Si je vais voir le Pape je vais voir un fils de Dieu

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22 février 2020

Maria Voce, vous dirigez le Mouvement des Focolari qui compte deux millions de membres dispersés dans le monde. Par volonté de Jean-Paul II, il s'agit de l'une des rares institutions de l'Eglise catholique qui ne peut être dirigée que par une femme du fait du profil marial de l'« Œuvre de Marie ». Quelle est la particularité d'une direction féminine dans un contexte aussi important ?

Je pense que la particularité ne provient pas du caractère féminin de la direction mais du caractère marial de celle-ci. Chiara Lubich a tenu à inclure dans le deuxième chapitre du Statut, que notre œuvre a un lien particulier avec la Très Sainte Vierge Marie, dont elle veut être presque une continuation. C'est l'instinct surnaturel qui l'a poussée à demander au Pape Jean-Paul II d'insérer la clause selon laquelle la Présidente de l'Œuvre soit toujours une femme consacrée du Mouvement des Focolari. Chiara était convaincue que le projet de Marie dans l'Eglise n'avait pas encore pris la forme qu'il méritait. Pendant des siècles, cette figure a presque disparu.

Maria Voce (à droite) est présidente du Mouvement des Focolari depuis 2008, la première « focolarina » à succéder à la fondatrice Chiara Lubich (à gauche), décédée le 14 mars 2008. - ©Csc Audiovisuels

Vous dites : pendant des siècles, elle a été une figure sous-estimée.

 

Par les hiérarchies ecclésiastiques, par l'Eglise en général, et même par le peuple, à l'exception des dévotions et des processions. Mais la figure finalement esquissée par le Concile Vatican II n'avait pas encore émergé : Marie Mère de Dieu, déjà déclarée ainsi par le Concile d'Ephèse, mais aussi Mère de l'Eglise, du Christ qui vit dans l'Eglise, composée du Pape, des évêques, mais aussi des fidèles, des gens ordinaires, du Peuple de Dieu.

 

Comment définiriez-vous le projet de Marie ?

 

Ramener dans le monde la présence du Christ. Qu'est-ce que Marie a fait de grand ? Elle a offert son humanité à Dieu afin que le Christ puisse devenir homme, comme un homme parmi les hommes qui connaît la souffrance humaine parce qu'il l'a prise sur lui. Sans Marie, tout cela n'aurait pas été possible.

 

Vous êtes l'une des figures féminines les plus éminentes du monde catholique. La direction d'un Mouvement est fait de décisions, de choix. Même dans un contexte de partage comme le vôtre, cela implique une relation inévitable avec le pouvoir. Le pouvoir féminin est-il différent du pouvoir masculin ?

Le pouvoir féminin ne peut être égal au pouvoir masculin tout simplement parce que la femme n'est pas égale à l'homme. Il y a des décisions que je dois prendre personnellement sans subir d'influence. Mais l'esprit que Chiara nous a fait vivre dès le début est celui de l'unité, qui signifie aussi communion. Nous ne pouvons pas arriver à l'unité sans une pleine communion, un partage. J'ai toujours été aidée par des conseillers, par le co-président avant tout, qui est un prêtre, et qui a un regard particulier sur la partie ecclésiale du Mouvement, par exemple sur la morale, sur la discipline.

Les hommes membres du Mouvement ont-ils déjà été gênés d'être dirigés par une femme ?

 

C'est à eux qu'il faut le demander!

Mais le problème s'est-il posé d'une manière ou d'une autre ?

Je pense qu'au début, il n'y en avait pas, sinon Chiara n'aurait pas été suivie par autant de personnes. Par la suite, avec le temps, peut-être cela a été ressenti du fait de certaines interprétations inexactes relatives à la gestion des choses. Pas tant du fait de Chiara mais des autres. Et pas seulement par les hommes, mais par les femmes qui ont senti le devoir de défendre leur sentiment de manière plus incisive parce qu'enfin existait un Mouvement dirigé par une femme. Et peut-être les hommes ont-ils senti qu'ils devaient descendre du piédestal sur lequel l'histoire et les circonstances les avaient placés. Ce malaise a conduit à une certaine séparation entre les parties masculines et féminines. Mais il me semble qu'aujourd'hui nous sommes arrivés à un bon point de recomposition : qui n'est pas l'égalité mais la complémentarité. Un enrichissement dans la diversité, dans le partage, dans la communion. Dieu veut que nous répondions à son dessein, certainement pas à notre imagination, même dans cette différence.

 

Le Mouvement accueille les chrétiens qui adhèrent à de nombreuses Eglises, les fidèles d'autres religions, les personnes aux convictions non religieuses. Comment concilier cette « diversité » avec une réalité qui est de toute façon ancrée dans l'Eglise catholique ?

 

Dans l'Eglise d'aujourd'hui, tout se concilie très bien. Il suffit de regardez le Pape François ! S'il a le courage de signer un document sur la fraternité avec un dirigeant musulman, s'il fait prier pour la paix les masses rassemblées sur la place Saint-Pierre tout en respectant le credo de chacun, qui sommes-nous pour être différents ? A la base se trouve l'assurance de Chiara. Dès le premier instant, il nous a rappelé que nous sommes tous des enfants de Dieu parce que Jésus a dit : « Qu'ils soient un ». Il n'y a qu'un seul Père et nous sommes tous ses enfants, nous sommes donc tous frères. Chiara, en rencontrant le chef d'une autre Eglise ou voire même un groupe d'animistes, ou qui que ce soit, ne se posait pas la question de savoir qui ils étaient. Ils étaient frères à rencontrer, et elle y allait comme une sœur.

 

Quelle est votre relation avec les hiérarchies ecclésiastiques masculines ?

 

Si je vais voir le Pape, je vais voir un fils de Dieu, je me prépare à l'écouter, à l'accueillir avec tout l'amour et tout le respect qui est dû à un fils de Dieu. Je fais la même chose avec une femme évêque de l'Eglise luthérienne suédoise. Elle aussi est une enfant de Dieu, même si elle peut avoir des idées complètement différentes des miennes. Le Pape me traite toujours comme une sœur. Il me demande : « Comment allez-vous ? Comment va votre santé ? Vous y arrivez encore ? ». Il me prend par le bras et me dit : « Viens, Marie ! » Je me souviens aussi de la douceur de Benoît XVI. Une fois, je suis arrivée en retard et il m'a juste dit : « Vous devez être fatiguée ! ». Il en est de même avec le cardinal Kevin Joseph Farrell, préfet du Dicastère pour les laïcs, avec qui j'ai une relation fraternelle.

 

Cette année est le centenaire de la naissance de Chiara. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?

C'est une grande opportunité pour faire connaître toujours plus et mieux le charisme de Chiara, le don qu'elle a été, le trop plein d'amour qu'elle voulait apporter au monde à travers des personnes capables de vivre pleinement l'amour de l'Evangile, prêtes à donner leur vie les unes pour les autres. Nous ne célébrons pas Chiara et nous ne la rappelons pas : parce que Chiara est là, elle est là, dans la spiritualité qu'elle nous a laissée, dans la famille qui continue à vivre ce qu'elle a vécu et témoigné.

Quelle est la particularité d'une personne qui adhère à votre Mouvement ?

Avoir un objectif unique et commun : un monde différent, uni selon la vision chrétienne. Un monde qui ne divise pas, ne fait pas de distinctions, n’élève pas de murs.

Le débat est ouvert sur certains aspects comme le diaconat ou même le sacerdoce féminin. Les approches et les positions sont différentes, même parmi les femmes. Qu'en pensez-vous ?

 

Lorsque l'on commence à discuter de ces choses, on perd de vue l'essentiel. On parle de rôles : non pas de l'homme ou de la femme en tant que tel. Ce sont des services, donc se sont des rôles. Mais la femme n'est pas le diacre, ni le prêtre. Elle est la femme et c'est tout. La femme ne veut pas que l'homme devienne semblable à elle et il en est de même pour l'homme. Je pense qu'il est important qu’émerge l'essence de la femme, sa féminité, même dans la conduite de l'Eglise.

Que voulez-vous dire ?

Dans le sens où la femme doit être davantage écoutée, davantage reconnue pour ce qu'elle est, pour la contribution qu'elle peut apporter.

Les moyens ?

 

Nous devons encore les découvrir, nous ne faisons que commencer. Je crois que nous-mêmes les femmes, ne savons pas encore ce que nous pouvons donner parce que nous n'avons pas encore été mises à l'épreuve.

 

Après deux mille ans.

 

Cela a pris du temps. Espérons qu'il n'en faudra pas 2000 de plus !

 

Que devrait écouter l'Eglise de la part des femmes ?

Dans l'Eglise, la femme demande aujourd'hui une écoute d'amour. L'Eglise doit aimer les femmes et la femme doit aimer sa présence dans l'Eglise. Et l'Eglise devrait par exemple accueillir la capacité de compréhension et de pardon qu'a la femme, qu'elle a plus que l'homme. Une miséricorde dont le Pape lui-même parle souvent parce qu'il en fait l’expérience avec une sensibilité, je dirais, maternelle de tendresse, d'accueil qui contraste avec ses autres temps forts. Cela démontre son humanité.

 

Dans le passé, selon vous, les femmes auraient-elles pu/dû faire autre chose, pour se faire entendre ?

 

Selon moi, oui. Tant de fois, elles n'ont pas su exprimer ce qu'elles ressentaient, elles ont été lentes à se manifester en tant que femmes, ou parfois elles l'ont mal fait, par exemple avec les courants féministes, avec un ton de revendication. En revanche, la force de Chiara a été d'avoir un grand idéal, de commencer à prêcher une transformation du monde qui partait d'elle-même. Mais elle ne revendiquait pas, elle ne disait pas : « Vous êtes dans l'erreur, je vais vous montrer comment faire ». Elle disait : « Moi je fais comme cela ». Une proposition. Et entre proposition et revendication, il y a une différence abyssale. Parce que seule une mère sait faire une proposition.

Paolo Conti

Née en Calabre, elle a 82 ans et a été la première femme avocate au tribunal de la ville de Cosenza. Par la suite, elle a étudié la théologie et le droit canonique.

Elle est membre de la communauté des Focolari depuis 1963. Elle a collaboré au secrétariat de Chiara Lubich et a vécu pendant dix ans en Turquie où elle a tissé des relations œcuméniques avec le patriarche de Constantinople de l'époque, Dimitrios Ier, et de nombreux métropolites, parmi lesquels l'actuel patriarche Bartholomée Ier. En tant qu'experte en droit, elle est, depuis 1995, membre du centre d'études interdisciplinaires qui a été présidé par Chiara Lubich et, depuis 2000, elle est coresponsable de la Commission internationale « Communion et droit », un réseau de professionnels et d'universitaires engagés dans le domaine de la justice. Avec Chiara Lubich elle a collaboré à la mise à jour des Statuts généraux du Mouvement des Focolari / Œuvre de Marie.