De Palerme au Japon du XVIIe siècle, l’épopée de Giovanni Battista Sidoti

Le missionnaire solitaire

 Le missionnaire solitaire  FRA-010
11 mars 2021

Ses restes furent retrouvés en 2014. Ils étaient conservés dans une tombe placée dans la zone de la Kirishitan Yahiki, la prison des chrétiens construite en 1646 à Edo, l’actuelle Tokyo. Son histoire ne fut en revanche redécouverte qu’au xix e siècle, grâce à l’ouverture du Japon au reste du monde, à l’engagement des missionnaires qui s’y rendaient et à quelques chercheurs locaux qui décidèrent de repêcher de l’oubli sa terrible expérience humaine.

Et aujourd’hui les chercheurs japonais ne cachent pas leur admiration pour Giovanni Battista Sidoti, l’un des hommes qui se prodigua pour que se rencontrent la culture occidentale et celle locale.

Né à Palerme le 22 août 1667, Giovanni Battista Sidoti était le troisième enfant de Giovanni et d’Eleonora D’Amico, une famille de noble lignage dont les origines se trouvaient dans les Asturies espagnoles. Le jeune palermitain obtint les diplômes académiques en philosophie et en théologie au collège jésuite local. Après son installation à Rome, qui eut probablement lieu en 1693, il obtint une maîtrise en droit civil et en droit canonique à l’université La Sapienza. Estimé pour sa grande culture littéraire et parce qu’il était tertiaire franciscain, dès ses années de jeunesse Giovanni Battista Sidoti avait manifesté sa passion pour la vie missionnaire. Cette vocation fut amplifiée par les échos provenant du Japon, pays dans lequel, à partir de 1597, avaient commencé d’atroces persécutions contre les missionnaires et les chrétiens. On ne trouve cependant pas de relations avec les jésuites ni avec d’autres ordres religieux engagés dans les missions sur le continent asiatique, en dehors de celles avec Propaganda Fide.

Le 31 décembre 1701, son nom apparaît cependant dans une liste de 17 missionnaires qui vont partir pour la Chine, à la suite de Mgr Carlo Maillard de Tournon, légat de Clément xi. La mission fut préparée pour affronter sur place la question controversée des rites, alors au sommet de sa polémique.

Giovanni Battista Sidoti fut inséré dans la liste en tant que prêtre séculier et non comme jésuite et il s’embarqua sans la charge de missionnaire apostolique. Pour se rapprocher de son objectif japonais, Giovanni Battista Sidoti s’associa à la délégation de de Tournon, composée de prêtres diocésains de stricte obédience à la congrégation romaine. Le groupe partit le 4 juillet 1702 de Civitavecchia sur un vaisseau génois et commença une véritable aventure maritime. En effet, l’itinéraire fut bouleversée par les conséquences de la guerre de succession espagnole, avec un blocus naval anglo-hollandais sur Gibraltar et le contrôle français de la Carrera de las Indias. Le triennat 1701-03 réunit exceptionnellement l’Espagne et la France sous la même dynastie bourbonienne et obligea les navigateurs à trouver de nouvelles routes vers l’Orient. Le vaisseau arriva aux Canaries en février 1703 et il s’y arrêta pendant deux mois pour attendre le convoi de la Compagnie française des Indes orientales. Le religieux palermitain, descendu à terre, offrit à l’Eglise locale de la Sant Cruz deux reliques romaines encore aujourd’hui objet de vénération. Giovanni Battista Sidoti rejoignit ensuite Pondichery dans les premiers jours de novembre et, après avoir accosté à Madras, il arriva à Manille le 22 septembre 1704. Il resta quatre ans dans l’actuelle capitale des Philippines, où il reprit l’étude de la langue et du territoire japonais commencée à Rome, utilisant également la contribution de naufragés ou de réfugiés japonais. Les années passées à Manille firent connaître un prêtre inlassable. Giovanni Battista Sidoti se fit remarquer grâce à son engagement pastoral, au soin des malades et des enfants et à sa contribution à la réalisation du séminaire diocésain, dont il écrivit le règlement et fut l’administrateur. En 1706, il rédigea l’acte de constitution d’une œuvre pieuse visant à racheter et à former au christianisme des enfants abandonnés. L’objectif japonais commença à prendre forme en 1707, grâce au gouverneur qui finança la construction et le ravitaillement du vaisseau Santísima Trinidad. Le missionnaire sicilien s’embarqua avec le récollet déchaux Manuel de San Nicolas et d’autres missionnaires augustins pour son premier voyage au Japon, qui n’eut cependant pas une heureuse issue. Le voyage dut s’interrompre sur les côtes chinoises et les deux autres suivants furent également des échecs.

Le 9 octobre 1708, après environ 50 jours de navigation, Giovanni Battista Sidoti atteint finalement le but tant désiré et il débarqua de nuit aux alentours du village de Koshima, à Yaku-shima, une île située à l’extrême nord du groupe des Nansei. Le prêtre, qui portait des vêtements japonais, une épée, une partie de ses cheveux étant rasée et le reste noué à la samouraï, s’avança sur le sentier avec sa petite valise contenant les objets liturgiques, un bréviaire, deux grammaires japonaises, plusieurs livres pieux, une petite peinture (copie sur cuivre de la Madonne du doigt de Carlo Dolci retrouvée en 2014 sur le lieux de sa mort et à présent conservée au Tokyo National Museum), et un petit crucifix appartenant au jésuite Michele Mastrilli, martyrisé au Japon en 1637.

Il n’eut cependant pas l’occasion de donner la moindre forme à son apostolat. Selon les rapports hollandais, les seuls occidentaux autorisés à négocier avec l’empire japonais, mais aussi selon les comptes-rendus de marchands et de naufragés à Manille, le missionnaire fut immédiatement capturé et conduit au Bugyō de l’île (ce titre correspond à celui de «commissaire gouvernemental») qui informa le Satsuma de Kami. Le religieux fut conduit à Nagasaki le 20 décembre 1708 pour y être emprisonné et interrogé par un interprète et par cinq hollandais de la Compagnie des Indes orientales.

Placé derrière une tenture, Giovanni Batttista Sidoti répondit aux questions posées en portugais et ensuite en latin, conservant ses vêtements à la mode japonaise et ayant son crucifix autour du cou, un chapelet et deux livres entre les mains. Il révéla son nom et son identité, spécifiant qu’il était Italien et donc exemp-té de l’interdiction d’entrer au Japon. La deuxième phase des interrogatoires fut directement menée par le gouverneur féodal. Conduit à Edo (l’actuelle Tokyo), le missionnaire fut interné dans le Kirishitan Yashiki, la résidence-prison des chrétiens, et interrogé par le conseiller du shogunat, Arai Hakuseki, sur les raisons de son voyage, ainsi que sur la géographie, la cartographie et la religion de l’Occident. Arai Hakuseki raisonnait dans une optique de modernisation de l’empire, en conservant l’autarcie de celui-ci, et il était donc fortement intéressé par tous les éléments innovateurs provenant de l’Occident. En cette année 1709, l’inquisiteur fut fa-sciné par l’homme qui se trouvait devant lui. Selon les procès-verbaux -transcrits par le missionnaire savérien, Lorenzo Contarini, il s’agissait d’un étranger habillé avec des vêtements locaux, mais à la langue incompré-hensible, un «érudit occidental» à la «vaste culture et grande mémoire» qui, «sans égal» en astronomie et en géographie, exposait «sa doctrine religieuse sans un mot qui se rapproche de la logique», mais tout à fait semblable «à ce que disent les maîtres bouddhistes» .

Dans un pays imprégné de culture traditionnelle et fourvoyé par la propagande protestante hollandaise agressive, Giovanni Battista Sidoti sauva tout d’abord sa vie. La nouvelle phase de l’empire, unifiée par le shogunat, commençait à introduire des réformes également grâce à l’aide des sciences et des technologies occidentales et Giovanni Battista Sidoti fut considéré comme un sage qui pouvait apporter de nouvelles informations. Il fut oublié dans la prison d’Edo. Malgré la décision de Hakuseki de ne pas le soumettre à la torture, au cours de la vie solitaire à laquelle il fut destiné à cause des lois rigides en vigueur, le missionnaire convertit ses geôliers, un couple d’époux âgés et il les baptisa, sachant qu’il signait sa condamnation à mort. Avant d’affronter le dernier acte de sa vie, le missionnaire décida de peindre avec son propre sang une croix sur le mur de sa cellule, désirant laisser un signe en témoignage de sa douleur. Giovanni Battista Sidoti et les deux disciples Chôsuke et Haru furent descendus et enfermés dans trois fosses à peine plus grandes que leurs corps, nourris quotidiennement, mais sans avoir d’air, croupissant dans l’immondice (le trou du missionnaire mesurait 140 centimètres sur 180 et c’était le plus grand).

Il mourut le 27 novembre 1714 à l’âge de 47 ans, probablement de dépérissement, car on lui servait toujours moins de nourriture, concluant définitivement son aventure de «dernier missionnaire occidental au Japon».

Trois cents ans après, le 24 juillet 2014 à Bunkyō-ku, mairie de Tokyo où se situait la résidence-prison des chrétiens, des restes humains furent retrouvés que les examens scientifiques identifièrent ensuite comme ceux du prêtre et des deux japonais tués avec lui.

Un livre écrit par Mario Torcivia: Giovanni Battista Sidoti, Missionario e martire in Giappone, édité par Rubettino, reconstruit la figure de celui que les catholiques japonais considèrent comme un vrai martyr de la foi. Dès le début, l’entreprise solitaire de Giovanni Battista Sidoti était clairement une entreprise presque suicidaire et destinée à l’échec. Cependant, la rencontre avec Arai Hakuseki transforma cet échec en un témoignage très précieux du dialogue interculturel entre le monde occidental catholique et l’empire japonais.

Generoso D’Agnese