Clemens August von Galen, le «Lion de Münster», fut l’opposant le plus obstiné du programme nazi

L’évêque qui s’éleva contre Hitler

 L’évêque qui s’éleva contre Hitler  FRA-033
18 août 2021

En 1942, en pleine guerre, le «New York Times» publiait une série d’articles sur des hommes d’Eglise qui s’opposaient à Hitler. Le 8 juin de cette année-là, le quotidien des Etats-Unis inaugurait la rubrique intitulée Churchmen Who Defy Hitler par un article sur l’évêque allemand Clemens August von Galen, le définissant ainsi: «L’opposant le plus obstiné du programme national-socialiste anti-chrétien».

Le premier biographe de Mgr von Galen, le père Heinrich Portmann, avait souligné une coïncidence: «Mgr von Galen a exercé sa charge d’évêque pendant une période de temps égale à celle d’Adolf Hitler. Il fut consacré évêque neuf mois après qu’Hitler avait pris le pouvoir et il est mort environ neuf mois après la mort du Führer». Ce qui est certain est que, quand le 5 septembre 1933, Pie xi nomma Clemens August successeur de la chaire de saint Ludger à Münster, les casques d’acier avec les croix gammées du Troisième Reich présents à la cérémonie solennelle de son installation n’imaginaient pas encore les difficultés que ce prélat de Westphalie, aux origines aristocratiques et aux sentiments patriotiques bien ancrés, allait leur procurer. Mgr Von Galen fut le premier évêque élu au cours du Troisième Reich. Le premier après le Reichskonkordat signé avec le Saint-Siège le 20 juillet 1933, et il fut l’un des premiers évêques allemands non seulement à deviner et à démasquer avec une extrême lucidité et fermeté les mensonges de la propagande du régime et le danger de l’idéologie du nazisme, mais également à dénoncer avec force et publiquement les crimes et la barbarie nazis.

Dans ses trois célèbres prédications de l’été d’il y a 80 ans, il dénonça publiquement également le monstrueux projet nazi t 4 pour l’élimination des «vies sans valeur». «Que ni les -louanges ni la crainte des hommes ne nous poussent», avait-il dit en 1933 en expliquant la devise épiscopale qu’il avait choisie: Nec laudibus nec timore. Et dès 1934, quand Alfred Rosenberg — le principal théoricien du national-socialisme nommé substitut du Führer pour la direction spirituelle et idéologique du parti — fait diffuser massivement son Mythe du xx e siècle, Mgr von Galen, dans sa première lettre pastorale diocésaine de Pâques 1934, condamne sans réserve la Weltanschauung néopaïenne du nazisme, en soulignant le caractère religieux de cette idéologie: «Une nouvelle doctrine totalitaire néfaste qui place la race au-dessus de la morale, le sang au-dessus de la loi, et répudie la révélation, vise à détruire les fondements du christianisme. C’est une tromperie religieuse. Il arrive même parfois que ce nouveau paganisme se cache sous des noms chrétiens».

Mais c’est avec les prédications de l’été 1941 que l’évêque devint célèbre dans le monde entier, ce qui lui valut sur le terrain le surnom de Lion de Münster. La première prédication date du 12 juillet quand, ayant appris l’occupation des maisons des jésuites dans la Konigstrasse, l’évêque décida d’intervenir publiquement et de démasquer devant tout le monde les ignobles intentions de la Gestapo. Et, de la chaire de l’église Saint-Lambert, il l’indique comme responsable de toutes les violations de la plus élémentaire justice sociale: «Le comportement de la Gestapo porte gravement préjudice à de très larges couches de la population allemande. Au nom du peuple allemand honnête, au nom de la suprématie de la justice, dans l’intérêt de la paix, j’élève ma voix en qualité d’homme allemand, de citoyen, de ministre de la religion catholique, d’évêque catholique, je crie: nous exigeons la justice!».

L’effet de cette première prédication fut foudroyant. Et lors de la deuxième prédication du 20 juillet, l’église était pleine. Les gens étaient venus de loin pour l’écouter. Mgr Van Galen ouvrit encore une fois les yeux sur la folie du projet poursuivi par le pouvoir qui devait conduire le pays à la misère et à la ruine, et s’emporta une fois de plus «contre l’action inique, intolérable qui chasse comme du gibier nos religieux et nos chères sœurs... qui persécute des hommes et des femmes innocentes».

Mais c’est la troisième prédication du 3 août, celle sur le cinquième commandement qui, en raison de la virulence de ses propos, fut jugée par le ministère de la Propagande nationale-socialiste comme «l’attaque directe la plus puissante lancée contre le nazisme au cours de toutes ses années d’existence». L’évêque avait été mis au courant du projet d’extermination des enfants et des personnes âgées handicapés et des malades mentaux dans les hôpitaux de Westphalie. Le projet avait été gardé secret et seuls ceux qui ont vécu l’époque de la dictature nazie peuvent mesurer la signification de ces paroles qu’un évêque osa alors prononcer: «A présent, des innocents sans défense sont tués, tués de façon barbare: des personnes d’autres races, d’origine diverse sont également supprimées. Nous sommes face à une folie meurtrière sans égal... Je ne peux plus appartenir au même peuple que ces gens-là, ces assassins qui piétinent avec orgueil nos vies!». Et il appliquait aux autorités nazies les paroles de l’apôtre Paul: «Ils ont pour dieu leur ventre».

Les prédications eurent une immense diffusion, elles furent même lancées dans le ciel au-dessus de Berlin par la Royal Air Force britannique. Fou de rage et de haine, Hitler jura qu’il lui aurait fait «payer jusqu’au dernier centime». Le chef des organisations de la jeunesse SS écrivit: «Je l’appelle ce porc de C.A., c’est-à-dire Clemens August». Mais Hit-ler savait que l’éliminer aurait également signifié en faire un martyr et renoncer à une grande partie de la population; il décida donc de renvoyer les règlements de comptes à la fin de la -guerre. Pie xii s’intéressait lui aussi directement à la modalité d’action adoptée par le Lion de Münster: «Les trois prédications de l’évêque von Galen nous procurent également à nous, sur le chemin de douleur que nous parcourons avec les catholiques allemands, un réconfort et une satisfaction que nous n’éprouvions pas depuis très longtemps. L’évêque a bien choisi son moment pour élever la voix avec tant de courage».

C’est à travers ces paroles qui retentissent comme une attestation de gratitude, de pleine confirmation et d’approbation dans les intentions et les protestations, que Pie xii , en écrivant le 30 septembre 1941 à l’évêque de Berlin, Konrad von Preysing, commentait l’attaque directe lancée contre le régime d’Hitler de la chaire de la cathédrale de Münster en cet été 1941 et il concluait sa lettre en exprimant son plein soutien: «Il n’est donc pas nécessaire que nous vous assurions expressément, ainsi qu’à vos confrères, que les évêques qui, comme Mgr von Galen, interviennent avec autant de courage et de façon aussi irréprochable, trouveront toujours notre soutien».

Les lettres que Pie xii envoie à l’évêque de Münster de 1940 à 1946 soulignent à plusieurs reprises la convergence d’opinions et l’appréciation envers l’action de l’évêque allemand. Du reste, le signe d’une entente mutuelle est précisément la barrette cardinalice que le Pape Pacelli voulut lui conférer le 21 février 1946 comme choix ad personam.

L’échange de lettre que j’ai pu reconstruire pour la première fois dans son intégralité et traduit en italien en 2006 aux éditions San Paolo, scelle donc un lien constant entre le Pape Pacelli et celui qui, aux yeux de ses contemporains, était considéré comme un symbole de la résistance au nazisme de cette Allemagne qui ne s’était pas laissée uniformiser. Mgr von Galen s’est érigé à une époque inhumaine comme l’avocat des droits divins et de la dignité humaine en devenant la référence pour les hommes de toute confession et race dans la lutte contre l’injustice et l’oppression. Le jour de son décès, le président national de la communauté juive avait immédiatement exprimé son désir de réciter le Kaddish sur sa tombe. Pour tous, ces lettres sont devenues «les pierres milliaires d’une nouvelle Allemagne». Mgr von Galen a été béatifié par Benoît xvi place Saint-Pierre, le 9 octobre 2003. Nous attendons à présent qu’un autre miracle attribué à son intercession l’élève aux honneurs de l’Eglise universelle.

Stefania Falasca