Le Pape poursuit les catéchèses sur la vieillesse en parlant de l’expérience de Job

Face au mystère du mal la «protestation» est une forme de prière

 Face au mystère du mal la «protestation» est une forme de prière  FRA-021
24 mai 2022

Chers frères et sœurs, bonjour!

Le passage biblique que nous avons entendu conclut le Livre de Job, une sommité de la littérature universelle. Nous rencontrons Job dans notre parcours de catéchèse sur la vieillesse: nous le rencontrons comme un témoin de la foi qui n’accepte pas une «caricature» de Dieu, mais qui crie sa protestation face au mal, jusqu’à ce que Dieu réponde et révèle son visage. Et Dieu finit par répondre, comme toujours de manière surprenante: il montre à Job sa gloire mais sans l’écraser, bien au contraire, avec une tendresse souveraine, comme Dieu le fait, toujours, avec tendresse. Il faut bien lire les pages de ce livre, sans préjugés ni clichés, pour saisir la force du cri de Job. Cela nous fera du bien de nous mettre à son école, pour vaincre la tentation du moralisme face à l’exaspération et à la démoralisation devant la douleur d’avoir tout perdu.

Dans ce passage conclusif du livre — nous rappelons l’histoire, Job qui perd tout dans la vie, perd ses richesses, perd sa famille, perd son fils et perd aussi la santé, et reste là, couvert de plaies, en dialogue avec trois amis, puis un quatrième, qui viennent le saluer: telle est l’histoire — et dans ce passage aujourd’hui, le passage de conclusion du livre, quand Dieu prend enfin la parole (et ce dialogue de Job avec ses amis est comme une route vers le moment où Dieu donne sa parole) Job est loué parce qu’il a compris le mystère de la tendresse de Dieu caché derrière son silence. Dieu réprimande les amis de Job qui prétendaient tout savoir, savoir sur Dieu et sur le mal, et qui, venus pour consoler Job, avaient fini par le juger avec leurs schémas pré-établis. Que Dieu nous préserve de ce piétisme hypocrite et présomptueux! Que Dieu nous préserve de cette religiosité moralisatrice et de cette religiosité des préceptes qui nous donne une certaine présomption et conduit au pharisaïsme et à l’hypocrisie.

Voici comment le Seigneur s’exprime à leur égard. Ainsi parle le Seigneur: «Ma colère s’est enflammée contre [vous] [...] parce que vous n’avez pas parlé de moi avec justesse comme l’a fait mon serviteur Job. [...]»: c’est ce que dit le Seigneur aux amis de Job. «Job mon serviteur intercédera pour vous. Uniquement par égard pour lui, je ne vous infligerai pas l’infamie méritée pour n’avoir pas parlé de moi avec justesse, comme l’a fait mon serviteur Job». (42, 7-8). La déclaration de Dieu nous surprend, car nous avons lu les pages enflammées de la protestation de Job, qui nous ont effrayés. Pourtant — dit le Seigneur — Job a bien parlé, même quand il était en colère et même en colère contre Dieu, mais il parlait bien, car il a refusé d’accepter que Dieu soit un «Persécuteur», Dieu, c’est autre chose. Et comme récompense, Dieu rend à Job le double de tous ses biens, après lui avoir demandé de prier pour ses mauvais amis.

Le tournant de la conversion de la foi se produit au summum de la colère de Job, quand il dit: «Je sais, moi, que mon rédempteur est vivant, que, le dernier, il se lèvera sur la poussière! et quand bien même on m’arracherait la peau, de ma chair je verrai Dieu. Je le verrai, moi en personne, et si mes yeux le regardent, il ne sera plus un étranger». (19, 25-27). Ce passage est très beau. Je me souviens de la fin de ce génial oratorio de Haendel, le Messie, après la fête de l’Alléluia, le soprano chante lentement ce passage: «Je sais que mon Rédempteur est vivant», avec paix. Et donc, après toute cette histoire de douleur et de joie de Job, la voix du Seigneur est autre chose. «Je sais que mon Rédempteur est vivant»: c’est une chose très belle. Nous pouvons l’interpréter ainsi: «Mon Dieu, je sais que Tu n’es pas le Persécuteur. Mon Dieu viendra et me rendra justice». C’est la foi simple en la résurrection de Dieu, la foi simple en Jésus Christ, la foi simple que le Seigneur nous attend toujours et qu’il viendra.

La parabole du livre de Job représente de manière dramatique et exemplaire ce qui se passe réellement dans la vie. C’est-à-dire que des épreuves trop lourdes, épreuves disproportionnées par rapport à la petitesse et à la fragilité humaine, s’abattent sur une personne, une famille ou un peuple. Dans la vie, souvent comme on dit, «le malheur n’arrive jamais seul». Et certaines personnes sont accablées par tant de maux que cela parait vraiment excessif et injuste. Et beaucoup de gens sont dans cette situation.

Nous avons tous connu de telles personnes. Nous avons été impressionnés par leur cri, mais nous avons aussi souvent été émerveillés par la constance de leur foi et de leur amour dans leur silence. Je pense aux parents d’enfants gravement handicapés, à ceux qui vivent avec une infirmité permanente ou au membre de la famille d’à côté... Situations souvent aggravées par le manque de ressources économiques. A certains moments de l’histoire, ces amoncellements de fardeaux semblent s’être donnés rendez-vous. C’est ce qui s’est passé ces dernières années avec la pandémie de Covid-19 et ce qui se passe actuellement avec la guerre en Ukraine.

Pouvons-nous justifier ces «excès» par une rationalité supérieure de la nature et de l’histoire? Pouvons-nous les bénir religieusement comme une réponse justifiée à la culpabilité des victimes, qui les ont méritées? Non, nous ne pouvons pas. Il existe une sorte de droit de la victime à protester, face au mystère du mal, un droit que Dieu accorde à tous, car c’est Lui-même, après tout, qui inspire. Parfois, des personnes viennent me trouver et me disent: «Mais, mon Père, j’ai protesté contre Dieu parce que j’ai tel problème, tel autre problème...». Mais tu sais, mon cher, que la protestation est une façon de prier, quand on le fait ainsi. Lorsque les enfants, les jeunes protestent contre leurs parents, c’est une façon d’attirer l’attention et de leur demander de s’occuper d’eux. Si vous avez dans votre cœur un malaise, une douleur et que vous avez envie de protester, proteste aussi contre Dieu, Dieu t’entend, Dieu est Père, Dieu n’est pas effrayé par notre prière de protestation, non! Dieu comprend. Mais sois libre, sois libre dans ta prière, n’emprisonne pas ta prière dans des schémas préconçus! La prière doit être ainsi, spontanée, comme celle d’un fils avec son père, qui lui dit tout ce qui lui vient à la bouche parce qu’il sait que son père le comprend. Le «silence» de Dieu au premier moment du drame signifie ceci. Dieu ne recule pas devant la confrontation, mais dans un premier temps, il laisse à Job le moyen d’exprimer ses protestations, et Dieu écoute. Peut-être devrions-nous, parfois, apprendre de Dieu ce respect et cette tendresse. Et Dieu n’aime pas cette encyclopédie — appelons-la ainsi — d’explications, de réflexions que font les amis de Job. C’est le suc de la langue, qui ne convient pas: c’est cette religiosité qui explique tout, mais le cœur reste froid. Cela ne plaît pas à Dieu. Il préfère la protestation de Job ou le silence de Job.

La profession de foi de Job — qui émerge précisément de son appel incessant à Dieu, à une justice suprême — est complétée à la fin par l’expérience quasi mystique, je dirais, qui lui fait dire: «C’est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t’ont vu». (42, 5). Combien de personnes, combien d’entre nous, après une expérience un peu malheureuse, un peu sombre, lâchent prise et connaissent Dieu mieux qu’auparavant! Et nous pouvons dire, comme Job: «Je te connaissais par ouï-dire, mais maintenant je t’ai vu, parce que je t’ai rencontré toi». Ce témoignage est particulièrement crédible si la vieillesse l’assume, dans sa progressive fragilité et sa dégradation. Les vieux en ont vu tant dans la vie! Et ils ont aussi vu l’inconsistance des promesses des hommes. Des hommes de loi, des hommes de science, des hommes de religion même, qui confondent le persécuteur et la victime, imputant à cette dernière l’entière responsabilité de sa douleur. Ils se trompent!

Les personnes âgées qui trouvent la voie de ce témoignage, qui convertit le ressentiment de la perte en ténacité pour l’attente de la promesse de Dieu, — il se produit un changement, du ressentiment de la perte à la ténacité pour suivre la promesse de Dieu — ces personnes âgées sont pour la communauté un rempart irremplaçable face à l’excès du mal. Le regard des croyants qui se tournent vers le Crucifié professe précisément cela. Puissions-nous l’apprendre nous aussi, de tant de grands-pères et de grands-mères, de tant de personnes âgées qui, comme Marie, unissent leur prière, parfois déchirante, à celle du Fils de Dieu qui, sur la croix, s’abandonne au Père. Considérons les personnes âgées, considérons les vieux, les vieilles, les petites vieilles; considérons-les avec amour, considérons leur expérience personnelle. Ils ont tant souffert dans la vie, ils ont tant appris dans la vie, ils ont traversé tant d’épreuves, mais à la fin ils ont cette paix, une paix — je dirais — presque mystique, qui est la paix de la rencontre avec Dieu, au point qu’ils peuvent dire: «Je te connaissais par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu». Ces personnes âgées sont à la hauteur de cette paix du fils de Dieu sur la croix qui s’abandonne au Père.

Parmi les pèlerins qui assistaient à l’audience générale, se trouvaient les groupes francophones suivants:

De France: Groupe de pèlerins du diocèse de Besançon; Collège Sainte-Marie, de Beucamps Ligny; Collège Saint-Dominique, de Neuilly-sur-Seine; Mission catholique vietnamienne, de Lyon; Collège Saint-Gilbert, de Montcenis; Collège Saint-Ide, de Rennes.

Je salue cordialement les personnes de langue française, en particulier les collégiens venus de France ainsi que les pèlerins du diocèse de Besançon et la Mission catholique vietnamienne de Lyon. Le Seigneur a mis sur notre route des frères et sœurs souffrant qui témoignent d’une grande foi et d’un grand amour. Gardons à cœur leurs témoignages et demandons au Dieu la force de persévérer dans l’espérance au milieu des épreuves de la vie. Que Dieu vous bénisse.