«Ecouter avec l’oreille du cœur»: tel est le -thème choisi par le Pape François pour le message en vue de la Journée mondiale pour les communications sociales 2022, qui sera célébrée le dernier dimanche de mai. Nous publions ci-dessous le texte du document pontifical, rendu public comme de coutume le 24 janvier, mémoire de saint François de Sales, patron de la presse catholique.
Ecouter avec l’oreille du cœur
Chers frères et sœurs!
L’année dernière, nous avons réfléchi à la nécessité de «venir et voir» pour découvrir la réalité et pouvoir la raconter à partir de l’expérience des événements et de la rencontre avec les personnes. En poursuivant dans cette ligne, je voudrais maintenant porter l’attention sur un autre verbe, «écouter», qui est décisif dans la grammaire de la communication et condition pour un dialogue authentique.
En effet, nous perdons la capacité d’écouter ceux qui sont en face de nous, tant dans le cours normal des relations quotidiennes que dans les débats sur des questions plus importantes de la vie civile. Parallèlement, l’écoute connaît un nouveau développement important dans le domaine de la communication et de l’information, à travers les différentes offres de podcast et de chat audio, confirmant qu’elle reste essentielle pour la communication humaine.
On a demandé à un illustre médecin, habitué à soigner les blessures de l’âme, quel était le plus grand besoin des êtres humains. Il a répondu: «Le désir illimité d’être écouté». Un désir qui reste souvent caché, mais qui interpelle tous ceux qui sont appelés à être éducateurs ou formateurs, ou qui de toute façon jouent le rôle de communicateurs: parents et enseignants, pasteurs et agents pastoraux, professionnels de l’information et ceux qui exercent un service social ou politique.
Ecouter avec l’oreille du cœur
Des pages de la Bible nous apprenons que l’écoute n’a pas seulement le sens d’une perception acoustique, mais qu’elle est essentiellement liée à la relation de dialogue entre Dieu et l’humanité. «Shema’ Israël — Ecoute, Israël» (Dt 6, 4), l’incipit du premier commandement de la Torah, est sans cesse répété dans la Bible, au point que saint Paul affirmera que «la foi vient de l’écoute» (Rm 10, 17). L’initiative, en effet, revient à Dieu qui nous parle, à qui nous répondons en l’écoutant; et même cette écoute, au fond, vient de sa grâce, comme cela arrive au nouveau-né qui répond au regard et à la voix de sa mère et de son père. Parmi les cinq sens, celui que Dieu privilégie semble être l’ouïe, peut-être parce qu’elle est moins envahissante, plus discrète que la vue, et laisse donc l’être humain plus libre.
L’écoute correspond au style humble de Dieu. C’est cette action qui permet à Dieu de se révéler comme Celui qui, en parlant, crée l’homme à son image, et en l’écoutant le reconnaît comme son interlocuteur. Dieu aime l’homme: c’est pourquoi il lui adresse la Parole, c’est pourquoi il «tend l’oreille» pour l’écouter.
L’homme, au contraire, a tendance à fuir la relation, à tourner le dos et à «se boucher les oreilles» pour ne pas avoir à écouter. Le refus d’écouter finit souvent par devenir une agression envers l’autre, comme cela arriva aux auditeurs du diacre Etienne qui, se bouchant les oreilles, se précipitèrent tous ensemble sur lui (cf. Ac 7, 57).
D’un côté, il y a donc Dieu, qui se révèle toujours en se communiquant gratuitement, et de l’autre il y a l’homme, à qui il est demandé de se mettre à l’unisson, d’écouter. Le Seigneur appelle explicitement l’homme à une alliance d’amour, afin qu’il puisse devenir pleinement ce qu’il est: l’image et la ressemblance de Dieu dans sa capacité d’écouter, d’accueillir, de faire de la place à l’autre. L’écoute, au fond, est une dimension de l’amour.
C’est pourquoi Jésus appelle ses disciples à vérifier la qualité de leur écoute. «Faites donc attention à comment vous écoutez» (Lc 8, 18): c’est ce à quoi il les exhorte après avoir raconté la parabole du semeur, suggérant qu’il ne suffit pas d’écouter, encore faut-il le faire bien. Seul celui qui accueille la Parole avec un cœur «beau et bon» et la garde fidèlement, porte des fruits de vie et de salut (cf. Lc 8, 15). Ce n’est qu’en faisant attention à qui nous écoutons, à ce que nous écoutons et à comment nous écoutons, que nous pouvons grandir dans l’art de communiquer, dont le centre n’est pas une théorie ou une technique, mais la «capacité du cœur qui rend possible la proximité» (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 171).
Nous avons tous des oreilles, mais bien souvent, même celui qui a une ouïe parfaite n’arrive pas à écouter l’autre. Il existe en fait une surdité intérieure, pire que la surdité physique. L’écoute, en effet, ne concerne pas seulement le sens de l’ouïe, mais l’ensemble de la personne. Le véritable siège de l’écoute est le cœur. Le roi Salomon, bien que très jeune, se révéla sage car il demanda au Seigneur de lui accorder «un cœur qui écoute» (1 Rois 3, 9). Et saint Augustin nous invite à écouter avec le cœur (corde audire), à recevoir les paroles non pas extérieurement dans nos oreilles, mais spirituellement dans nos cœurs: «N’ayez pas le cœur dans les oreilles, mais les oreilles dans le cœur».1 Et saint François d’Assise exhortait ses frères à «incliner l’oreille du cœur».2
Ainsi, la première écoute à redécouvrir lorsqu’on recherche une communication réelle est l’écoute de soi, de nos besoins les plus réels, ceux inscrits au plus profond de chaque personne. Et nous ne pouvons que repartir de l’écoute de ce qui nous rend uniques dans la création: le désir d’être en relation avec les autres et avec l’Autre. Nous ne sommes pas faits pour vivre comme des atomes, mais pour vivre ensemble.
L’écoute comme condition
de la bonne communication
Il existe un usage de l’ouïe qui n’est pas une véritable écoute, mais son contraire: écouter en secret. De fait, une tentation omniprésente qui, à l’ère du web social, semble s’être accentuée, est celle d’écouter et d’espionner, instrumentalisant les autres à notre profit. Au contraire, ce qui rend la communication bonne et pleinement humaine, c’est précisément l’écoute de la personne en face de nous, face à face, l’écoute de l’autre duquel nous nous approchons avec une ouverture loyale, confiante et honnête.
Le manque d’écoute, dont nous faisons si souvent l’expérience dans la vie quotidienne, est malheureusement avéré aussi dans la vie publique, où, au lieu de nous écouter les uns les autres, nous «parlons dans le dos des autres». C’est révélateur du fait que, plutôt que de chercher la vérité et le bien, nous recherchons le consen-sus; plutôt que d’écouter, nous prêtons attention à l’audience. La bonne communication, en revanche, ne cherche pas à impressionner le public avec une réplique choc, dans le but de ridiculiser l’interlocuteur, mais elle prête attention aux raisons de l’autre et cherche à saisir la complexité de la réalité. Il est triste quand, même dans l’Eglise, des alignements idéologiques se forment, l’écoute disparaît et cède la place aux oppositions stériles.
En réalité, dans de nombreux dialogues, nous ne communiquons en fait pas du tout. Nous attendons simplement que l’autre personne finisse de parler pour imposer notre point de vue. Dans ces situations, comme le note le philosophe Abraham Kaplan3, le dialogue est un duo-logue, un monologue à deux voix. Dans la vraie communication, en revanche, le «je» et le «tu» sont tous deux «en sortie», tendus l’un vers l’autre.
L’écoute est donc le premier ingrédient indispensable du dialogue et de la bonne communication. On ne communique pas si on n’est pas avant tout écouté, et on ne fait pas de bon journalisme sans la capacité d’écouter. Pour offrir une information solide, équilibrée et complète, il est nécessaire d’avoir écouté pendant long-temps. Pour raconter un événement ou décrire une réalité dans un reportage, il est essentiel d’avoir su écouter, disposé même à changer d’avis, à modifier ses propres hypothèses ini-tiales.
En effet, ce n’est qu’en sortant du monologue que l’on peut parvenir à la concordance des voix qui est la garantie d’une véritable communication. Ecouter plusieurs sources, «ne pas s’arrêter à la première taverne» — comme nous l’enseignent les experts en la matière — garantit la fiabilité et le sérieux des informations que nous transmettons. Ecouter plusieurs voix, s’écouter les uns les autres, même dans l’Eglise, entre frères et sœurs, nous permet d’exercer l’art du discernement, qui apparaît toujours comme la capacité de s’orienter dans une symphonie de voix.
Mais pourquoi affronter la difficulté de l’écoute? Un grand diplomate du Saint-Siège, le cardinal Agostino Casaroli, parlait du «martyre de la patience», nécessaire pour écouter et se faire entendre dans les négociations avec les interlocuteurs les plus difficiles, afin d’obtenir le plus grand bien possible dans des conditions de limitation de la liberté. Mais aussi dans des situations moins difficiles, l’écoute requiert toujours la vertu de la patience, ainsi que la capacité de se laisser surprendre par la vérité, même si ce n’est qu’un fragment de vérité, chez la personne que nous sommes en train d’écouter. Seul l’étonnement permet la connaissance. Je pense à la curiosité infinie de l’enfant qui regarde le monde qui l’entoure avec des yeux grands ouverts. Ecouter dans cet état d’esprit — l’émerveillement de l’enfant dans la conscience d’un adulte — est toujours enrichissant, car il y aura toujours quelque chose, aussi petit soit-il, que je pourrai apprendre de l’autre personne et mettre à profit dans ma propre vie.
La capacité d’écouter la société est plus précieuse que jamais en cette époque meurtrie par la longue pandémie. Tant de méfiance accumulée auparavant concernant l’«information officielle» a également provoqué une «infodémie», dans laquelle on a toujours plus de peine à rendre plus crédible et plus transparent le monde de l’information. Nous devons prêter l’oreille et écouter profondément, notamment le malaise social accentué par le ralentissement ou l’arrêt de nombreuses activités économiques.
La réalité de la migration forcée est également une question complexe et personne n’a de recette toute faite pour la résoudre. Je répète que pour surmonter les préjugés sur les migrants et dénouer la dureté de nos cœurs, il faudrait essayer d’écouter leurs histoires; donner un nom et une histoire à chacun d’eux. Beaucoup de bons journalistes le font déjà. Et beau-coup d’autres voudraient le faire, si seulement ils le pouvaient. Encourageons-les! Ecoutons ces histoires! Chacun sera alors libre de soutenir les politiques migratoires qu’il juge les plus appropriées pour son pays. Mais nous aurons de toute façon devant les yeux, non pas des chiffres, non pas de dangereux envahisseurs, mais des visages et des histoires de personnes concrètes, des regards, des attentes, des souffrances d’hommes et de femmes à écouter.
S’écouter dans l’Eglise
Même dans l’Eglise, il y a un grand besoin d’écouter et de s’écouter. C’est le don le plus précieux et le plus généreux que nous pouvons offrir les uns les autres. Nous, chrétiens, nous oublions que le service de l’écoute nous a été confié par celui qui est l’auditeur par excellence, à l’œuvre duquel nous sommes appelés à participer. «Nous devons écouter à travers l’oreille de Dieu, si nous voulons être capables de parler à travers sa Parole»4. C’est ainsi que le théologien protestant Dietrich Bonhoeffer nous rappelle que le premier service que nous devons aux autres dans la communion est de les écouter. Celui qui ne sait pas écouter son frère ne sera bientôt plus capable d’écouter Dieu non plus5.
Dans l’action pastorale, le travail le plus important est «l’apostolat de l’oreille». Ecouter, avant de parler, comme l’exhorte l’apôtre Jacques: «Que chacun soit prompt à écouter, lent à parler» (1, 19). Donner gratuitement un peu de son temps pour écouter les gens est le premier geste de charité.
Un processus synodal vient d’être récemment lancé. Prions pour qu’il soit une grande occasion d’écoute réciproque. La communion, en effet, n’est pas le résultat de stratégies ni de programmes, mais elle se construit dans l’écoute réciproque entre frères et sœurs. Comme dans une chorale, l’unité ne requiert pas l’uniformité, la monotonie, mais la pluralité et la variété des voix, la polyphonie. Au même moment, chaque voix de la chorale chante en écoutant les autres voix et en relation avec l’harmonie de l’ensemble. Cette harmonie est conçue par le compositeur, mais sa réalisation dépend de la symphonie de toutes les voix et de chacune d’elles.
En prenant conscience que nous participons à une communion qui nous précède et nous inclut, nous pouvons redécouvrir une Eglise symphonique dans laquelle chacun est en mesure de chanter avec sa propre voix, en accueillant celles des autres comme un don, pour manifester l’harmonie de l’ensemble que l’Esprit Saint compose.
Rome, de Saint Jean de Latran,
le 24 janvier 2022,
Mémoire de saint François de Sales
1 «Nolite habere cor in auribus, sed aures in corde» (Sermo 380, 1: Nuova Biblioteca Agostiniana 34, 568).
2 Lettre à tout l’Ordre: Fonti Francescane, p. 216.
3 Cf. The life of dialogue, in J. D. Roslansky ed., Communication. A discussion at the Nobel Conference, North-Holland Publishing Company – Amsterdam 1969, pp. 89-108.
4 D. Bonhoeffer, La vita comune, Queriniana, Brescia 2017, p. 76.
5 Cf. Ibid., p. 75.