Je ne suis qu’un pécheur qui cherche à faire le bien

 Je ne suis qu’un pécheur  qui cherche à faire le bien  FRA-037
14 septembre 2021

Contrairement aux prétendues rumeurs qui circulent dans les médias italiens et argentins, le pontificat de François, qui en est presque à sa neuvième année, ne se terminera pas de façon prochaine: «Il ne m’a jamais traversé l’esprit de démissionner», assure le Pape. L’entretien qu’il a accordé le week-end dernier à Radio Cope, la radio de la conférence épiscopale espagnole, a duré une heure et demie. C’était la première interview du Pape depuis son opération.

L’état de santé du Pape
deux mois après son hospitalisation

En conversation avec le journaliste Carlos Herrera, sous le regard du tableau de Marie qui défait les nœuds, exposé dans le hall de la Maison Sainte-Marthe, le Pape aborde tous les sujets d’actualité et ne recule pas devant les questions les plus personnelles. En commençant par la question la plus simple mais, en cette période de rétablissement post-opératoire, la plus importante: «Comment allez-vous?». «Je suis toujours en vie», répond François avec un sourire. Et il raconte que c’est un infirmier du service de santé du Saint-Siège, «un homme avec plus de 30 ans d’expérience», qui lui a «sauvé la vie» en insistant pour qu’il soit opéré: «Il m’a sauvé la vie! Il m’a dit: “Il faut vous opérer”», explique le Pape.

Et ce, malgré l’avis contraire de certains qui suggéraient plutôt un traitement «aux antibiotiques». L’insistance de l’infirmier s’est avérée providentielle, car l’opération a révélé une section nécrosée: maintenant, après l’opération, révèle François avec précision, «j’ai 33 centimètres d’intestin en moins». Cela ne l’empêche toutefois pas de mener une vie «tout à fait normale». «Je peux manger de tout», assure-t-il, et, en prenant «les médicaments appropriés», assurer tous les engagements inscrits à son agenda de rentrée, qui comprend également le voyage en Slovaquie et en Hongrie du 12 au 15 septembre, le 34e de son pontificat.

La démission de François
n’est pas à l’ordre du jour

Toujours à propos de sa santé, le Pape dément catégoriquement les spéculations de certains journaux italiens et argentins sur une éventuelle démission du siège de Pierre. Interrogé à ce sujet, François a déclaré: «Cela ne m’a jamais traversé l’esprit... Je ne sais pas où ils ont eu l’idée que je démissionnerais!». Avec une pointe d’ironie, François reconnaît que dans la presse, «chaque fois qu’un Pape est malade, souffle toujours une brise ou un ouragan de Conclave».

Des «petits ajustements»
dans l’organisation de la Curie romaine

La réforme de la Curie romaine, de nouveaux progrès dans la transparence des finances du Vatican et la prévention des cas d’abus au sein de l’Eglise sont les trois dossiers sur lesquels le Pape travaille intensément. En ce qui concerne la réforme de la Curie, François assure que «cela avance pas à pas» et révèle que cet été, il était sur le point de terminer la lecture et la signature de la nouvelle constitution apostolique Praedicate Evangelium, dont la publication a toutefois été retardée «à cause de ma maladie», précise-t-il.

François précise cependant que ce texte «ne contiendra rien de nouveau par rapport à ce que nous voyons actuellement», seulement quelques fusions de dicastères, comme l’éducation catholique avec le Conseil pontifical pour la culture, et le Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation qui rejoindra Propaganda Fide. «De petits ajustements», explique le Pape.

La crise en Afghanistan

Un large espace dans l’interview est consacré à l’actualité internationale la plus grave de cet été, la crise en Afghanistan, meurtrie par les attentats et l’hémorragie de citoyens après la prise de pouvoir des talibans. «Une situation difficile», note le Pape François, qui ne s’étend pas sur les efforts que le Saint-Siège déploie au niveau diplomatique pour éviter les représailles contre la population, mais salue le travail de la secrétairerie d’Etat.

Le Pape exprime son estime pour la chancelière allemande Angela Merkel, «une des grandes figures de la politique mondiale», qui avait déclaré dans son discours du 20 août à Moscou: «Il faut mettre fin à la politique irresponsable qui consiste à intervenir de l’extérieur et à construire la démocratie dans d’autres pays, en ignorant les traditions des peuples». «J’ai ressenti un sentiment de sagesse face aux paroles de cette femme», explique François.

Le Pape définit comme «licite» le retrait des Etats-Unis d’Afghanistan, après vingt ans d’occupation, même si «l’écho qui résonne en moi est autre chose», ou plutôt le fait de «laisser le peuple afghan à son sort». Il lui semble que la sortie du pays n’a pas été bien négociée: «Pour autant que je puisse voir, toutes les éventualités n’ont pas été envisagées ici, il semble, je ne veux pas juger, pas toutes les éventualités. Je ne sais pas s’il y aura une révision ou non, mais il y a certainement eu beaucoup de tromperie, peut-être de la part des nouvelles autorités. Je dis tromperie ou beaucoup de naïveté, je ne comprends pas».

Le dialogue avec la Chine

De l’Afghanistan, le regard se déplace vers la Chine et l’accord sur la nomination des évêques renouvelé pour deux ans. «Il y a ceux qui insistent pour que vous ne renouveliez pas l’accord que le Vatican a signé avec ce pays car cela met en danger son autorité morale», note le journaliste. «La Chine n’est pas facile, mais je suis convaincu que nous ne devons pas abandonner le dialogue», répond le Pape. «On peut être trompé dans le dialogue, on peut faire des erreurs, tout ça... mais c’est la voie à suivre. Mais c’est la voie à suivre. Ce qui a été réalisé jusqu’à présent en Chine, c’est au moins le dialogue... certaines choses concrètes comme la nomination de nouveaux évêques, lentement... Mais ce sont aussi des étapes qui peuvent être discutables et les résultats, d’un côté ou de l’autre».

Pour le Pape, un point de référence et d’inspiration est le cardinal Agostino Casaroli, longtemps secrétaire d’Etat sous le pontificat de Jean--Paul ii, et qui fut déjà avec Jean xxiii «l’homme chargé de jeter des ponts avec l’Europe centrale». François cite «un très beau livre», Le martyre de la patience, dans lequel le cardinal raconte ses expériences dans les pays communistes: «C’était un petit pas après l’autre, pour construire des ponts... Lentement, lentement, il gagnait des relations diplomatiques qui lui permettaient finalement de nommer de nouveaux évêques et de prendre soin du peuple fidèle de Dieu. Aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, nous devons suivre pas à pas ces voies du dialogue dans les situations les plus conflictuelles». L’expérience avec l’islam, avec le grand imam Al-Tayyeb, a été très positive dans ce sens: «Le dialogue, toujours le dialogue ou la disponibilité au dialogue».

Les défis du pontificat

Et le dialogue est l’une des pierres angulaires des huit années de son pontificat que le Pape François passe en revue au cours de l’entretien. En partant de son élection le 13 mars 2013, totalement inattendue en passant par les différents défis qu’il a affrontés, toujours dans le but de mettre en œuvre ce qui avait été convenu par les cardinaux lors des congrégations générales de pré-conclave, le tout résumé dans Evangelii gaudium: «Je pense qu’il y a encore plusieurs choses à faire, mais je n’ai rien inventé. J’obéis à ce qui a été établi à l’époque».

Le procès du Vatican

La lutte contre la corruption dans les finances du Vatican reste un enjeu majeur. «Des progrès ont été réalisés dans la consolidation de la justice dans l’Etat du Vatican», dit le Pape, et cela a permis «à la justice d’être plus indépendante, avec des moyens techniques, également avec des témoignages enregistrés, des choses tech-niques actuelles, la nomination de nouveaux juges, de nouveaux procureurs...». Il évoque le procès qui a débuté le 27 juillet dernier au Vatican pour les actes illicites réalisés avec les fonds de la secrétairerie d’Etat, qui voit parmi les dix accusés l’ancien substitut de la secrétairerie d’Etat, le cardinal Angelo Becciu.

François, rappelant que toute l’affaire a commencé par les plaintes de deux personnes travaillant au Vatican qui ont constaté des irrégularités dans leur travail, a réaffirmé qu’il n’avait «pas peur de la transparence ni de la vérité». Parfois, cela fait très mal, mais la vérité est ce qui nous libère». Quant à Angelo Becciu, dont il a révoqué les prérogatives et les droits en tant que cardinal, il a expliqué que celui-ci est jugé parce que la loi du Vatican le prévoit: «Je souhaite de tout mon cœur qu’il soit innocent. Il a été l’un de mes collaborateurs et m’a beau-coup aidé. C’est quelqu’un pour qui j’ai une certaine estime en tant que personne, donc mon souhait est qu’il s’en sorte bien. Mais c’est une forme affective de la présomption d’innocence... En dehors de la présomption d’innocence, je veux qu’il s’en sorte bien. Maintenant, c’est aux tribunaux de statuer».

Lutter contre la pornographie enfantine

Le Pape a également parlé de justice à l’égard du fléau de la pédophilie. Interrogé à ce sujet, il salue le cardinal Sean O’Malley, président de la Commission pour la protection des mineurs, pour son courage et pour tout le travail accompli contre ce crime depuis qu’il est archevêque de Boston, puis il lance un puissant appel international aux gouvernements pour qu’ils agissent et réagissent contre la pédopornographie, «un problème mondial et grave». «Je me demande parfois comment certains gouvernements autorisent la production de pornographie enfantine. Qu’ils ne disent pas qu’ils ne savent pas. Aujourd’hui, avec les services secrets, on sait tout. Un gouvernement sait qui, dans son pays, produit de la pornographie pédophile. Pour moi, c’est l’une des choses les plus monstrueuses que j’aie jamais vues», s’insurge François.

L’euthanasie,
un signe de la culture du déchet

Avec la même vigueur, le Pape aborde également la question de l’euthanasie, à la lumière des récentes lois en vigueur en Espagne. La légalisation de cette pratique est un signe de la «culture du jetable» qui imprègne désormais les sociétés modernes: «Ce qui est inutile est jeté. Les personnes âgées sont jetables: elles sont une nuisance. Même les malades en phase terminale; même les enfants non désirés, et ils sont renvoyés à l’expéditeur avant leur naissance», dit-il.

C’est cette «culture de la mise au rebut», dénoncée depuis le début du pontificat, qui a un grand impact sur «l’hiver démographique» de l’Occident et qui touche particulièrement des pays comme l’Italie, où l’âge -moyen est de 47 ans. «La pyramide s’est inversée... La culture démographique est en perte de vitesse car elle regarde le profit. On regarde de l’avant... et parfois avec compassion. Ce que l’Eglise demande, c’est d’aider les gens à mourir dans la dignité. Elle l’a toujours fait», a commenté François. Il n’a pas manqué de stigmatiser une nouvelle fois l’avortement: «Face à une vie humaine, je me pose deux questions: est-il licite d’éliminer une vie humaine pour résoudre un problème? Est-il juste d’engager un tueur à gages pour résoudre un problème?».

L’espoir d’être à Glasgow pour la cop 26

Le Pape parle également des abus par rapport à la création, l’une de ses préoccupations les plus profondes, mûrie au cours des années de son pontificat. François espère être présent à la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (cop26) qui se tiendra du 1er au 12 novembre à Glasgow: «En principe, il est prévu que j’y aille. Tout dépend de ma santé à ce moment-là. Mais, en fait, mon discours est déjà en préparation, et le programme est arrêté».

François révèle d’ailleurs qu’il avait publié son encyclique Laudato si’ quelques mois avant la cop21, sur une suggestion de la ministre française de l’écologie de l’époque, Ségolène Royal, avec qui il s’était entretenu en marge de sa visite à Strasbourg, en novembre 2014.

Le motu proprio Traditionis custodes

L’interview aborde ensuite le motu proprio Traditionis custodes, qui réglemente les Messes en latin et qui avait suscité cet été une certaine controverse dans les secteurs ecclésiastiques les plus conservateurs. Le Pape a répondu à une question sur le sujet en énumérant la chronologie qui a conduit à la signature du document: «L’histoire de Traditionis custodes est longue. Lors-que Benoît xvi a permis de célébrer avec le missel de Jean xxiii (antérieur à celui de Paul vi, qui est post-conciliaire) pour ceux qui ne se sentaient pas à l’aise avec la liturgie actuelle, qui avaient une certaine nostalgie... cela m’a semblé être l’une des actions pastorales les plus belles et les plus humaines de Benoît xvi, qui est un homme d’une profonde humanité. Et c’est ainsi que tout a commencé. C’était la raison», souligne le Pape.

Mais il apporte cette précision suite à une certaine dérive constatée par de nombreux évêques: «La préoccupation qui apparaissait la plus évidente était que quelque chose fait pour aider pastoralement ceux qui avaient vécu une expérience antérieure, se transforme en une idéologie. En d’autres termes, une chose pastorale s’est transformée en idéologie. Nous avons donc dû réagir avec des règles claires... Si vous lisez bien la lettre et si vous lisez bien le décret, vous verrez qu’il s’agit simplement d’une réorganisation constructive, avec une attention pastorale et en évitant les excès», précise François.

Recommandations
au dicastère pour la communication

Dans cette interview, le Pape revient également sur sa visite du 24 mai au dicastère pour la communication et ses mots adressés aux employés des médias du Vatican. «Etait-ce une réprimande?» demande le journaliste. «La réaction m’a amusé», explique le Pape, avant d’apporter cette explication: «J’ai dit deux choses. Tout d’abord, une question: combien de personnes lisent L’Osservatore Romano?. Je n’ai pas dit si on le lit beaucoup ou peu. C’était une question. Je pense que c’est légitime de demander ça, non? Et la deuxième question, qui était plus thématique, (je l’ai posée) quand, après avoir vu tout le nouveau travail de regroupement, le nouvel organigramme, la fonctionnalisation, j’ai parlé de la maladie des organigrammes, qui donne à une réalité une valeur plus fonctionnelle que réelle. Et je dis: avec toute cette fonctionnalité, qui est de bien fonctionner, il ne faut pas tomber dans le fonctionnalisme. Le fonctionnalisme est le culte des organigrammes sans tenir compte de la réalité. Il semble que quelqu’un n’ait pas compris ces deux choses que j’ai dites, ou peut-être que quelqu’un n’a pas aimé, et, je ne sais pourquoi, l’a interprété comme un reproche. C’est une chose normale, c’est une question et un avertissement. Oui... Peut-être que certaines personnes se sont senties mises à l’écart. Je pense que le dicastère est très prometteur, c’est le dicastère qui a le plus gros budget de la Curie en ce moment, il est dirigé par un laïc — j’espère qu’il y en aura bientôt d’autres dirigés par un laïc ou une laïque — et il décolle avec de nouvelles réformes. «L’Osservatore Romano», que j’appelle «le journal du parti», a fait de grands progrès et l’effort culturel qu’il fait est merveilleux».

Buenos Aires lui manque

Le Pape répond aussi à des questions plus personnelles sur des sujets tels que sa relation avec sa famille, en particulier avec sa grand-mère Rosa, son soutien à l’équipe de football de San Lorenzo, son sentiment d’être «un pécheur qui essaie de faire le bien».

Le Pape François révèle qu’il n’est pas un homme aux larmes faciles, -même s’il est vrai que certaines situations engendrent chez lui de la tristesse, et avoue que ce qui lui manque le plus de son séjour à Buenos Aires, c’est de «marcher d’une paroisse à l’autre» ou marcher les jours de brouillard dense de l’automne argentin en écoutant la musique du compositeur argentin Astor Piazzolla. «J’adorerais marcher dans la rue, mais je dois renoncer, car je ne pourrais pas faire dix mètres», reconnaît-il (Salvatore Cernuzio).