xiv e siècle qui est un exemple de pureté.

«(La faute était), a poursuivi le Pape, l'irresponsabilité de la structure, à ce moment-là, qui a attribué la responsabilité à une bonne personne qui était là parce qu'elle avait la place qu'elle avait. Et celle-ci ne connaissait pas (les choses financières) et a dû demander de l'aide à l'extérieur sans contrôles suffisants de l'intérieur. L'administration manquait de maturité».

François a conclu en rappelant que «l'idée du Secrétariat pour l'économie est venue du cardinal Pell. C’est lui qui a été le génie».