«Que toutes les personnes réduites en esclavage redeviennent libres, protagonistes de leur propre vie et participent activement à la construction du bien commun». Tel est l'appel lancé par le Pape dans le message vidéo par lequel il est intervenu, en fin d'après-midi du lundi 8 février, au marathon virtuel de prière promu par l'association Talitha Kum à l'occasion de la septième journée mondiale de réflexion contre la traite. Lors des travaux, les participants ont déploré que les Etats essayent presque toujours de répondre aux défis mondiaux en cherchant seulement à sauver leur propre économie, sans concentrer l’attention sur les personnes (cf. https://preghieracontrotratta.org/?lang=fr). «L’économie mondialisée se nourrit de la traite», a-t-on dénoncé, avant de lancer un appel à la collaboration «pour créer des modèles économiques qui développent également le respect de la vie». De l’Inde, à l’aide d’un film, plusieurs femmes agents de pastorale ont rappelé que l’on peut définir l’esclavage comme un crime, mais également «comme un péché toujours plus répandu dans la société moderne», qui concerne le plus souvent des enfants, exploités comme main d’œuvre, mais également victimes d’abus sexuels, à qui on nie les droits à l’instruction et à l’alimentation. A été également dénoncé le phénomène, présent dans les zones internes de l’Inde, des petites filles données en mariage, souvent pour réparer un tort présumé, et celui, au Pakistan, de la femme qui n’est considérée que comme porteuse de dot. Au cours de la journée se sont ensuite succédé des récits touchants provenant d’Afrique, d’Europe et des Amériques, ainsi que des prières dans différentes langues pour invoquer l’intercession de sainte Joséphine Bakhita. Nous publions ci-dessous le texte du message vidéo du Pape:
Chers frères et sœurs!
Je m’adresse à vous tous qui travaillez contre la traite des personnes et qui êtes aujourd’hui spirituellement unis en cette journée mondiale de prière qui a également une intention spécifique: «Une économie sans la traite des personnes». Je me réjouis de savoir que, cette année, divers moments de prière sont interreligieux, dont l’un d’eux également en Asie.
J'étends mon message à toutes les personnes de bonne volonté qui prient, s’engagent, étudient et réfléchissent pour combattre la traite des personnes; et surtout à celles qui — comme sainte Bakhita, que nous célébrons aujourd’hui —, ont vécu le drame de la traite dans leur propre vie.
Cette journée est importante, parce qu’elle nous aide tous à rappeler ce drame et nous encourage à ne pas cesser de prier et de lutter ensemble. Puissent la réflexion et la prise de -conscience être toujours accompagnées par des gestes concrets, qui ouvrent également des chemins d’émancipation sociale. En effet, l’objectif est que toutes les personnes réduites en esclavage redeviennent libres, protagonistes de leur propre vie et participent activement à la construction du bien commun.
Chers amis, il s’agit d’une journée de prière. Oui, il est nécessaire de prier pour soutenir les victimes de la traite et les personnes qui accompagnent les processus d’intégration et de réinsertion sociale. Il est nécessaire de prier pour que nous apprenions à nous approcher avec humanité et courage de ceux qui sont marqués par tant de souffrance et de désespoir, en maintenant vive l'espérance. Prier pour être des sentinelles capables de discerner et de faire des choix visant au bien. La prière touche le cœur et pousse à des actions con-crètes, à des actions innovatrices, courageuses, qui sachent assumer le risque en ayant confiance dans la puissance de Dieu (cf. Mc 11, 22-24).
La mémoire liturgique de sainte Bakhita est un puissant rappel à cette dimension de la foi et de la prière: son témoignage retentit de façon toujours vivante et actuelle! C’est un rappel à placer au centre les personnes victimes de la traite, leur famille, leur communauté. Ce sont elles qui sont au centre de notre prière. Sainte Bakhita nous rappelle qu’elles sont les protagonistes de cette journée et que nous sommes tous à leur service (cf. Lc 17, 10).
Et je voudrais maintenant partager avec vous certains points de réflexion et d’action en ce qui concerne le -thème que vous avez choisi: «Une économie sans la traite des personnes». Vous pouvez trouver d'autres points dans le message que j’ai adressé aux participants à l’événement: «Economy of Francesco», le 21 novembre dernier.
Une économie sans la traite, c’est:
1. Une économie du soin. Le soin peut signifier prendre soin des personnes et de la nature, en offrant des produits et des services pour faire grandir le bien commun. Une économie qui prend soin du travail, en créant des opportunités d'emploi qui n’exploitent pas le travailleur dans des conditions de travail dégradantes et avec des horaires exténuants. La pandémie de covid a exacerbé et aggravé les conditions d’exploitation par le travail; la perte d’emplois a pénalisé beaucoup de personnes victimes de la traite, en cours de réhabilitation et de réinsertion sociale. «En ces moments où tout semble se diluer et perdre -consistance, il convient de recourir à la solidité tirant sa source de la conscience que nous avons d’être responsables de la fragilité des autres dans notre quête d’un destin commun» (Enc. Fratelli tutti, n. 115). Une économie du soin est donc une économie solidaire: travaillons pour une solidité qui se conjugue avec la solidarité. Soyons convaincus que la solidarité, bien administrée, donne lieu à une construction sociale plus sûre et plus solide
(cf. ibid.).
2. Une économie sans la traite est une économie avec des règles de marché qui promeuvent la justice et non des intérêts particuliers exclusifs. La traite des personnes trouve un terrain fertile dans le cadre du capitalisme néo-libéral, dans la dérèglementation des marchés qui vise à maximiser les profits sans limites éthiques, sans limites sociales et sans limites environnementales (cf. ibid., 210). Si l’on suit cette logique, il n’existe que le calcul des avantages et des désavantages. Les choix ne se font pas sur la base de critères éthiques, mais en suivant les intérêts dominants, souvent habilement revêtus d’une apparence humanitaire ou écologique. Les choix ne se font pas en regardant les personnes: les personnes sont un des chiffres, qu’il faut aussi exploiter.
3. Pour tout cela, une économie sans la traite est une économie courageuse — il faut du courage. Non pas dans le sens du manque de scrupules, des opérations hasardeuses à la recherche de gains faciles. Non, pas dans ce sens-là; naturellement, ce n’est pas cela, le courage qui est nécessaire mais, au contraire, c'est l’audace de la construction patiente, de la programmation qui ne regarde pas toujours et uniquement l’avantage à très brève échéance, mais les fruits à moyen et à long terme et, surtout, les personnes. Le courage de conjuguer le profit légitime avec la promotion de l’emploi et de conditions de travail dignes. En période de crise grave, comme celle actuelle, ce courage est encore plus nécessaire. En période de crise, la traite des personnes prolifère, nous le savons tous: nous le voyons tous les jours. En période de crise, la traite des personnes prolifère; il faut donc renforcer une économie qui réponde à la crise sans myopie, de façon durable, solide.
Chères sœurs et chers frères, mettons tout cela dans notre prière, particulièrement aujourd’hui, à travers l’intercession de sainte Bakhita. Je prie pour vous et, tous ensemble, prions pour toutes les personnes qui, en ce moment, sont victimes de la traite. Et vous, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci!