Entretien avec le cardinal Tagle, président de Caritas Internationalis

Aucune arme ne peut tuer l’espérance

Volunteers distribute supply articles and information to Ukrainian refugees upon their arrival at a ...
22 mars 2022

Sous les bombes mais travaillant sans relâche. C’est ainsi que les membres de Caritas apportent leur aide aux personnes dans le besoin en Ukraine, un pays dévasté par l’agression militaire russe. Malgré les difficultés sur le terrain, Caritas Ukraine et Caritas-Spes Ukraine continuent à servir la population. Depuis le début du conflit, une assistance a été fournie à plus de 160.000 personnes. De la nourriture a été distribuée, des abris proposés, un soutien psychologique mis à disposition. Les Caritas situées en Europe ont également redoublé d’efforts, en particulier dans les pays en première ligne pour accueillir les réfugiés — comme la Pologne, la Roumanie, la Moldavie, la Hongrie et la Slovaquie. Le président de Caritas Internationalis et préfet de «Propaganda Fide», le cardinal Luis Antonio Tagle, parle de cet engagement dans un monde qui, pris entre la pandémie et les conflits, a du mal à regarder l’avenir avec confiance.

Votre éminence, depuis deux ans, l’humanité est aux prises avec la pandémie de Covid-19 et aujourd’hui, la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie, fait craindre — à beaucoup — un nouveau conflit mondial. Où trouver l’espérance permettant de faire face à une époque qui semble si angoissante?

En tant que chrétiens, nous devons croire que l’espérance est toujours en Dieu. En ce temps de carême, l’Eglise — à travers les Lectures — nous invite à renouveler notre espérance en Jésus Christ. Et cette espérance signifie le triomphe de l’amour, de la miséricorde. En ce moment, nous voyons concrètement les signes de cette espérance. Aucune arme ne peut tuer l’espérance, la bonté de l’esprit dans une personne humaine. Il existe de nombreux témoignages à ce sujet. L’espérance en Jésus Christ et sa résurrection sont vraies et on peut le voir dans le témoignage de tant de personnes.

Lors de l’Angelus de dimanche 13 mars, le Pape François a parlé d’une «agression militaire inacceptable». Le 6 mars, il a déclaré qu’il s’agissait «d’une guerre» et non «d’une opération militaire spéciale». En tant que Philippin, et donc non Européen, quelles émotions ressentez-vous face à une guerre au cœur de l’Europe?

Tout d’abord, la tristesse. Je me sens triste en voyant les images, en entendant les nouvelles et en étant proche de ce lieu où il y a la guerre. Je me sens triste et aussi un peu confus, car l’humanité n’a pas appris les leçons de l’histoire! Après tant de guerres et de destructions, nous restons si durs de cœur! Lorsque j’écoute les histoires de mes parents qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale, je ne peux pas imaginer — même pas imaginer! — la pauvreté, les souffrances qu’ils ont endurées. Cette génération porte encore les blessures de la guerre dans son corps et a toujours un état d’esprit blessé. Quand, quand apprendrons-nous? Ce sont mes sentiments. Nous espérons vraiment que nous saurons tirer les leçons de l’histoire.

Caritas Internationalis a été créée il y a 70 ans pour répondre aux besoins humanitaires nés de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, quel est le plus grand défi pour le réseau Caritas en relation avec le conflit en Ukraine?

Il me semble que le plus grand défi du réseau, de la famille Caritas, est inscrit dans sa mission. La mission est toujours de rappeler au monde que chaque conflit, chaque catastrophe a un visage humain. La réponse de Caritas est toujours humanitaire. Par exemple, le conflit en Ukraine et dans d’autres pays du monde est généralement présenté comme un conflit politique, militaire, mais les gens sont oubliés! Avec notre mission, Caritas rappelle au monde que la guerre n’est pas une question militaire ou politique, mais avant tout une question humaine.

Le peuple ukrainien donne un incroyable témoignage de courage, tandis que ses pays voisins — la Pologne et la Roumanie en particulier — offrent un témoignage de solidarité exceptionnelle. Quelle leçon pouvons-nous tirer, nous qui sommes «proches» bien qu’encore loin de cette guerre?

Nous devons être reconnaissants pour le témoignage des personnes en Ukraine et dans d’autres pays voisins, mais aussi plus éloignés, qui envoient de l’aide et proposent leur assistance. La leçon que j’en tire est la suivante: dans le désert de la violence, la personne humaine a la capacité d’être bonne. La leçon que j’en tire est que même dans une mauvaise situation comme la guerre, une humanité meilleure peut émerger. Mais il y a un défi: la formation du cœur, de l’esprit. Comment naissent les conflits? Dans le cœur, dans les décisions des gens. La leçon réside dans la manière dont les familles éduquent leurs enfants aux valeurs de respect des autres, d’écoute, de compassion, de choix de la voie de la justice, du dialogue plutôt que de la vengeance, de la violence.

Y a-t-il une histoire, une image de cette guerre qui vous a frappé d’une manière particulière, qui représente la douleur mais aussi la force, la bonté des gens?

Il est difficile de choisir, mais peut-être qu’en tant que chrétien et évêque, les images qui m’ont le plus frappé sont celles de personnes en train de prier. Cette foi de mères agenouillées devant le Saint-Sacrement. La prière, le réseau de prière qui unit l’humanité, est pour moi un signe d’espoir malgré la guerre. Le Seigneur est avec nous. Le Seigneur aime sa famille.

Alessandro Gisotti