Les Evangiles

La pitié infinie

foto infermiera postata dal medico
03 avril 2021

Des « Marie » de Jésus à l’infirmière de Crémone


En Italie, tout le monde se souvient de la photo-symbole de cette infirmière avec la tête reposant sur le bureau d’un service de l’hôpital de Crémone, épuisée par la fatigue de son travail. L’image d’un abandon qui fait sentir la saveur de ce “sommeil du juste ” que chante le Psautier. Mais également de cette “torpeur” divine que le Créateur fit tomber sur adam lorsqu’avec celui-ci, il “fabriqua” le féminin, “il construisit” la femme (cf. Gn 2, 22). Celle à qui Adam donna le nom d’Eve, car “elle fut la mère de tous les vivants” (Gn 3, 20). L’épuisement de celui qui vit constamment le tourment du caractère inéluctable de la vie, de l’obstination de continuer à sauver les pousses de printemps dans les déserts des hivers de l’histoire. Tombe et sein, résilience et renaissance, blessure et fenêtre, douleur et résurrection ne font qu’un avec le corps de la femme, quand la vie est menacée. Dans les soins intensifs, nous avons vu le personnel de santé trouver du temps pour donner de la tendresse aux affamés d’air et d’amour; nous avons vue des femmes au service de la science, lucides, isoler les premières, à Rome, le virus du Covid 19; nous avons vu des jeunes filles en première ligne se faire injecter le vaccin comme exemple pour inciter les gens à en faire tout autant et, surtout, comme une volonté de commencer à combattre efficacement  un ennemi de la santé de tous. Nous avons vu et nous voyons encore des sœurs, des filles, des mères, des amies à l’âme égarée et au cœur brisé à cause de la distance de ceux qui leurs sont chers, dans les moments où serait indispensable l’étreinte, la chaleur de la proximité. Où il serait indispensable d’être avec eux dans l’acte suprême de mourir, que l’on ne peut célébrer qu’en serrant la main à celui qui restera uni à nous pour toujours, lié par l’Amour, fil doré de l’éternité.

Jésus dut lui aussi mourir de faim d’air. En effet, la mort des crucifiés était terrible. Souvent exposés en avertissement aux carrefours des routes les plus fréquentées à l’époque des Romains, les crucifiés étaient des esclaves ou des délinquants de gros calibre. Leur peine devait consister au supplice le plus dur pour un être humain. Comme le corps tendait à céder son poids sur les pieds, la douleur devenait insupportable à cause des blessures procurées par les clous. C’est pourquoi le crucifié tendait instinctivement à se soulever et, donc, à appuyer sur les poumons, ce qui lui procurait l’asphyxie. C’est surtout par asphyxie, par manque d’oxygène que mouraient ceux qui étaient accrochés à une croix. Leur tourment devait être si grand que les soldats, pris de pitié, cherchaient à le diminuer avec du vinaigre, c’est-à-dire avec une sorte de boisson anesthésiante — celle qui fut également offerte à Jésus — ou bien ils leur brisaient les jambes pour leur permettre une mort plus rapide. Elevé vers le ciel, loin de la terre, Jésus eut comme compagnons deux malfaiteurs, il trouva de la chaleur humaine chez le bon larron. Sous la Croix, il y avait un groupe de femmes pieuses les bras ouverts pour recueillir le corps abandonné d’un condamné à mort. Et pour le rendre à une vie plus pleine, le jour qui suivait le Samedi. «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?» s’écria Jésus vers un ciel qu’il suppliait mais qui resta muet (Mc 15, 34). Jusqu’à ce que la foi devienne abandon et que Jésus s’assoupisse comme un enfant vaincu par la nuit, quand il sentit ce Dieu distant comme un Père proche: «Père, en tes mains je remets mon esprit» (Lc 23, 46). Dans la torpeur de la mort se trouve l’Espérance.

Et les femmes? Elles écoutent en bas, sous la Croix, elles pleurent, elles attendent et résistent, elles disent “me voici” pour embrasser ce corps sans défense. Le corps du mourant est comme le corps du nouveau-né et de l’amant, donné en consigne, cédé par amour. Perdu dans l’Amour. Les femmes savent que ce cadavre cache une mèche de vie, qu’elles-mêmes allumeront. C’est Marie de Magdala qui le fera le matin de Pâques: de son tourment de frayeur et de larmes, elle cherchera dans la tombe vide le Corps du Seigneur Ressuscité. Un corps qui est nom et voix, que l’on ne pourrait plus toucher, même si on le voulait, car il ne forme plus qu’un avec le sien! Un Corps ressuscité, c’est-à-dire de Communion, uni à celui de la Madeleine “déjà et pas encore”. «Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ? (…) Celui qui s'unit au Seigneur n'est avec lui qu'un seul esprit» (1 Co 6, 15.17). Une autre Marie l’avait fait avant Madeleine, la sœur de Marthe de Béthanie. Elle avait consolé la solitude de Jésus, dont la mort avait été annoncée et qui devait avoir lieu seulement une semaine plus tard. Au cours du dîner, Marie gaspilla un vase de nard sur les pieds de Jésus, en l’étalant dans une tempête de caresses. L’économe Judas s’en scandalisa et fit des comptes de personne cynique au sujet de ce geste: désormais, le corps de Jésus ne valait que le prix du rachat du cadavre d’un esclave. Seulement trente deniers. En revanche, Marie avait dépensé trois cents deniers, dix fois autant. «Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu trois cents deniers qu'on aurait donnés à des pauvres?» protesta le comptable (Jn 12, 5). Il ne pouvait pas comprendre que cette huile ne servait pas à oindre un cadavre, mais consacrait le corps de Jésus pour le jour de sa Résurrection.

Rosanna Virgili
Bibliste, professeure à l’Institut théologique des Marches