L’économie est femme

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22 février 2020

Du 26 au 28 mars plus de deux mille jeunes économistes et entrepreneurs se rencontreront à Assise à l'invitation du Pape François: «Je désire vous rencontrer à Assise pour promouvoir ensemble, à travers un “pacte” commun, un processus de changement mondial... un “pacte” pour changer l'économie actuelle et donner une âme à l'économie de demain». Dans sa lettre, le Pape s'adresse aux jeunes, parce qu'ils les considère déjà comme la prophétie d'une économie attentive à la personne et à l'environnement. Il sait bien que ces derniers sont «capables d'écouter avec le cœur les cris toujours plus angoissants de la terre et de ses pauvres à la recherche d'aide et de responsabilité, c'est-à-dire de quelqu'un qui “réponde” et ne se tourne pas de l'autre côté».

L’événement est intitulé: “The economy of Francesco”: le Pape François et ses appels pour une économie qui ne crée pas de personnes mises au rebut, François d'Assise qui dans le baiser au lépreux épouse la pauvreté, et de la tradition duquel naissent le premières banques pour aider les pauvres, les monts de piété. Mais François est également chaque jeune garçon et jeune fille qui participera à l'événement, car chacun s'engagera dans un pacte pour changer soi-même et l'économie.

L’événement comportera des moments d'écoute, des parcours de connaissance et de réflexion dans les lieux de François, mais aussi de nombreux moments de confrontation et de dialogue dans des endroits que l'on a appelé des villages thématiques: finance et humanité, agriculture et justice, travail et soin, profit et vocation, management et don, vie et styles de vie, énergie et pauvreté, ainsi que d'autres.

L'un des villages est intitulé: “L'économie est femme”. On a longuement réfléchi pour savoir s'il fallait insérer dans les travaux un village thématique consacré aux femmes, précisément parce qu'il est transversal aux divers thèmes, mais à la fin on l'a placé comme un signe, et il devrait avoir lieu dans le monastères des clarisses d'Assise. L'économie est femme parce que sa racine, oikos-nomos, nous rappelle la gestion de la maison, là où, par maison, nous pouvons entendre les murs domestiques, mais également notre maison commune. Mais elle est femme également, parce sans un apport féminin qualifié il n'y a pas d'avenir pour l'économie.

En effet, la science économique moderne s'est entièrement construite au masculin. Il ne pouvait pas en être autrement à l'époque où elle s'est définie comme science autonome ; c'est-à-dire à la fin du XVIIIe siècle. Nous avons un père fondateur, Adam Smith, mais pas une mère fondatrice. Et il est également difficile de retrouver les premières femmes économistes, étant donné que plusieurs d'entre elles utilisaient des pseudonymes masculins pour pouvoir publier leurs recherches.

En 1869, l'économiste John Stuart Mill publia un livre intitulé “The subjection of women”, dans lequel il s'exprimait ainsi: “Le principe qui réglemente les rapports sociaux actuels entre les deux sexes — la subordination de l'un à l'autre ratifiée par la loi — est un principe incorrect en lui-même qui, désormais devenu l'un des principaux obstacles au progrès humain, devrait être remplacé par un principe d'égalité absolue”. Depuis, beaucoup de choses ont changé, et, au moins dans les principes, presque personne aujourd'hui n'oserait mettre en doute la substantielle dignité égale entre l'homme et la femme. Mais à l'époque du livre, et pendant de nombreuses années suivantes, beaucoup de droits ont été niés aux femmes, y compris l'accès aux études. Le livre de Mill a été inspiré par sa femme Harriet et écrit avec elle, comme Mill lui-même le déclara dans son autobiographie, mais il en est l'unique auteur officiel. Nous pourrions continuer et nous découvririons qu'actuellement la part féminine dans les sciences économiques et dans l'académie est encore largement inférieure à celle masculine.

On se demandera pourquoi il est aussi important qu'il y ait des femmes pour penser l'économie. Et nous nous demandons si cela a un sens de parler d'un rôle féminin dans la dimension sociale et économique, et dons s'il y a un féminin spécifique dans cette branche.

Pour répondre, il faut éviter de tomber dans deux pièges. Le premier est celui dans lequel tombe celui qui soutient que dignité égale équivaut à une parfaite égalité, raison pour laquelle cela n'a pas de sens de parler d'un rôle de la femme, dans la mesure où celui-ci n'est pas distinct du rôle de l'homme. Mais cette manière de raisonner a conduit peu à peu à prendre le masculin comme prototype auquel tout référer. L’économiste Victoria Bateman écrit ainsi dans le journal “The Guardian”: “Les questions auxquelles les économistes cherchent à répondre, les instruments qu'ils utilisent, le assunzioni ?? standard qu'ils font le long du parcours, et ce qu'ils cherchent à mesurer, tout reflète une manière masculine et traditionnelle de regarder le monde”.

De l'autre côté (le deuxième piège), certains accentuent les spécificités de la femme, la rendant encore davantage source de discrimination. A Assise, on se demandera alors si certains talents féminins sont des capacités génératives, ou simplement ‘soft-skills’. Nous nous demanderons s'il y a des impacts différentes sur les femmes, par rapport aux hommes, de la crise écologique. Mais nous réfléchirons aussi sur la manière de dépasser certains stéréotypes. Une jeunes qui participera témoigne: “Dans notre contexte, les femmes croient que leur tâche est liée à la dimension de ‘faire’ et non à ‘penser’. Et, quoi qu'il en soit, si elles travaillent à l'extérieur de la maison, tout le travail de soin à l'intérieur de la maison ne revient qu'à elles. Comment pouvons-nous changer cette façon de s'auto-percevoir des femmes?”.

Jusqu'à présent le regard sur la maison et sur notre maison commune a été très masculin. L’homme considère surtout le travail, les aspects matériels et institutionnels: c'est très important, mais si cela devient un regard absolu, il peut déformer la réalité. La femme regarde davantage les relations, elle cherche à tisser des relations, elle s'occupe de ce qui concerne le soin.

Ce regard n'est également pas suffisant à lui seul, mais nous en sentons l'absence dans les grandes entreprises, au niveau politique, dans les institutions en général. Nous avons besoin de commencer, ou de continuer, à regarder cette maison avec un regard de femmes. Il est surtout nécessaire de commencer à la regarder ensemble, hommes et femmes. Nous devons en imaginer ensemble l'avenir, et en cela les jeunes sauront nous écouter. Eux, qui sont l'aujourd'hui de Dieu pour nous, nous aideront à élargir nos horizons.

Alessandra Smerilli
Des Filles de Marie Auxiliatrice (fma), professeure d'économie politique à la faculté pontificale “Auxilium” de Rome