Discours du Pape aux représentants des Eglises chrétiennes à un an de son voyage dans le pays du Moyen-Orient

L’Irak ne peut être réduit à un champ de bataille

 L’Irak ne peut être réduit  à un champ de bataille  FRA-010
08 mars 2022

«Votre pays possède sa propre dignité, sa propre liberté et ne peut être réduit à un champ de bataille». C’est ce qu’a répété le Pape François en s’adressant aux représentants des Eglises en Irak, reçus en audience dans la matinée du lundi 28 février, à l’occasion du premier anniversaire du voyage apostolique dans ce pays du Moyen-Orient.

Chers frères et sœurs dans le Christ,

C’est avec émotion et joie que je vous retrouve ici à Rome, représentants des diverses Eglises chrétiennes en Irak, à un an de la visite, pour moi inoubliable, dans votre pays. A travers vous, je désire étendre mes salutations cordiales à tous les pasteurs et les fidèles de vos communautés, faisant miennes les paroles de l’apôtre Paul: «A vous grâce et paix de par Dieu» (Rm 1, 7).

Vos terres sont des terres de débuts: débuts des antiques civilisations du Moyen Orient, débuts de l’histoire du salut, débuts de l’histoire de la vocation d’Abraham. Ce sont aussi les terres des débuts chrétiens: des premières missions, grâce à la prédication de l’apôtre Thomas, d’Addaï et Mari et de leurs disciples, non seulement en Mésopotamie, mais jusqu’au lointain Orient. Mais ce sont aussi des terres d’exilés: pensons à l’exil des juifs à Ninive, et à celui de Babylone, dont nous parlent les prophètes Jérémie, Ezéchiel et Daniel, qui soutinrent l’espérance du peuple déraciné de sa terre. Mais de nombreux chrétiens de votre région ont également été contraints à l’exil: les persécutions et les guerres, qui se sont succédé jusqu’à nos jours, ont contraint un grand nombre d’entre eux à émigrer, en apportant en occident la lumière de l’orient chrétien.

Chers frères, si je rappelle ces épisodes de l’histoire biblique et chrétienne de votre pays, c’est parce qu’ils ne sont pas étrangers à la situation actuelle. Vos communautés appartiennent à l’histoire la plus antique de l’Irak et ont connu des moments véritablement tragiques, mais ont offert des témoignages courageux de fidélité à l’Evangile. Je rends grâce à Dieu pour cela et je vous exprime ma reconnaissance. Je m’incline devant la souffrance et le martyre de ceux qui ont conservé la foi, même au prix de leur vie. De même que le sang du Christ, versé par amour, a apporté la réconciliation et a fait fleurir l’Eglise, ainsi, que le sang de ces nombreux martyrs de notre temps, appartenant à diverses traditions mais unis dans le même sacrifice, soit une semence d’unité parmi les chrétiens et marque un nouveau printemps de la foi.

Vos Eglises, à travers les relations fraternelles qui existent entre elles, ont établi de multiples liens de collaboration dans le domaine de la pastorale, de la formation et du service aux pauvres. Il existe aujourd’hui une communion enracinée entre les chrétiens du pays. Je voudrais vous encourager à poursuivre cette voie afin que, à travers des initiatives concrètes, un dialogue constant et ce qui compte le plus, l’amour fraternel, s’accomplissent des pas vers la pleine unité. Au milieu d’un peuple qui a subi tant de déchirures et de discordes, les chrétiens resplendissent comme un signe prophétique d’unité dans la diversité.

Très chers amis, je désire affirmer avec vous une fois de plus qu’il n’est pas possible d’imaginer l’Irak sans les chrétiens. Cette conviction ne se base pas seulement sur un fondement religieux, mais sur des preuves sociales et culturelles. Sans les chrétiens, l’Irak ne serait plus l’Irak, parce que les chrétiens, avec d’autres croyants, contribuent fortement à l’identité spécifique du pays: un lieu dans lequel la coexistence, la tolérance et l’acceptation réciproque ont fleuri dès les premiers siècles; un lieu qui a la vocation de montrer, au Moyen-Orient et dans le monde, la coexistence pacifique des différences. C’est pourquoi il faut faire tout le possible afin que les chrétiens continuent de sentir que l’Irak est leur maison, et qu’ils sont citoyens de plein droit, appelés à apporter leur contribution à la terre où ils ont toujours vécu (cf. Déclaration commune du Pape François et du catholicos-patriarche Mar Gewargis iii , 9 novembre 2018, n. 6). Pour cela, chers frères, pasteurs du Peuple de Dieu, soyez toujours dévoués et attentifs à assister et réconforter le troupeau. Soyez proches des fidèles confiés à vos soins, en témoignant avant tout par l’exemple et la conduite de vie évangélique de la proximité et de la tendresse de Jésus Bon Pasteur.

Vous, chrétiens d’Irak, qui depuis les temps apostoliques, vivez côte à côte avec d’autres religions, avez, en particulier aujourd’hui, une autre vocation incontournable: vous engager afin que les religions soient au service de la fraternité. En effet, «les différentes religions, par leur valorisation de chaque personne humaine comme créature appelée à être fils et fille de Dieu, offrent une contribution précieuse à la construction de la fraternité et pour la défense de la justice dans la société» (Lett. enc. Fratelli tutti, n. 271). Vous savez bien que le dialogue interreligieux n’est pas une question de pure courtoisie. Non, cela va au-delà. C’est un chemin de fraternité tendu vers la paix, un chemin souvent fatigant mais que, en particulier en ces temps, Dieu demande et bénit. C’est un parcours qui a besoin de patience et de compréhension. Mais il nous fait croître comme chrétiens, parce qu’il exige l’ouverture du cœur et l’engagement à être, concrètement, des artisans de paix.

Se mettre en dialogue est également le meilleur antidote à l’extrémisme, qui est un danger pour les fidèles de toute religion et une grave menace à la paix. Il faut toutefois œuvrer pour déraciner les causes sous-jacentes des fondamentalismes, de ces extrémismes qui s’enracinent plus facilement dans des contextes de pauvreté matérielle, culturelle et éducative, et qui sont alimentés par des situations d’injustice et de précarité, comme celles laissées par les guerres. Et combien de guerres, combien de conflits, combien d’interférences néfastes ont frappé votre pays! Celui-ci a besoin d’un développement autonome et cohérent, sans que, comme cela s’est malheureusement trop souvent produit, il soit mis à mal par des intérêts extérieurs. Votre pays possède sa dignité, sa liberté et ne peut être réduit à un champ de bataille.

Chers frères et sœurs, sachez que vous êtes dans mon cœur et dans les prières de très nombreuses personnes. Ne vous découragez pas: alors que de nombreuses personnes, à divers niveaux, menacent la paix, nous ne détachons pas notre regard de Jésus, Prince de la paix, et nous ne nous lassons pas d’invoquer son Esprit, artisan d’unité. Saint Ephrem dans la lignée de saint Cyprien, compara l’unité de l’Eglise à la «tunique sans couture et intacte du Christ» (cf. Hymnes à la crucifixion vi , 6). Bien qu’il ait été brutalement dépouillé de ses vêtements, sa tunique demeura intacte. Dans l’histoire également, l’Esprit de Jésus conserve l’unité des -croyants, malgré nos divisions. Demandons à la Très Sainte-Trinité, modèle de la véritable unité qui n’est pas uniformité, de renforcer la communion entre nous et entre nos Eglises. Nous pourrons ainsi répondre à l’appel pressant du Seigneur afin que ses disciples «soient un» (Jn 17, 21)!

Je vous remercie de tout cœur d’être venus et je vous propose à présent de réciter ensemble la prière du Seigneur, chacun dans sa langue.