Entretien avec le cardinal Giuseppe Versaldi

Un nouveau modèle culturel

 Un nouveau modèle culturel   FRA-011
15 mars 2022

D'une part, la «catastrophe éducative» de dizaines de millions d'enfants dans le monde exclus de tout réseau scolaire. D'autre part, le «pacte éducatif mondial» proposé par le Pape pour aider à guérir cette profonde blessure humaine, plus encore que sociale. Au milieu, pour ainsi dire, se trouve le travail d'une trentaine de personnes qui suivent, dirigent, supervisent et promeuvent la formation scolaire et universitaire des instituts catholiques du monde entier. Le cardinal Giuseppe Versaldi parle de la mission de la Congrégation pour l'éducation catholique, dont le budget de mission, dans le bilan officiel 2021 du Saint-Siège, fait partie des 21 millions alloué au total à une trentaine de dicastères et institutions du Vatican.

L'éducation est l'un des thèmes centraux du pontificat de François, qui a relancé en octobre 2020 la proposition d'un «pacte mondial» destiné à tous les acteurs éducatifs de la société pour l'avenir des nouvelles générations. Comment le dicastère s'engage-t-il à soutenir et à mettre en œuvre l'engagement demandé par le Pape?

Depuis le début de son pontificat, le Pape François, suivant son style pastoral précédent, a insisté sur la nécessité d'investir les talents de tous, et en particulier des jeunes générations, pour faire mûrir une nouvelle solidarité universelle et une société plus accueillante. Avec le lancement du pacte éducatif, il a renouvelé l'invitation à forger une alliance pour trouver une convergence globale pour une éducation qui sache unir toutes les personnes et toutes leurs composantes, afin de trouver des solutions aux problèmes du changement d'époque en cours, d'initier des processus de transformation sans crainte et de regarder l'avenir avec espoir. Cette invitation s'adressait à tous: enseignants, élèves, parents, société civile; tous les savoirs et toutes les disciplines; les diverses expressions intellectuelles, scientifiques, artistiques, sportives, politiques, économiques et entrepreneuriales en faveur des jeunes.

La Congrégation pour l'éducation catholique, chargée d'accompagner la mise en œuvre de ce projet, en plus de promouvoir une série de conférences et d'événements visant à approfondir les différents profils du pacte éducatif, réalisés immédiatement après le premier message du Saint-Père — du 12 septembre 2019 — a commencé à suivre et à recueillir les expériences les plus significatives initiées par les écoles et les universités catholiques et de nombreuses autres institutions éducatives dans de nombreux pays du monde. Face à la prolifération des initiatives et à la perspective de leur développement constant au cours des prochaines années, un comité a été créé avec la Fondation pontificale Gravissimum educationis, l'université Lumsa et l'université catholique du Sacré-Cœur, qui a préparé un vade-mecum pratique pour les éducateurs et un volume avec des lignes directrices pour les universités. Alors que le premier outil développe les objectifs du pacte tels qu'indiqués par le Pape, les lignes directrices illustrent cinq domaines thématiques dans lesquels le pacte peut trouver une articulation adéquate pour les initiatives académiques, scientifiques et culturelles: dignité et droits de l'homme; fraternité et coopération; technologies et écologie intégrale; paix et citoyenneté; cultures et religions.

Sachant que la proposition d'un pacte éducatif vise à trouver une convergence globale dans une «maison commune» pour les habitants de la Terre, et d'une alliance génératrice de paix, de justice, d'acceptation entre tous les peuples et de dialogue entre les religions, le travail du dicastère est réalisé en collaboration avec d'autres organismes du Saint-Siège, dans le cadre d'une collaboration fructueuse et féconde.

Quels types d'institutions éducatives relèvent de la compétence de la Congrégation et quelles sont les tâches qui lui sont assignées en termes d'organisation, de direction et de promotion de leurs activités?

La Congrégation a pour tâche d'approfondir, de développer et de promouvoir les principes fondamentaux de l'éducation catholique, tels que proposés par le magistère de l'Eglise, tant dans le contexte du Peuple de Dieu que dans celui de la société civile. En ce sens, elle s'engage à faire en sorte que les fidèles puissent remplir leurs obligations dans ce domaine et que la société civile reconnaisse et protège également leurs droits. Dans ce contexte, le dialogue constructif qui est mené avec les institutions de l'Etat et les organismes internationaux est significatif.

En particulier, la Congrégation établit des directives pour les écoles catholiques, dont beaucoup sont créées et gérées par des congrégations religieuses, et assiste les évêques diocésains dans leur tâche de supervision de la qualité du service offert par ces écoles, de la formation des formateurs, de l'éducation religieuse et de la pastorale des élèves. Outre les écoles, le dicastère assure le suivi des universités catholiques, en assistant les évêques afin qu'en élaborant les normes d'application de la constitution Ex corde Ecclesiae, ils puissent accompagner ces institutions académiques dans l'approfondissement des diverses disciplines, en tenant compte de l'inspiration chrétienne, et dans la promotion des diverses formes de pastorale universitaire.

Une compétence spécifique de la Congrégation concerne également les universités et les instituts d'études ecclésiastiques. Mettant en œuvre la Constitution apostolique Veritatis gaudium (approuvée par le Pape François le 8 décembre 2017), elle ratifie les statuts de ces institutions, exerce sur elles une haute direction et veille à ce que, dans l'enseignement doctrinal, la qualité soit garantie et l'intégrité de la foi catholique sauvegardée. Il y a environ 217 000 écoles catholiques dans le monde, avec plus de 60 millions d'élèves. Il existe 1.360 universités catholiques et 487 universités et facultés ecclésiastiques, avec leurs instituts affiliés et associés. Il y a environ 11 millions d'étudiants dans les établissements d'enseignement supérieur.

Combien de personnes travaillent dans le dicastère et comment son activité est-elle organisée? Quels sont les postes de dépenses qui ont le plus d'impact sur le budget et à quels domaines de «mission» correspondent-ils?

Le dicastère emploie 29 personnes originaires de 12 pays différents, réparties entre le bureau des écoles, le bureau de l'université, le département des organisations internationales et les différents services: économat, protocole, archives, bibliothèque, aspects informatiques, huissiers. Le poste le plus important est celui des frais de personnel, auxquels il faut ajouter les services informatiques, qui sont récemment devenus absolument indispensables pour soutenir le travail des établissements d'enseignement du monde entier.

Viennent ensuite les frais d'impression (magazine du dicastère, et différents documents), ainsi que la contribution pour le travail de conseil confié au groupe de consultants. Les événements spéciaux, c'est-à-dire les conférences, les séminaires d'étude ou les congrès, qui sont organisés dans diverses circonstances, sont en partie pris en charge par le dicastère et en partie soutenus par des contributions externes. Depuis six ans, la Fondation pontificale Gravissimum educationis, créée par le Pape François pour soutenir la recherche et les nouveaux projets dans le domaine de l'éducation, est hébergée par la Congrégation et emploie quatre personnes.

Par le biais du dicastère, le Saint-Siège assure également son action «diplomatique» au niveau international dans le domaine culturel et universitaire, en adhérant aux accords et aux initiatives à différents niveaux. Quels principes l'inspirent et quels sont les résultats les plus significatifs de cette action?

Le dicastère collabore non seulement avec les nombreuses associations internationales d'écoles, d'universités catholiques, de parents et d'anciens élèves, mais entretient également des contacts étroits avec des organisations internationales telles que l'Unesco, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, en étroite collaboration avec la secrétairerie d'Etat. Des relations constantes sont garanties avec les observateurs du Saint-Siège dans ces organismes, de qui la Congrégation reçoit des informations sur les stratégies développées, les thèmes étudiés et les événements promus. Outre le travail interne des responsables qui suivent ces activités, dans diverses circonstances particulières, des experts qualifiés sont choisis pour être envoyés à des réunions programmées afin d'apporter l’avis de l'Eglise et de connaître les orientations qui se développent et qui ont des répercussions évidentes sur le travail des institutions éducatives catholiques.

Suite à l’adhésion au processus de Bologne, l'Agence Avepro a été créée en 2007: quel rôle joue-t-elle dans la promotion d'une culture de la qualité au sein des établissements universitaires? Quelles sont les tâches du Centre international pour la reconnaissance?

En septembre 2003, au cours d'une des réunions périodiques des ministres des universités des pays qui faisaient déjà partie du processus de Bologne, le Saint-Siège a également adhéré au projet et a été accueilli dans cet important processus de collaboration qui a été initialement lancé au niveau européen et qui s'est maintenant étendu aux autres continents. L'objectif est de faciliter la mobilité internationale des enseignants et des étudiants de l'enseignement supérieur, en adoptant une série de critères qui permettent de reconnaître les études universitaires entre les pays qui font partie du processus.

Pour les institutions ecclésiastiques, il s'agit d'une étape importante qui, sous la direction du dicastère, les a amenées à revoir divers aspects de la vie académique, en se concentrant avant tout sur la qualité des études. L'un des objectifs inhérents au processus de Bologne était l'engagement de créer dans chaque pays membre une agence chargée de contrôler la qualité des études. Même au Saint-Siège, Benoît xvi a créé une telle agence en 2007, appelée Avepro pour souligner non seulement sa tâche d'évaluation mais surtout celle de contribuer à promouvoir le développement et la qualité des études ecclésiastiques. Comme c'est le cas dans tous les autres pays, chaque établissement d'enseignement supérieur de l'Eglise dispose d'une unité d'auto-évaluation pour contrôler la cohérence et l'efficacité de la vie académique. Avepro, qui est un organisme indépendant du dicastère, effectue une évaluation externe de chaque établissement tous les cinq ans, en produisant un rapport final à ce sujet.

En ce qui concerne le Centre international de reconnaissance, tous les pays adhérant à l'une des conventions de l'Unesco en la matière sont tenus de disposer d'un bureau spécial chargé de promouvoir la reconnaissance et de fournir des informations sur les systèmes éducatifs nationaux, notamment une base de données de tous les établissements d'enseignement supérieur reconnus. Le Saint-Siège, qui est signataire de quatre conventions régionales et s'est engagé à promouvoir la convention mondiale récemment adoptée à l'Unesco, a également créé le «Centre international pour la reconnaissance» (cir), au sein de la Congrégation pour l'éducation catholique. Sa compétence s'étend au monde entier, avec le droit de prendre des décisions contraignantes et de gérer la base de données, accessible sur le site web approprié, de tous les établissements d'enseignement supérieur érigés ou approuvés par le Saint-Siège.

La pandémie a eu un impact profond sur la manière dont l'éducation est menée à l'échelle mondiale, pénalisant le système des relations personnelles et appauvrissant également les ressources et les sources de soutien des institutions éducatives. Dans quelle mesure cette situation affectera-t-elle l'éducation des nouvelles générations? Et quelles sont les indications et les priorités d'action suggérées par la Congrégation dans ce domaine?

La pandémie a accéléré et amplifié de nombreuses urgences et situations d'urgence qui avaient été identifiées, et en a révélé beaucoup d'autres, notamment celles qui concernent la sphère éducative. Nous sommes confrontés à une sorte de «catastrophe éducative», car quelque dix millions d'enfants ont été contraints de quitter l'école, sans compter les 250 millions d'enfants en âge scolaire qui sont exclus de toute activité éducative. Des plateformes éducatives informatisées ont rapidement été mises en place pour faire face à cette urgence, mais la forte disparité technologique, ainsi que d'autres lacunes, ont rendu le fossé éducatif encore plus prononcé partout.

Dans cette situation, qui ne sera pas résolue en peu de temps, la Congrégation suggère deux indications: d'une part, il est nécessaire de faire face à l'urgence le plus rapidement possible avec des outils technologiques et avec une mise à jour des enseignants pour un effort immédiat d'accompagnement éducatif pour guérir les nouvelles marginalités qui ont été créées. D'autre part, il faut s'efforcer de développer un nouveau modèle culturel pour renverser le modèle de développement actuel et adopter des paradigmes pédagogiques capables de protéger la dignité des personnes, de promouvoir des processus de socialisation adéquats dans une perspective de fraternité universelle et d'encourager une approche transdisciplinaire de la connaissance pour former les nouvelles générations en tant que protagonistes du bien commun.

Gabriella Ceraso