Le cardinal-secrétaire d'Etat, Pietro Parolin, a présidé la célébration de la Messe du Mercredi des cendres, le 2 mars après-midi, dans la basilique romaine Sainte-Sabine, sur la colline de l'Aventin. Le cardinal a lu l'homélie préparée par le Pape François, qui n'a pas pu être présent en raison d'une gonalgie aiguë et à qui le médecin a prescrit un temps de repos pour sa jambe.
Chers frères et sœurs, je donne lecture de l'homélie que le Saint-Père François a préparé pour cette célébration.
En ce jour qui ouvre le temps du carême, le Seigneur nous dit: «Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux» (Mt 6, 1). Cela peut paraître surprenant, mais dans l’Evangile d’aujourd’hui, la parole qui revient plusieurs fois est récompense (cf. vv 1.2.5.16). Habituellement, le Mercredi des cendres, notre attention est attirée sur l’effort exigé par le chemin de foi, plus que sur le prix dont il est couronné. Pourtant, aujourd’hui, le discours de Jésus revient à chaque fois sur ce terme, récompense, qui semble être le ressort de notre action. En effet, il y a en nous, dans notre cœur, une soif, un désir d’atteindre une récompense qui nous attire et qui motive ce que nous faisons.
Le Seigneur distingue cependant deux types de récompenses auxquelles la vie d’une personne peut tendre: d’une part la récompense auprès du Père et, de l’autre, la récompense auprès des hommes. La première est éternelle; c’est la vraie, la définitive, elle est le but de la vie. La seconde, par contre, est transitoire, elle est une fausse route dans laquelle nous nous engageons quand l’admiration des hommes et le succès mondain deviennent pour nous la chose la plus importante, la satisfaction la plus grande. Mais c’est une illusion: c’est comme un mirage qui, une fois atteint, laisse les mains vides. L’inquiétude et le mécontentement sont toujours au tournant pour celui qui a comme horizon la mondanité qui séduit mais, ensuite, déçoit. Celui qui regarde la récompense du monde ne trouve jamais la paix, et il ne sait pas même promouvoir la paix car il perd de vue le Père et les frères. C’est un risque que nous courons tous et c’est pourquoi Jésus nous avertit: «Faites attention». C’est comme s’il disait: «Vous avez la possibilité de jouir d’une ré-compense infinie, une récompense sans égale: veillez donc à ne pas vous laisser aveugler par l’apparence en poursuivant des récompenses de moindre valeur, qui vous filent entre les doigts».
Le rite des cendres que nous recevons sur la tête veut nous soustraire à l’aveuglement qui consiste à mettre la récompense auprès des hommes avant la récompense auprès du Père. Ce signe austère qui nous fait réfléchir sur la caducité de notre condition humaine est comme un remède au goût amer, mais efficace, pour guérir la maladie de l’apparence. Il s’agit d’une maladie spirituelle qui asservit la personne, la conduisant à devenir dépendante de l’admiration d’autrui. C’est un véritable «esclavage des yeux et de l’esprit» (cf. Ep 6, 6; Col 3, 22) qui pousse à vivre à l’enseigne de la vaine gloire selon laquelle ce qui compte n’est pas la pureté du cœur mais l’admiration des gens; non pas le regard de Dieu sur nous, mais la manière dont les autres nous regardent. Et l’on ne peut bien vivre en se contentant de cette récompense.
Le problème est que cette maladie de l’apparence menace même les domaines les plus sacrés. C’est sur cela que Jésus insiste aujourd’hui: même la prière, la charité et le jeûne peuvent devenir autoréférentiels. Dans chaque geste, même le plus beau, le ver de l’autosatisfaction peut se cacher. Le cœur n’est pas alors complètement libre car il ne cherche pas l’amour pour le Père et pour les frères, mais l’approbation humaine, les applaudissements des gens, la gloire. Et tout peut devenir une sorte de fiction vis à vis de Dieu, de soi-même et des autres. C’est pourquoi la Parole de Dieu nous invite à regarder à l’intérieur de nous-mêmes, pour voir nos hypocrisies. Faisons un diagnostic des apparences que nous recherchons; essayons de les démasquer. Cela nous fera du bien.
Les cendres mettent en lumière le néant qui se cache derrière la recherche effrénée des récompenses mondaines. Elles nous rappellent que la mondanité est comme de la poussière emportée par le vent. Sœurs, frères, nous ne sommes pas dans le monde au gré du vent; notre cœur a soif d’éternité. Le carême est un temps donné par le Seigneur pour revivre, pour être soignés intérieurement et pour marcher vers la Pâque, vers ce qui ne passe pas, vers la récompense auprès du Père. C’est un chemin de guérison, non pas pour tout changer du jour au lendemain, mais pour vivre chaque jour dans un esprit nouveau, avec un style différent. C’est à cela que servent la prière, la charité et le jeûne: purifiés par les cendres du carême, purifiés de l’hypocrisie de l’apparence, ils retrouvent toute leur force et régénèrent un rapport vivant avec Dieu, avec les frères et avec soi-même.
La prière humble, faite «dans le secret» (Mt 6, 6), dans la discrétion de sa chambre, devient le secret pour faire fleurir la vie à l’extérieur. Elle est un dialogue chaleureux d’affection et de confiance qui con-sole et ouvre le cœur. Surtout en ce temps de carême, prions en regardant le Crucifié: laissons-nous en-vahir par l’émouvante tendresse de Dieu et mettons dans ses blessures les nôtres et celles du monde. Ne nous laissons pas prendre par la précipitation, restons en silence devant Lui. Redécouvrons ce qu’il y a d’essentiel et de fécond dans le dialogue intime avec le Seigneur. Car Dieu n’aime pas les choses spectaculaires; il aime au contraire se laisser trouver dans le secret. C’est «le secret de l’amour», loin de toute ostentation et des couleurs éclatantes.
Si la prière est vraie, elle ne peut que se traduire en charité. Et la charité nous libère du pire esclavage, celui de nous-mêmes. La charité du carême, purifiée par les cendres, nous ramène à l’essentiel, à la joie intime qu’il y a à donner. L’aumône, faite loin des projecteurs, donne paix et espérance au cœur. Elle nous révèle la beauté du don qui devient un recevoir et permet ainsi de découvrir un secret précieux: donner fait se réjouir le cœur, plus que recevoir (cf. Ac 20, 35).
Enfin, le jeûne. Il n’est pas un régime, au contraire, il nous libère de l’autoréférentialité de la recherche obsessionnelle du bien-être physique, pour nous aider à maintenir en forme non pas le corps, mais l’esprit. Le jeûne nous porte à donner sa juste valeur aux choses. De façon concrète, il nous rappelle que la vie ne doit pas être soumise à la scène passagère de ce monde. Et le jeûne ne doit pas se limiter seulement à la nourriture: en particulier durant le carême, on doit jeûner de ce qui nous donne une certaine dépendance. Que chacun y réfléchisse pour faire un jeûne qui affecte vraiment sa vie concrète.
Mais si la prière, la charité et le jeûne doivent mûrir dans le secret, leurs effets ne sont pas secrets. La prière, la charité et le jeûne ne sont pas des remèdes seulement pour soi, mais pour tous: ils peuvent en effet changer l’histoire. Tout d’abord parce que celui qui en éprouve les effets, presque sans s’en rendre -compte, les transmet aussi aux autres; et surtout parce que la prière, la charité et le jeûne sont les voies principales qui permettent à Dieu d’intervenir dans notre vie et dans la vie du monde. Ce sont les armes de l’esprit, et c’est avec elles que, en cette journée de prière et de jeûne pour l’Ukraine, nous implorons de Dieu cette paix que les hommes à eux seuls ne parviennent pas à construire.
O Seigneur, Toi qui vois dans le secret et qui nous récompenses au-delà de toute attente, écoute la -prière de ceux qui se confient à Toi, surtout celle des plus humbles, des plus éprouvés, de ceux qui souffrent et qui fuient sous le vacarme des armes. Remets dans les cœurs la paix, redonne à nos jours ta paix. Amen.