Le 6 août 1945 «Little Boy» était lancé sur Hiroshima, transformant les équilibres géopolitiques du monde

La bombe atomique un tournant tragique

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18 août 2021

Le 6 août 1945, le lancement de l’arme nucléaire connu sous le nom de «Little Boy» sur la ville japonaise de Hiroshima marquait l’un des chapitres les plus importants et tragiques de l’histoire contemporaine, influençant définitivement le cours immédiat de la Seconde Guerre mondiale et le système des relations internationales pour les décennies à venir. L’utilisation de ce qui a été défini par l’administration des Etats-Unis comme «l’arme ultime» a entraîné la mort de plus de 100.000 personnes, obligeant l'empereur japonais Hiro Hito à convoquer le Conseil suprême de guerre impérial pour mettre fin au conflit. En effet, même les militaires les plus intransigeants se rendirent compte que leur volonté de se battre jusqu’au dernier homme n’avait plus aucun sens face à une telle dévastation.

La capitulation de l’empire, annoncée publiquement le 14 août, ne fut pas assez rapide pour éviter le lancement d’une deuxième bombe sur Nagasaki le 9 août, qui provoqua un nombre tout aussi terrifiant de victimes. Ainsi se concluait le deuxième conflit mondial, tandis que le président américain Harry S. Truman définissait l’instrument qui avait conduit à la victoire des alliés comme «l’événement le plus impressionnant de l’histoire».

La mise au point de la bombe atomique représente sans aucun doute l’un des moments-clés du siècle dernier. La possession d’un unique engin ayant la capacité de destruction de 15.000 tonnes de tnt a fait des Etats-Unis de l’époque une puissance de guerre inégalée, déclenchant une série de conséquences significatives, tant sur le plan militaire que politique.

Les recherches scientifiques sur la fission de l’atome, processus de base pour la fabrication d’une arme nucléaire, étaient en cours dès la fin des années 30 en Allemagne et en Union soviétique, ainsi qu’aux Etats-Unis. Le programme allemand fut ensuite abandonné sur ordre d’Adolf Hitler, qui jugeait plus utile de réaffecter les fonds à la recherche sur les missiles, tandis que le programme soviétique fut soudainement interrompu par la tentative d’invasion nazie en 1941. Ce fut précisément alors que les Etats-Unis, avec le soutien du Canada et du Royaume-Uni, décidèrent d’approfondir leurs recherches. L’initiative demeura toutefois secrète pour la plus grande partie du cabinet présidentiel et du Congrès, au point que le président Truman lui-même n’en prit connaissance qu’après avoir succédé à Franklin Delano Roosevelt comme président.

Le projet Manhattan, du nom du quartier de New York qui abritait le siège de la direction, a rassemblé certains des cerveaux les plus illustres de l’époque, d’Enrico Fermi à J. Robert Oppenheimer, avec un budget d’environ deux milliards de dollars. Ce fut précisément Enrico Fermi, en décembre 1942, qui reproduisit avec succès la première réaction nucléaire à chaîne auto-entretenue, un passage que de nombreux historiens ont défini par la suite comme le début de l’ère nucléaire. Les recherches se poursuivirent pendant plusieurs années jusqu’au fameux Trinity Test, la première détonation d’une arme nucléaire, qui eut lieu le 16 juillet 1945 sur la base militaire américaine d’Almagordo au Nouveau-Mexique. Ce même jour s’ouvrait la conférence des alliés de Post-dam entre Truman, Staline et Churchill, et la conscience d’avoir accès à une arme aussi dévastatrice conduisit le président américain à formuler des conditions de capitulation assez sévères à l’encontre du Japon, seule force de l’Axe demeurée belligérante. Le refus de Hiro Hito, dû au manque de garanties quant au sort des institutions impériales, conduisit finalement les Alliés à attaquer les deux villes.

Pour le gouvernement des Etats Unis, l’utilisation de la bombe atomique représentait une opportunité sans précédent de mettre fin à une guerre épuisante et qui avait déjà fait payer un lourd tribut en termes de vies humaines. Les forces militaires américaines dans le Pacifique, guidées par le général Douglas MacArthur, planifiaient déjà depuis long-temps une invasion navale du territoire japonais, mais elles étaient con-scientes qu’une telle opération aurait comporté de lourdes pertes et prolongé le conflit au moins jusqu’en novembre.

Toutefois, la décision de lancer la bombe se heurta à de nombreuses résistances: un grand nombre des scientifiques qui avaient eux-
mêmes collaboré au développement de l’arme, s’étant ensuite rendus compte de son danger, firent pression pour que son utilisation soit limitée à l’intimidation. A ce propos, les paroles macabres prononcées par J. Robert Oppenheimer suite au Trinity Test, sont restées célèbres: «Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes».

Placés face à la nécessité de mettre définitivement terme à la guerre, J. Robert Oppenheimer, Enrico Fermi et leurs collègues acceptèrent finalement la décision de l’attaque sur Hiroshima, reconnaissait l’absence «d’alternatives acceptables à l’utilisation militaire directe». Le général Leslie Groves, directeur exécutif du Projet Manhattan, décida ensuite d’utiliser un seul avion pour lancer un seul engin, afin de maximiser l’impact de la nouvelle arme.

Avec l’aide d’autres collègues, parmi lesquels également Albert Einstein, les scientifiques nucléaires fondèrent par la suite une revue appelée «Bulletin of Atomic Scientists» dans le but d’informer le monde et la communauté scientifique sur le danger du nucléaire, défini comme «le vase de Pandore de la science moderne».

En plus de plier définitivement le Japon, l’utilisation de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki eut également un impact bouleversant sur les alliés des Etats-Unis, et en particulier sur l’Union soviétique. Au lendemain du bombardement, Stalin convoqua Igor Kurchatov, le plus grand expert soviétique de physique nucléaire, en lui demandant de développer une arme analogue dans les plus brefs délais afin de combler le gigantesque écart militaire qui s’était créé. La décision des Etats-Unis de ne pas partager les détails -techniques de la bombe atomique, dictée également par la certitude d’un avantage technologique qui pouvait difficilement être rattrapé en quelques années, contribua à accroître le climat de méfiance entre les deux superpuissances. L’union soviétique réussit en revanche à abréger considérablement les temps, notamment grâce à la contribution de George Koval, un espion infiltré dans le Projet Manhattan, et effectua son premier essai d’une arme nucléaire dans le désert du Kazakhstan en août 1949.

La présence de deux superpuissances dotées d’armes nucléaires allait -ainsi définir le monde au cours des décennies qui suivirent, créant un climat de forte tension dû à la crainte d'une destruction réciproque et donnant -ainsi naissance à la guerre froide et à la logique de la dissuasion. Les conflits entre pays voisins, les alliances stratégiques et les nombreux traités de non-prolifération nucléaire sont autant de conséquences de cet événement historique, dont l’influence sur le présent est encore tangible. Avec les nombreux débats suscités par l’utilisation d’armements de conception moderne, tels que les armes chimiques, les explosifs à sous-munition et, plus récemment, les drones et les armes automatiques, le débat nucléaire a toujours été présent au point de déterminer encore les relations entre certains Etats. L’exemple sans doute le plus flagrant de cela est représenté par les négociations complexe

s pour l’accord entre les Etats-Unis et l’Iran sur le nucléaire, en cours depuis des mois et qui ne sont pas encore prêtes d’aboutir. Il faut en outre rappeler que les armes nucléaires actuelles ont atteint une puissance -moyenne de 1,5 mégatonnes, soit 100 fois celle de l’arme larguée sur Hiroshima.

Giovanni Benedetti