Via Crucis au Colisée

 Via Crucis au Colisée  FRA-016
20 avril 2022

Est-ce que sont «davantage des guerres» les horreurs qui émergent des fosses communes en Ukraine ou est-ce «davantage une guerre» que décréter la mort d’un enfant dans le ventre de sa mère avec «l’accusation» d’être porteur de handicap? Ou encore est-ce «davantage une guerre» que ne pas tendre la main à une personne — oui, à nouveau d’un enfant — qui est sur le point de se noyer dans la Méditerranée? Existe-t-il une classification pour les sacrilèges? Qu’est-ce qui suscite le plus de scandale?

La via Crucis présidée par le Pape au Colisée, dans la soirée du Vendredi Saint 15 avril a été une gifle en pleine figure.

Une gifle donnée à chacun — et qui a également secoué les esprits mondains et les indignations à bon marché — parce qu’un groupe de familles a reproposé l’essentialité de l’expérience de la croix: sans demi-mots, précisément à travers des histoires de vie vécue.

Oui, des compagnons de chemin d’une Via crucis vraie, quotidienne, qui ne dure pas qu’une soirée. Le Vendredi Saint est précisément le meilleur jour pour le rappeler.

La quotidienneté de la croix, pourrait-on dire. Cachée dans l’anonymat d’un immeuble, derrière la porte d’un voisin. Et loin, très loin des projecteurs.

François a voulu partager ces histoires le Vendredi Saint. Oui, en mondovision. Dans le décor extraordinaire du Colisée, en présence de dix mille personnes, dans la nuit de Rome.

Et, malheureusement, dans la nuit du monde.

François a suivi en silence la Via crucis racontée — avec et sans paroles, avec des gestes — par les familles. Au terme de la Via crucis, le Pape a prononcé la prière que nous publions sur cette page et il a donné la bénédiction apostolique.

Oui, les 14 méditations proposées se sont inspirées des histoires personnelles des familles qui ont porté la croix au cours de la célébration: un couple de jeunes époux; une famille en mission au Pérou (avec deux jumeaux nés le 14 mars); un couple d’époux âgés sans enfants; une famille avec 5 enfants; une famille avec un enfant porteur de handicap; une famille qui gère une maison d’accueil pour personnes non autonomes et ayant des difficultés psychiques; une famille avec un parent malade; un couple de grands-parents; une famille avec des enfants adoptifs; une femme avec des enfants, qui a perdu son mari; une famille avec un fils et une fille consacrés; une famille qui affronte la mort de leur fille à la suite d’une tumeur; une famille ukrainienne et une famille russe; une famille de migrants d’origine congolaise, aujourd’hui autonomes et avec deux enfants.

Et ce sont précisément les migrants, lors de la dernière station, qui ont passé la croix au cardinal Angelo De Donatis — qui, avec les évêques auxiliaires du diocèse de Rome a accompagné les familles le long de l’itinéraire de la Via crucis — qui ont ensuite salué personnellement le Pape.

En particulier, à la treizième station, la croix a été portée par deux femmes: Irina et Albina, une Ukrainienne et une Russe, 42 et 40 ans, la première avec trois enfants et la deuxième avec deux enfants, devenues amies l’an dernier parce que collègues au centre de soins palliatifs «Insieme nella cura» de la fondation polyclinique universitaire Campus Bio-Medico de Rome. Le bref texte de la méditation («Jésus meurt sur la croix» rappelle la treizième station) qui a été proposé est significatif: «Face à la mort le silence est plus éloquent que les paroles. Arrêtons-nous donc en silence dans la prière et que chacun dans son cœur prie pour la paix dans le monde». Les regards, sans qu’une seule parole ne soit prononcée, entre Irina et Albina et entre les familles qui se sont passé la croix tout au long des 14 stations en ont «dit» même «plus» que les témoignages de vie forts, directs et clairs.

En se passant la croix de main en main, ces familles — devant le Pape, devant le monde — ont représenté toutes, véritablement toutes les familles du monde et ont rappelé que oui, il y a les ténèbres. Mais aussi l’espérance. Et que sur la croix, l’on n’est jamais seuls. Même, et surtout surtout, quand on est convaincus — désespérés — d’être seuls. Personne ne se sauve seul.

La gifle de ce vendredi soir a brusquement rappelé que dans l’une de ces 14 stations... et bien, il pouvait y avoir chaque famille du monde. A chacun, entre croix et espérance, il aurait pu être demandé de partager son histoire afin que d’autres familles s’y reconnaissent. Trouvant ensemble — et c’est peut-être là la parole-clé — de nouveaux regards d’espérance. Même les bras et les jambes tendus et cloués sur la croix.

Cette gifle, ce vendredi soir, a «contraint» chaque famille à se demander ce qu’elle aurait dit d’elle. En racontant la douleur, mais également en entrevoyant des horizons de vie.

Parce que ces familles qui ont porté la croix au Colisée ne sont pas composées de personnes célèbres et ne sont pas non plus «meilleures». Non, elles se sont présentées avec humilité et aussi avec une bonne dose de courage. Parce qu’il faut du courage — accompagné de larmes — pour raconter ses limites, ses peurs, ses échecs. Le fait d’être des hommes et des femmes. Blessés, dans certains cas à mort.

Et ils n’ont certainement pas dit «moins» ces jeunes — Giorgio Maria, trisomique, ou Alfredo ayant une maladie génétique rare qui empêche presque tout mouvement ou avec des difficultés psychiques —, à travers la logique de la croix, ce sont probablement même ceux qui ont parlé «le plus». Et de façon plus efficace.

Aux côtés de leurs parents — ceux qui les ont accueillis dans les foyers sont également parents — qui n’acceptent certainement pas de les qualifier de «croix». Parce qu’ils vivent une joie, avec eux et à travers eux. Même dans la conscience d’une souffrance qui mord la chair.

Au Colisée — au cours des deux dernières années, à cause de la pandémie, la via Crucis s’était déroulée place Saint-Pierre — étaient présents entre autres le maire de Rome, Roberto Gualtieri, qui a accueilli le Pape, le cardinal Tagle, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, Mgr Peña Parra, substitut pour les affaires générales, avec l’assesseur, Mgr Cona.

Avant de quitter le Colisée, le Pape a salué personnellement deux représentants des familles qui ont inspiré les méditations et porté la croix: de façon significative précisément les deux personnes qui vivent l’expérience du handicap sur un fauteuil roulant.

Giampaolo Mattei